Cyriaque Maixent Ebenga nous propose l'introduction de son essai d'éthique politique "Reconstruire le Congo-Brazzaville : une approche contractualisée"
INTRODUCTION
D’un Congo à l’autre.
La décennie 1990-2000 représente pour le peuple congolais l’espoir d’abord, puis la tragédie. Il voit la chute du parti unique « révolutionnaire » avec ses travers, suscitant ainsi d’immenses espoirs ouverts par les perspectives démocratiques. Il voit les défaillances d’une démocratie pervertie qui, à la place d’échanges d’idées et de discussions de programmes de sociétés, engendre des guerres civiles. Ces guerres sont d’autant plus dramatiques, que les armes utilisées sont à la fois sophistiquées (armes d’exterminations massives, aviation, …) et pernicieuses (viol, ethnocide, …). Mais ces guerres sont menées à travers de milices et de mercenaires. Aussi, les conséquences ne facilitent-elles pas la réconciliation, aujourd’hui nécessaire au pays : extermination, destruction de matériel (l’infrastructure, exceptée l’industrie pétrolière), hypothèques sur les richesses minières et pétrolières du pays, exode, haines interethniques, retour à des situations d’avant indépendance. Dans ce contexte, il n’est pas difficile de comprendre l’échec de nombreuses tentatives officielles, ou officieuses, de réconciliation et donc le scepticisme des bonnes volontés. Et pourtant, la cérémonie de réconciliation et « du pardon » qui avait clôturé la Conférence Nationale Souveraine avait laissé espérer la fin de pratiques anachroniques au profit du respect des droits de l’homme, et naturellement le développement national. L’échec de ces espoirs est tel que le dialogue national sans exclusive lancé par le président Denis sassou nguesso au mois de mars 2001 n’a pas suscité beaucoup d’enthousiasme mais a nourri quelques espoirs, auxquels le peuple congolais veut encore s’accrocher.
Alors se posent quelques questions.
Etait-il sérieux de faire espérer inutilement tout un peuple ?
Etait-il responsable de réunir, autour d’une table, un panel non représentatif de l’ensemble des sensibilités ? Etait-il opportun, en cette période, en ce lieu, et avec ces hommes, dans ces conditions, de tenir ce dialogue national « sans exclusive » certes utile, mais dont toutes les conditions de réussite ne semblaient pas réunies loin s’en faut ?
Mais une fois tenu ce dialogue, il importe plutôt d’en tirer les enseignements et de mettre en œuvre les décisions adoptées. Ainsi les espoirs de ce forum devraient-ils être consolidés par les autorités et par toutes les parties, afin de sceller le pacte de la réconciliation nationale qui soulagera les peines individuelles et collectives endurées moins non encore pardonnées.
Dans cette optique, il est impérieux pour toutes les parties en conflit – toutes tendances confondues – de s’atteler à la concrétisation de ces lueurs d’espoir dans l’intérêt du peuple congolais tout entier eu égard aux ressources importantes utilisées à cet effet. N’est-ce pas là que commence le patriotisme tant proclamé, patriotisme qui n’est du reste le monopole de personne.
Si, par orgueil, chacune des parties belligérantes refusait de faire le pas décisif susceptible d’amorcer le dialogue, les perspectives s’assombriraient alors et les bonnes volontés pourraient se décourager, compliquant davantage le règlement. Alors refuser de coopérer serait fuir ses responsabilités politiques et morales, tandis que persister dans la violence serait entretenir le crime. Il faut donc passer outre son orgueil et croire en une fin prochaine de l’hostilité et à la réconciliation. Car faut-il être assuré du succès pour entreprendre ? Et quel mérite y-a-t-il à attendre que toutes les conditions de réussite soient réunies pour œuvrer ?
Aussi, ce travail ne doit-il pas être laissé à la seule charge des autorités, chacun en ce qui le concerne doit apporter sa contribution quelque modeste qu’elle puisse être. C’est dans cette perspective que la présente réflexion s’inscrit.
Ce n’est ni un canevas de travail, ni une solution, dans la mesure où nous ne connaissons pas les grands contours de cette violence interethnique récurrente. Cette réflexion est peut-être naïve, mais elle est sincère et charitable sans aucun doute. C’est surtout un espoir, notre vœu le plus cher, que notre pays s’oriente résolument vers l’utilisation judicieuse des richesses humaines et naturelles nationales au profit du plus grand nombre de personnes.
Du point de vue de sa structure, l’ouvrage comprend six parties de manière à envisager les principaux aspects de cette situation dramatique dont il semble impossible de sortir, du moins à court terme.
Dans le premier chapitre, nous présenterons, en premier lieu, le cadre spatio-temporel avec un bref aperçu sur sa géographie et l’importance de l’ethnographie au Congo. En second lieu, nous envisagerons d’abord les mouvements messianiques, dont le plus important a été le Matsouanisme du nom de son fondateur Matsoua ; ensuite, l’histoire politique du Congo marquée par la création des partis d’obédience européenne et africaine qui, au cours de leur évolution, ont connu un nombre sans cesse croissant de drames, notamment des affrontements interethniques et partisans de 1959.
Dans le deuxième chapitre, comme le drame se passe davantage à Brazzaville, nous ferons d’abord une incursion dans les principaux quartiers de la capitale, ensuite nous ferons une rétrospective des journées qui ont conduit à la chute du régime Youlou.1 En troisième lieu, nous envisagerons, avant d’analyser la crise congolaise qui s’est traduite par les guerres ethniques de la décennie 1990, d’examiner le caractère ethniciste des pratiques et arguments des politiciens. Nous verrons alors que de tels comportements ne pouvaient déboucher que sur des massacres, exécutés par de milices particulièrement conditionnées. Et pour comprendre cette situation, nous nous sommes interrogés sur l’importance du cœur dans la tradition congolaise.
Dans le troisième chapitre nous examinerons les aspects théoriques des affrontements, les tactiques et les stratégies d’élimination des populations, pratiques traumatisantes pour les survivants. Après cette réflexion, nous envisagerons dans le quatrième chapitre les conséquences tragiques de ces guerres, dans ces pratiques d’une part (recours systématique aux tortures, hypothèque des ressources en vue d’armer les milices et mercenaires, viols, tueries, harcèlements, corruption,…) ; et d’autre part des points de vues politique, social, économique, culturel, financier, militaire,…
Ces questions déboucheront sur l’impérieuse nécessité de réconcilier ces communautés ethniques qui se sont affrontées de façon violente. C’est l’objet du cinquième chapitre. Et pour cela, nous envisagerons la question incontournable de la vérité sur les différents évènements, comme préalable au pardon. Nous examinerons, dans cette perspective, la réconciliation du point de vue des religions (Bouddhisme, Christianisme, Islam, Judaïsme, religion traditionnelle africaine.) Car, une fois la réconciliation amorcée, il conviendra de l’accompagner et de la préserver.
Quelques aspects sont examinés enfin dans une perspective salvatrice : lutter contre la culture d’impunité, la corruption, la prolifération des armes légères et envisager la démocratie en terme d’exigence, de respect des droits, mais surtout de respect des engagements pris!
Mais comme une paix sans perspective heureuse ne saurait durer, le développement de notre pays se fera grâce à la contribution individuelle et collective de chaque citoyen, de chaque groupe. Il faut alors un élément fédérateur pour construire ou reconstruire la nation du « Congo de l’espoir ». Dans cette perspective, je reste convaincu que notre histoire commune et notre patrimoine culturel, matériel et immatériel seront assurément plus utiles que toutes les richesses, objet de toutes les convoitises malheureusement.
Aussi, nous envisagerons enfin la reconstruction à partir des fondements existants dans un premier temps. Dans un second temps, nous circonscrirons le cadre en y mettant des garde-fous aux leviers du développement de manière à changer la progression de la destruction en disposition favorable transformant les rêves en problèmes pour la pensée et en énergie pour l’action. C’est à cela que nous nous emploierons dans le sixième chapitre.
Nous terminerons par quelques réflexions encourageant les différents acteurs congolais à renoncer à la violence, au profit de la concertation, en invitant les fils de ce pays à éteindre complètement les sources de tension.
Pourquoi cet ouvrage, alors qu’il en a déjà bon nombre parmi lesquels d’excellents ?
D’une part parce qu’il est le cri du cœur d’un citoyen sans engagement partisan, vivant une espèce d’exil forcé à l’étranger. Il a perdu de ce fait ses racines, ses certitudes jusqu’à ses espoirs. Il ne comprend ni les logiques de ces guerres, ni leurs motivations profondes, ni leur finalité. Il essaie donc de comprendre. Il s’exprime de façon interrogative et populaire.
D’autre part, parce qu’il traduit un espoir fou et non une désespérance. Et si ces raisons ne suffisaient pas, j’ai un besoin de sentir ma terre natale, quelle que puisse être la douceur de l’exil, malgré la compassion et la sollicitude de nos frères africains en particulier, et des autres hôtes qui supportent tant bien que mal notre fardeau.