Sur les traces de Bob Boutique... Sur le blog "Les yeux fertiles"... Une chronique signée Cathie Louvet
Pour ma première contribution sur le site, je voudrais vous présenter un très talentueux romancier belge, auteurs de recueils de contes et de deux thrillers musclés particulièrement bien ficelés. Aujourd’hui, je vais vous parler de « 2401 », le premier d’une trilogie mettant en scène le commissaire Verdriet et son équipe.
2401 a été publié en 2015 par les éditions Chloé des Lys, maison d’édition belge implantée à Tournai, éditant de la poésie, des BD, des nouvelles, des biographies, des romans ainsi qu’une revue littéraire intitulée « Les petits papiers de Chloé ». La visée humaine qu’il véhicule est très profonde, pour preuve les divers thèmes abordés: la lâcheté; la corruption; l’exploitation de la détresse humaine; le regard de la société sur le handicap physique ou mental, mais aussi la réponse apportée à ces handicaps; le concept que chacun d’entre nous cache des squelettes dans son placard.
L’intrigue: Monsieur Jacques Durieux, brave retraité qui coule des jours heureux dans le bon village de Chamy sur Semois, reçoit une lettre anonyme plutôt inhabituelle: pas de demande de rançon, pas d’argent…Françoise Laloux, pharmacienne qui officie dans le même paisible village, reçoit une lettre identique. De même les « sœurs » Renard, Lise Deroubaix caissière dans la ville d’à côté et Alain Birnbaum, le médecin.
Que peut bien signifier cette pluie de lettres anonymes adressées à de braves citoyens qui, bien entendu, n’ont rien à se reprocher, ni dans le présent, ni dans le passé. Alors quoi? Mais Renée et Monique Renard sont bien décidées à ne pas se laisser faire et
découvrit, à l’aide du médecin et du curé qu’elles entraînent à leur suite, quel corbeau se cache derrière.
Toute cette histoire pourrait se résumer à une vaste farce bourgeoise, dans le genre vaudeville, mais n’oublions pas que nous sommes dans un thriller; et qui dit thriller, dit frisson, angoisse, tension dramatique…Aussi, quand la piste de l’attentat permet aux policiers de remonter jusqu’à Chamy, la blague prend des allures de drame. Fini de rire!!!
Dans ce thriller très riche et très original, Bob a imaginé une société secrète dont les membres ne seraient pas mus par les habituels moteurs: « Le corbeau n’a rien à voir avec la religion, la philosophie ou la politique. Il n’est pas une secte mais une organisation secrète qui prend et qui donne. Vous avez le droit de demander n’importe quoi, n’importe quel service légal ou pas, pour autant que vous acceptiez d’en offrir un de même valeur. Donc, pas d’argent, l’opération serait nulle, puisque vous devriez donner autant de billets que vous en recevriez en retour (…)Il n’y a pas de limite morale. Vous donnez, vous recevez…vous donnez beaucoup, vous recevrez beaucoup. A vous de vous situer. » (Pages 43/44) => Avec pour obligation évidente de ne JAMAIS en parler ni poser de questions.
Pour autant, même s’il est clair que l’auteur ne se fait aucune illusion sur ce dont l’homme est capable par appât du gain ou goût du pouvoir et de la puissance, aucune trace de cynisme ni de cruauté gratuite. Le ton reste léger, même quand Bob évoque les « monstres » qui vivent dans l’hôpital psychiatrique du docteur Strassen, tissé de répliques bien sonnées et d’un humour grinçant mais jamais méchant, de ce genre-là, par exemple: « Comme quoi, rien n’est plus dangereux qu’une femme, que vous l’invitiez dans votre trou de célibataire (et ça commence toujours en tout bien tout honneur) ou la laissiez tomber comme une crêpe. De celles qu’on retourne d’un coup de poêlon en l’air, bien chaude, et qu’on ramasse alors brûlante sur le nez. » (Page 55)..
L’essentiel de l’action se déroule principalement en Belgique, dans le petit village de Chamy sur Semois, et en Suisse, dans la ville de Sion. Dans 2401, les descriptions de lieux n’occupent pas une place prépondérante; quelques phrases suffisent pour poser le décor et permettre au lecteur de se les représenter afin d’y situer les événements; rien de plus, car Bob, en bon conteur qu’il est, ne s’encombre pas de détails inutiles, juste le temps de nous faire regretter de ne pas avoir le bonheur de connaître ces lieux enchanteurs… Ainsi, « les gens qui connaissent Chamy et son environnement de forêts de hêtres et d’épineux ne manquent pas de faire une halte le long de la Semois dès que le temps le permet. » (Page 30)
Sans oublier toutefois de situer les lieux à leur juste échelle, toujours avec la pointe d’humour qui caractérise son style: « Le stade de Chamy, comme l’appellent pompeusement les joueurs, ressemble grosso modo à une prairie dont on vient de sortir les vaches, sauf que l’herbe est rasée, qu’il n’y a plus de flattes ( bouses), qu’on a délimité un terrain à la craie et qu’on a posé, à chaque bout, des piquets blancs avec un filet pour recevoir les ballons. » (Page 85)
L’ambiance « village de province » est décrite d’une façon savoureuse qui rappelle celle des films de Pagnol: « Sur la petite place de Chamy ( vous vous souvenez, au bord de la Semois) entre l’église et la maison communale, les braves dames commencent leurs conversations par « vous avez appris? » et commentent avec force gestes et roulement d’yeux le suicide de cet abbé qui était quand même un peu curieux, vous ne trouvez pas…rien que sa façon de marcher… » (Page 209)… »Et que dire de ces superbes villages de pierre aux toits d’ardoises avec une ferme à l’entrée, une autre à la sortie et la douce odeur du crottin dans l’air? » (Page 96)
Pour conclure, je dirais que 2401 réunit dans ses 448 pages tous les ingrédients qui constituent non pas les bons, mais les excellents thrillers, car tout ici est à sa place: pas de fausse note, pas de fioritures, pas de descriptions inutiles. Le lecteur en a pour son argent, et pas une seconde ne s’ennuie. Au moment où il ouvre la première page, il met non pas le doigt mais tout le bras dans l’engrenage, et fébrilement tourne, tourne les pages jusqu’à la dernière…Au point de se dire: « Vivement la suite »!!!
Petite citation pour vous mettre définitivement l’eau à la bouche: « Cette histoire est pourrie, pleine de dangers incertains, comme s’il avançait dans le noir, les bras tendus pour ne pas se heurter à Dieu sait quoi… » (Page 115).
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