interview
Céléna Flore et son ouvrage "Le poids des larmes" : une interview entre l'héroïne et sa créatrice
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Esther versus Céléna
Des pas résonnent. Esther entre en scène avec entrain. Céléna est assise sur un canapé en velours, un foulard sur les épaules. La lumière est douce.
Esther : Bon, Céléna, on va inverser les rôles. Cette fois, c’est moi qui pose les questions. Tu pensais vraiment que je resterais sagement enfermée dans ton roman ?
Céléna Flore : Je m’y attendais un peu, c’est le jeu. Ecrire c’est risquer d’être poursuivie par ses personnages.
Esther : D’accord, mais pourquoi m’avoir choisie pour porter cette histoire ?
Céléna Flore : Tu ne portes rien. Tu es comme moi, une funambule sur un fil. C’est ta mère qui porte. N’inversons pas les rôles.
Esther : Difficile d’exister à ses côtés, Virginia prend toute la place.
Céléna Flore : Je te l’accorde. Je vous ai plongées dans une relation mère-fille, tendue par l’ambivalence, entre dépendance affective et violence. Et à ton corps défendant, je t’ai contrainte à passer du temps avec ton père. Tu as de bonnes raisons de m’en vouloir.
Esther : Parlons de lui. Pierre. Trop lointain, trop absent. Pourquoi m’obliger à le confronter ?
Céléna Flore : Parce qu’il fallait que tu saches si l’absence pouvait encore faire du bruit. Certaines réponses ne viennent que dans le face-à-face.
Esther : Tu aurais pu me laisser tranquille. Je vivais très bien avec mes contradictions et mes fuites en avant. Pourquoi des voix off et pourquoi m’imposer de dire « tu » ?
Céléna Flore : Tu avais besoin d’un nouveau souffle. Le théâtre a des ressources que le roman ignore. Je ne te cache pas que je me suis follement amusée à lui voler des Chœurs. Quant au tutoiement, c’était une évidence, et ce jusqu’aux dernières pages : tu devais avancer à la seconde personne jusqu’à ce que tu comprennes ton histoire.
Esther : Ils parlaient trop ces Chœurs. Je préfère le silence.
Céléna Flore : Moi aussi.
Esther s’assoit à côté de Céléna.
Esther : À propos de toi, justement… Que reste-t-il de de la romancière en moi ?
Céléna Flore : Peut-être ton regard sur le monde, cette façon de capter l’instant et de le questionner sans relâche. Ce besoin de chercher la lumière, même dans l’ombre.
Désolée de te décevoir, mais je suis un peu dans chacun de mes personnages, c’est peut-être ma façon de n’être nulle part. A partir de là, je peux me concentrer sur ce qui me terrorise en en faisant le tour. C’est un moyen comme un autre de juguler mes peurs.
Ce qui m’importe, c’est de laisser de l’espace au lecteur : à lui de tisser ses propres liens, à lui de se laisser toucher ou non.
Tu t’appelles Esther, le prénom que j’aurais porté si mes parents s’étaient entendus.
Esther : Dernière question. Si je devais te quitter et m’échapper de tes pages, où voudrais-tu que j’aille ?
Céléna Flore : Où tu veux, du moment que tu continues à saisir la lumière. Peut-être dans un autre livre, peut-être dans la mémoire de quelqu’un qui te lira et te gardera vivante.
Esther : Marché conclu.
Esther pose sa main sur celle de Céléna, celle qui caresse, celle qui écrit.
Rolf Morosoli interviewé par Kamal Benkirane pour son recueil de nouvelles "Clin d'oeil"
https://youtu.be/4B4I3Jqsr-w
Emilie Casagrande nous en dit plus à propos de sa nouvelle longue intitulée "D’infimes vibrations"
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Emilie Casagrande nous en dit plus à propos de sa nouvelle longue intitulée D’infimes vibrations, parue aux Éditions Chloé des Lys en janvier.
Commençons par le début : pourquoi avoir choisi ce titre ?
Avant tout, je cherchais un titre qui ne soit pas « bateau », et surtout qui ne soit pas lié directement au virus qui occupe déjà une partie importante de l’histoire. Je ne voulais pas que cette nouvelle soit cataloguée comme « une énième histoire de virus » en ces temps propices à ce genre de récit, car selon moi ce n’est pas le cas. Il me fallait donc un titre plus subtil, qui évoque aussi les autres thèmes centraux. En cela, le mot « vibrations » faisait sens à mes yeux, puisqu’il pouvait évoquer celle des cordes de guitare lorsqu’on les pince (et celle du son, de manière générale), celle, plus métaphorique, des cœurs qui s’émeuvent et qui ressentent de fortes émotions, et enfin une vibration plus scientifique qui trouve son explication au sein de l’histoire, mais que je ne dévoilerai pas…
Tu dis que ton récit n’est pas « une énième histoire de virus », peux-tu développer ?
Selon moi, s’il est vrai que le virus est central dans cette histoire, c’est surtout pour développer un contexte, mais aussi parce que l’article qui a inspiré cette nouvelle évoquait une étude à propos du virus que nous connaissons désormais un peu trop bien : le Covid-19. C’était donc le point de départ de l’histoire, je ne pouvais pas l’éviter. Pour autant, je ne cite jamais le Covid-19 spécifiquement, car il pourrait s’agir d’une autre épidémie. Ce qui importe, selon moi, ce sont les relations entre les différents personnages et la relation du personnage principal à la musique et à la science. Je pense aussi que l’histoire en elle-même ne correspond pas aux attentes qu’on pourrait avoir vis-à-vis d’un livre à propos d’un virus : il ne s’agit pas d’un thriller ou d’une dystopie… C’est finalement davantage une histoire de vie, dont le message se cristallise en une note d’espoir qui parcourt tout le livre.
Le personnage principal n’a pas de prénom, ou en tout cas celui-ci n’est jamais cité dans le livre. Pourquoi ? Est-ce un choix conscient ?
À vrai dire, c’est venu de manière naturelle lors de l’écriture. Je pense que l’absence de prénom, en plus du fait que la narration soit à la première personne, permet une plus grande identification avec le personnage principal.
Peux-tu en dire plus sur l’article qui a inspiré l’histoire ?
Pas vraiment sans trop en dévoiler… Tout ce que je peux dire c’est qu’il s’agissait d’un article qui rendait compte d’une étude scientifique un peu particulière menée autour du Covid-19. J’en dis plus dans une note au lecteur à la fin du livre, où j’explique en quoi certains aspects de l’histoire sont inspirés de faits réels.
D’après tes précédentes réponses et au fil de la lecture du livre, on a l’impression que c’est une volonté de ta part d’éviter les lieux communs et les clichés : on trouve dans le livre des phrases comme « Je pourrais dire qu’il semblait juste endormi mais, bien au courant de son état véritable, j’empêchais mes pensées d’accueillir cette comparaison. » Que peux-tu en dire ?
Oui, c’est vrai, j’ai vraiment tenté de me détacher des clichés. Dans la phrase donnée ici en exemple, on s’attendrait à ce que le narrateur dise simplement « Il semblait juste endormi », mais j’ai tellement l’impression d’avoir lu cette réaction des centaines de fois que je voulais la contrer. En étant une grande lectrice et en ayant étudié la littérature à l’Université, je suis parfois un peu trop consciente de ce qui existe déjà, des histoires qu’on a racontées encore et encore à travers l’histoire et des formulations qui reviennent systématiquement dans certaines situations. C’était un effort conscient de ma part dans ce récit de chercher à éviter les poncifs ou en tout cas d’en jouer, que ce soit dans les événements qui se déroulent ou dans les expressions utilisées.
Pour terminer, d’après toi, à quel public conseillerais-tu ta nouvelle ?
Je pense que ma nouvelle s’adresse à un public très large. Tout le monde a vécu la pandémie avec sa propre sensibilité et peut s’identifier à l’un ou l’autre des personnages de l’histoire. Son format court et sa lisibilité permettent à un public jeunesse d’apprécier l’histoire autant qu’un public d’adultes, et ce, que le lecteur soit novice ou aguerri. À tous ceux qui tenteront l’aventure, je dis déjà merci et bonne lecture !
"Aubes lunesques", un rendez-vous poétique bi-mensuel signé Carine-Laure Desguin... Petit interview pour tout comprendre...
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Et donc Carine-Laure te voici dans les haïkus, rien ne t’effraie ! Le théâtre, les nouvelles, le roman policier, la poésie et j’en passe. Aujourd’hui, le haïku.
Je suis curieuse de tout et cette forme brève m’attire. Écrire l’instant, l’éphémère mouvement. Surtout que le haïku est toute une philosophie en soi. Et que parfois, j’aime me recentrer.
Ah tiens ? Explique-nous un peu ça !
Détailler tout ce qui entoure le haïku, non non. Disons que certains mots caractérisent cette forme brève. Je dirais zénitude, instant, nature, évanescence, saison. Et syllabes. Vers aussi. J’ai tenté les dix-sept syllabes et trois vers. Cinq syllabes dans le premier vers (pentasyllabique donc), sept dans le second (heptasyllabique continuons les précisions) et cinq dans le troisième. L’origine du haïku est japonaise. La situation est bien résumée. Mais trop de détails, ça pomperait la lecture de cet article. Qui doit être lu jusqu’à la dernière ligne, Christine, afin d’apprendre ce que j’écris là, maintenant.
On te reconnaît bien là, Carine-Laure ! Donc tu vivrais pour le moment dans la zénitude, tiens tiens…
Sans doute les effets de cette pandémie et des confinements successifs. Une réelle invitation à s’asseoir et regarder les espaces qui nous entourent. Vivre l’instant présent. C’est aussi ça, l’esprit du haïku. Souvent j’arrête mon auto à l’orée des bois, je lis, j’écris.
Ah eh bien merci de nous raconter tout ça, Carine-Laure. Avant de publier sur www.aloys.me ton recueil Aubes lunesques (car c’est tout un recueil que tu nous offres là et je t’en remercie), je me suis aussi penchée sur les haïkus car je connaissais sans vraiment connaître (on se comprends n’est-ce pas) et j’ai retenu le mot kigo. Kigo, ce mot te parle, Carine-Laure ?
Laisse-moi réfléchir, Christine. Je ne m’attendais pas à un test de connaissance. C’est même plus, c’est un interrogatoire.
Allons donc tu dis ça pour gagner du temps, je te connais, Carine-Laure.
Ce mot a un rapport avec la nature ?
Tu brûles.
Heuuuu… ah oui, il y a un kigo quand au sein du haïku on cite une saison ?
Bingo Carine-Laure. Et encore merci à toi pour ta confiance. Me voilà diffuseuse de haïkus ! À part toute cette poésie, que deviens-tu ?
Oh, je prépare la maquette d’un recueil de poésie, À contre-jour la nuit. Aux Editions Chloé des Lys. Mais je paresse. Il y a aussi les textes pour la revue Aura, toujours une occasion de se lâcher et d’oser des genres différents.
Tu promeus toujours tes dernières publications, LA LUNE ÉCLABOUSSEE, MEURTRES À MAUBEUGE et aussi cette pièce de théâtre, comment déjà ? ah oui, LE TRANSFERT ?
On ne quitte pas comme ça ses publications, Christine. On les transporte toujours avec nous.
L’écriture d’un nouveau roman ?
Oui, j’écris en ce moment un long texte. Et pour www.aloys.me, j’annonce que c’est une trame policière. Et j’ai planté le décor dans un Ehpad, l’occasion de zoomer dans ces étranges milieux.
Intéressant tout ça. C’est aussi un peu ta vie. Tu travailles dans ces établissements n’est-ce pas ?
Oh oui mais motus pour ce jour, je n’en dis pas plus.
Merci Carine-Laure et nous donnons rendez-vous aux internautes. Nous attendons les commentaires au sujet de cette centaine de haïkus qui composent AUBES LUNESQUES.
Je suis impatiente ! Merci Christine !
Premiers haïkus, après-demain !!!
Jérôme Devillard a répondu à quelques questions à l'occasion de la parution de son recueil "Des lendemains verts"

Tu te présentes succinctement ? Tu es marseillais, je crois ? Prof ?
J'ai 46 ans et suis marseillais d'adoption. Je suis, en effet, originaire d’Auvergne mais je vis à Marseille depuis presque 20 ans, alors on peut dire que je suis marseillais.
Tu viens d'Auvergne ! Incroyable ? D'où si ce n'est pas indiscret ?De Vichy, et j'ai fait mes études supérieures à Clermont-Ferrand. J'ai une formation scientifique en biologie, matière que j'enseigne. La science est d'ailleurs une de mes grandes passions... l'autre étant l'écriture.
Qu'est-ce qui t'a amené à l'écriture ?
La passion, le besoin et aussi l'opportunité. Dès l'adolescence j'écrivais, mais je me suis arrêté à l'arrivée dans la vie active. Des changements dans ma vie il y a quelques années m'ont permis de m'y consacrer de nouveau et je ne le regrette vraiment pas.
Ton ouvrage est une série de nouvelles qui tournent autour de l'écologie : un thème qui te tient à coeur ? Pourquoi ?
L'écologie est effectivement un thème qui me tient à coeur. Il s'agit d'un thème universel, puisqu'il nous parle de l'environnement dans lequel nous vivons, et nous pouvons vivre. Pourtant, il laisse souvent indifférent ou tout au moins sans réaction. C'est sur ce constat que sont nées ces nouvelles. J'étais surpris de voir que finalement l'écologie suscitait peu d'intérêt, et que, même ceux qui s'y intéressaient (moi compris) agissaient peu. Ces nouvelles ont donc été pour moi une façon d'agir et de comprendre.
Pourquoi avoir choisi le genre "nouvelles" pour faire passer tes idées et pas un roman, par exemple ? C'est un concours de circonstances au départ. "Des lendemains verts" était à l'origine le sujet d'un concours de nouvelles. Je n'ai pas eu le temps d'y participer, mais le thème m'avait plu et j'avais commencé ma première nouvelle. La suite s'est enchainée naturellement.
Un fil rouge entre tes nouvelles ? à part l'écologie, s'entend...
Oui, les personnages de mes nouvelles sont liés les uns aux autres de loin en loin.
Ce qui veut dire ? Liens familiaux ? Amicaux ?
Ce sont juste des inconnus qui se croisent, comme on en croise dans notre existence au quotidien. On les remarque à peine, mais ils sont là. Au fur et à mesure, à chaque nouvelle on se rend compte qu'on a déjà croisé ce personnage ailleurs... mais je n'en dis pas plus, je vous laisse découvrir. En fait ce fil rouge s'est imposé de lui-même. Ce lien existe entre chacun d'entre nous. Nous partageons tous la même planète, les actions des uns influencent l’existence des autres. De même les personnages de mes nouvelles sont liés, ils se croisent au sein du vaste monde et les actions des uns influencent également la vie des autres, de manière anodine ou non.
Justement, parle-moi de tes personnages ! Réels ou fictifs ? Inspirés de personnages de ton entourage ou pas ? Quels liens entretiens-tu avec tes personnages ? Personnages totalement fictifs. Enfin, ils tiennent sans aucun doute tous un peu de moi, mais pas seulement. Marguerite Yourcenar disait que "Deux choses sont vraies et contradictoires. L'un est que l'écrivain doit être profondément soi-même, il doit avoir un apport personnel à donner. L'autre c'est qu'il doit s'oublier soi-même." Je me reconnais assez bien dans cette vision de l'écrivain et c'est ce que j'essaie de faire lorsque j'écris.
Que t'apporte l'écriture ?
Bonheur et douleur lorsque j'écris... plus sérieusement la possibilité d'exprimer certaines idées ou sentiments, de prendre le temps de les poser et d'y réfléchir afin de les partager.
Comment et quand écris-tu ?
J'ai la chance d'avoir assez de temps libre pour pouvoir bloquer des journées entières dans la semaine. A ces moments, j'écris du matin au soir, enfin je suis sur mon travail d'écriture, qui peut parfois se solder par aucune ligne écrite de la journée.
Comment voit-on cette passion d'écriture (si c'est une passion, s'entend) autour de toi ?
Plutôt bien. Je suis soutenu par mes amis et ma famille qui sont mes premiers lecteurs et critiques... voire agents littéraires, car j'avoue que la promotion n'est pas vraiment mon fort.
Des projets ?
Un petit essai sur "la culture de la paix et de la non-violence" et un roman initiatique, dirons-nous, qui se passe à l'époque antique. Ces projets sont déjà presque bouclés mais un peu en attente du fait de la promotion de mon recueil de nouvelles.
Comment définirais-tu ton style ? Question pour le moins difficile. Je m'attache souvent aux instants, à une ambiance.
Quels sont tes genres littéraires de prédilection ? Personnellement j'aime beaucoup des auteurs comme Marguerite Yourcenar, Andrée Chedid ou Dino Buzatti qui ont tout aussi bien écrit des romans que des nouvelles... même si je lis aussi de la poésie, et parfois de la fantasy. Je trouve d'ailleurs dommage de parler de genres littéraires quand il s'agit de distinguer littérature dite classique, de celle des policiers, de la fantasy ou autres. Cela sous entend souvent que certains genres seraient supérieurs aux autres. Il s'agit d'abord et avant tout, de mon point de vue, d'un goût personnel.
MERCI !
Christine Brunetwww.christine-brunet.com
C'était pour les 20 ans des Editions Chloé des Lys... Un reportage d'Edmée de Xhavée
Edmée de Xhavée
Petit jeu pour les absents...
Donnez le nom des participants reconnus sur les photos en donnant, bien entendu, le n° de la photo... Ceux qui étaient présents, bien entendu, n'ont pas le droit de jouer !!!
L'interview de Didier Fond pour son nouvel ouvrage "Les somnabules"... La suite...

- Après avoir évoqué la genèse de ce roman, j’aimerais que nous parlions à présent de l’intrigue, du décor, des personnages. Car enfin, où sommes-nous ? Quelle est cette ville ? Pourquoi est-elle présentée comme une ville morte, abandonnée de ses habitants ? Pourquoi sont-ils partis ?
- Partis et revenus pour onze d’entre eux. Mais de là à savoir la cause de ce départ précipité… Peut-être les lecteurs vont-ils être déçus de se rendre compte que, le livre refermé, ils n’en savent finalement pas plus à la fin qu’au début sur certains points. C’est évidemment voulu. L’étrangeté de la situation entraine fatalement un environnement lui-même étrange, des personnages au comportement qui sort de ce qu’on appelle la « normalité ». Tu te demandes quelle est cette ville, si on peut la nommer : oui et non ; si elle existe ou si elle est totalement imaginaire : les deux, car bien sûr, le modèle réel est assez reconnaissable, j’ai gardé les noms exacts de certains lieux mais les distances, les éléments qui la composent ont été modifiés. Ainsi lors de la promenade nocturne du groupe à Saint-Jean, si l’on s’était trouvé dans la réalité, il aurait été impossible de voir, du bord de la rivière, la place où se réunissent les Gardiens de la nuit. De même, il aurait fallu que mes personnages soient munis de jumelles pour distinguer aussi précisément les lumières. Ainsi on peut éventuellement identifier cette ville mais les transformations spatiales en font une autre ville, qu’il devient alors difficile de nommer.
- Mais pourquoi en avoir fait un désert total ? Quelle en est la cause ?
- Cela fait partie des mystères qui ne seront jamais résolus. Chacun peut imaginer ce qu’il veut. Il faut simplement se rappeler qu’elle est absolument intacte : il n’y a aucune ruine, rien n’a changé si ce n’est que la population a disparu. Certaines solutions deviennent alors impossibles : pas de guerre, pas de bombardement, pas de missile atomique. Peut-être une épidémie, un conflit bactériologique. On ne sait pas. Simplement, les habitants ont fui, pour une raison connue d’eux seuls et même pas de moi car honnêtement, j’ignore quelle pourrait être l’origine de ce départ. Pour moi, cette ville que je voyais en pensée ne pouvait qu’être abandonnée. Encore une fois, cela fait partie de la mise en place d’un décor inquiétant et oppressant. La chaleur torride qui enveloppe la ville est également un élément destiné à mettre mal à l’aise le lecteur. Pourquoi fait-il si chaud ? Les conditions climatiques se sont-elles détériorées ? Est-ce la raison de cet exode ? Cela parait peu probable mais c’est une piste… qui ne mène en fait nulle part puisqu’aucune solution ne sera donnée.
- Au fond, il suffit d’accepter les présupposés tels qu’ils nous sont donnés, sans chercher à rationaliser les faits.
- Exactement. Et ce n’est pas toujours facile, je le reconnais, en fervent lecteur d’ouvrages fantastico-étranges (joli néologisme !) que je suis. Il faut évidemment prendre garde, à force de vouloir être étrange, de ne pas tomber dans le grotesque ou l’invraisemblable.
- En tout cas, il y a une chose qui me semble assez claire, si on excepte les membres de la Divine Trilogie : ce sont les rapports entre les personnages.
- Oui, ce que tu dis est très juste. On comprend vite leurs relations et leur état d’esprit les uns envers les autres. Les deux qui me paraissent le plus évident à analyser sont Louis et le narrateur.
- Effectivement : leur relation est très ambiguë.
- Ca dépend de quel point de vue on se place. En ce qui concerne Louis, il n’y a aucune ambiguïté chez lui. Il éprouve pour le narrateur une très vive amitié, mais cela ne va pas plus loin. Celle qui le fascine et qui va facilement le séduire, c’est Eralda. Le narrateur, par contre, est amoureux de Louis, cela se devine aisément car des indices ne cessent d’être donnés tout au long du roman. C’est ce qui rend si terrible sa situation : il éprouve un amour impossible, qui devient de plus en plus évident, mais qui est source de terribles souffrances au regard des événements qui vont survenir. En même temps, Axel ne le laisse pas indifférent sur le plan physique. Il rêve à lui, mais il ne sait pas trop quels sentiments il ressent à son égard. Ajoutons qu’il n’est pas indifférent au charme sensuel d’Eralda, ce qui complique davantage la situation. Le narrateur semble en fait être quelqu’un de très complexe, bien plus que Louis ; a-t-il vraiment vécu ou bien n’a-t-il fait que rêver sa vie ? Lui-même n’arrive pas à le savoir et c’est l’objet de sa méditation nocturne sur le balcon.
- Nous avons affaire à un groupe que le narrateur appelle « les survivants de Saint-Jean » ce qui laisse supposer qu’ils ont été confrontés à des dangers mortels. Et logiquement, ils devraient s’entraider, être amis à cause de ce qu’ils ont tous vécu, ce qui n’est pas le cas. Je vais même aller jusqu’à dire qu’ils se détestent et qu’ils ne se supportent pas. Du reste, le narrateur le dit franchement.
- Tout à fait. Chacun s’occupe de soi d’abord, même si parfois, un vague reste d’altruisme se manifeste : je pense à l’attitude d’Arabella face à Elsa qu’elle raccompagne chez elle parce qu’elle ne se sent pas bien : elle incite ceux qui n’ont pas participé à l’expédition à aller la voir. Ou bien aux regrets du narrateur quand il apprend la mort d’Elsa. Mais ce sont vraiment des moments très rares. Ce n’est qu’à la fin que le narrateur comprendra à quel point, finalement, il était attaché à eux.
- Venons-en maintenant à la Divine Trilogie : un surnom plus qu’étrange, qui laisse supposer bien des choses…
- Et que la fin est censée expliciter. Oui, en effet, les rapports qu’ils entretiennent entre eux sont également étranges, Axel le dit nettement quand il affirme qu’en apparence, ils sont souvent en train de se disputer mais qu’ils sont et seront toujours unis face aux décisions graves à prendre. Raphael paraît parfois en opposition à ses deux amis, mais c’est pour mieux se rapprocher d’eux quand c’est nécessaire. Quant à leurs rapports avec les « survivants », ils sont simples : ils les commandent, les dominent, leur imposent des règles. Vers la fin, le destin de Mona-Lisa montre clairement à quel point ils sont, tous les trois, redoutables. Et combien Louis a eu raison d’affirmer qu’ils n’étaient pas ce qu’ils prétendaient être.
- Dernière question, et pas la moins facile : pourquoi restent-ils dans cette ville à attendre Dieu sait quoi. Pourquoi ne repartent-ils pas ? Et derrière cette histoire fantastique, se cache-t-il un message, une réflexion sur l’être humain ?
- Louis pose la même question au narrateur et je vais vous faire la même réponse que ce dernier pense sans la dire à voix haute : ils sont déjà partis, mais ils sont revenus. L’extérieur n’offre plus rien, sinon que des raisons de désespérer. Autant revenir chez soi et attendre.
- Terrible fatalisme qui les enchaîne au sort qu’ils ont voulu fuir mais qu’ils subissent quand même. Belle ironie !
- C’est vrai. Mais au fond, ils ne se posent pas longtemps la question. Quant à un éventuel message derrière ce roman, assurément non : pour moi, ce n’est qu’une histoire que j’ai aimé raconter, et que, je l’espère, les lecteurs apprécieront, rien de plus. Mais chacun peut y voir ce qu’il veut : c’est le privilège du lecteur de pouvoir se l’approprier, sans tenir compte des intentions de l’auteur.