Cathie Louvet nous propose un nouvel extrait de son roman historique "de glace et de feu"

EXTRAIT DU CHAPITRE 7 :
Harald, captivé par les mouvements du barreur qui maniait avec une grande dextérité le styri, safran latéral, toujours placé à tribord de la coque, s’était glissé à la poupe. Près de lui, Anwind, le pilote, qui connaissait la route comme sa poche, indiquait les écueils à éviter, les passages à emprunter. Une brise légère faisait flotter les cheveux de l’enfant qui se tenait debout, bien campé sur ses deux jambes, regardant dans la même direction que le barreur. Le soleil était encore haut et faisait reluire la mer telle un plat d’étain. Sa main droite protégeant ses yeux des reflets aveuglants, il se retourna et scruta la côte danoise qui s’éloignait de plus en plus jusqu’à ne plus être qu’un petit point dans le lointain. Malgré l’ivresse de l’aventure qui le ravissait, il eut un pincement au cœur, se demandant s’il reverrait un jour sa patrie, la terre de ses ancêtres, là où son père reposait. Au bout d’un moment, il fixa à nouveau son regard devant lui, vers le nord-ouest, appréciant la limpidité du ciel.
La petite flotte avait atteint le large et s’ébrouait sans entrave. Elle dansait au milieu des vagues et des oiseaux marins. Harald sentit alors tout son être se pénétrer de cet intense sentiment de liberté que procurent les voyages en mer. Ce jour-là, tout comme Eryndr, il comprit que cette attirance était bien plus forte, plus puissante que tout amour humaine, il le comprit et pardonna. Il sut que son destin se trouvait là, sur un navire, chevauchant les mers en une quête éternelle dans l’espoir d’assouvir cette soif d’absolu, cette recherche de son être intérieur, solidement ancrée au fond de ses entrailles.
En fin d’après-midi, le vent se leva. Les vagues se creusèrent. Les passagers prirent leur repas puis s’installèrent pour la nuit. Les membres de l’équipage mangeraient plus tard dans la soirée, en fonction des occupations de chacun. A la tombée de la nuit, Brikarnef répartit les tours de garde. Il resta attentif à la marche de la flottille car le vent fraîchissait toujours et la vitesse des navires était à son maximum, compte tenu de leur charge. Les rudes toiles renforcées de lanières de peau faisaient grincer les écoutes de cuir tressé sous la pression du vent. Les rameurs se reposaient. Certains mangeaient, d’autres jouaient aux dés. Harald regardait le mât qui, bien calé dans son évidement, semblait d’une solidité à toute épreuve. Les autres membres de l’équipage prirent leur poste pour la nuit.
Le capitaine donna l’ordre de fixer les tentes, toiles de laine grossière renforcées de cuir et doublées de bure afin que les passagers puissent dormir, chaudement enveloppés dans des couvertures en peau de renne . Les tentes étaient de la même fabrication que la voile et pouvaient, le cas échéant, la remplacer. Les hommes la tendirent au milieu du navire sur son armature en bois constituée de deux paires de montants dont les extrémités se croisaient et s’ornaient en leur sommet de têtes d’animaux sculptées. Elle lui donnait une forme de toit évasé qu’on arrimait solidement aux couples et aux taquets. Son sommet ne dépassait guère la hauteur des boucliers au-dessus des platsbords, afin qu’elle ne gênât ni la navigation, ni la vision du pilote et ne donnât pas prise au vent .A l’arrière et sur la droite du knorr, il pouvait aisément voir l’horizon et toujours distinguer le cou du dragon dont la tête ricanante, artistement sculptée elle aussi, se dressait haute et fière au-dessus des flots, dominant à la fois le navire et l’océan. Sous la toile, il fallait se courber et on y restait assis ou couché, mais avec un peu d’ingéniosité, Frida en fit un lieu de repos confortable. On alluma des feux et on resserra la surveillance, doublant les hommes de proue et les flancs-gardes. Les barreurs des cinq knorrs observèrent alors les sévères consignes de pleine mer : garder le cap, les distances et le contact avec le bateau de devant comme avec celui de derrière. Brikarnef fit réduire la voile pour la nuit. La flottille aborda les Orcades au matin. Le capitaine y avait prévu une courte escale pour écouler une partie de sa marchandise. Grâce aux hauts fonds qui entouraient l’archipel, les navires purent jeter l’ancre dans une baie abritée où poussaient quantité d’algues géantes, près de la côte de l’île la plus méridionale, à l’entrée du détroit de Pentland, au large de la côte écossaise. Pas d’arbres en ces lieux sans cesse battus par les vents. Sur les collines verdoyantes, on apercevait seulement des moutons blancs, disséminés çà et là, paissant en toute liberté. Une clarté particulière, reflétée par l’océan, donnait au paysage habituellement austère une agréable douceur. La brise marine faisait frissonner les bruyères.