INTERVIEW N°1 DE DIDIER FOND POUR "LES SOMNAMBULES"

Publié le par christine brunet /aloys


 

« Ainsi donc, les Somnambules, c’est ton cinquième roman édité chez Chloé des Lys ?

- Le cinquième dans l’ordre de parution, oui. Mais pas dans l’ordre d’écriture. Il va falloir faire une grande remontée dans le temps pour comprendre sa gestation.

C’est-à-dire ?

- Eh bien ce n’est pas le cinquième roman mais le premier que j’ai écrit d’où ces tâtonnements successifs et le temps que j’ai mis à le composer, car il y a eu au moins trois ou quatre versions, de plus en plus longues. La première idée, je dis bien idée, pas le premier jet écrit, je l’ai eue en 1980. C’est en écoutant quelques chansons de Mélina Mercouri que j’ai imaginé non pas la trame mais quelques éléments du futur roman. Mais je n’avais aucune idée sur la façon de les relier entre eux. C’est donc resté à l’état d’idée jusqu’à l’été 1983. J’ai commencé la rédaction sur cette simple trame : la vie d’un groupe de gens dans une ville abandonnée pour x raisons et écrasée par une .chaleur épouvantable. Et j’ai eu la maladresse de mêler à cette trame pas mal d’éléments autobiographiques.

Pourquoi « maladresse » ? Le sujet pouvait s’y prêter.

- Non. Et c’est Léda, l’amie à laquelle je dédie le livre, qui me l’a fait comprendre. Je m’embrouillais dans des détails totalement inutiles et comme j’avançais à l’aveuglette, sans savoir où j’allais car je n’avais pas de trame précise à part celle exposée plus haut, bien trop vague pour permettre un développement intéressant, le récit s’enlisait et s’éternisait. De plus, m’a-t-elle expliqué, ce mélange de presque fantastique, en tous cas étrange, et les remarques sur ma vie personnelle ne passaient pas du tout ou du moins, pas de la façon dont je le concevais. J’avais en fait deux livres en un seul : une autobiographie très ordinaire et un récit intéressant qui, si je le peaufinais et l’approfondissais, pouvait donner un roman passionnant. Je la revois encore tenant entre ses mains les feuilles tapées à la machine (on n’avait pas encore d’ordinateur) et les séparant en deux groupes : l’histoire inventée d’un côté et les éléments personnels de l’autre. Le deuxième tas devait réintégrer le tiroir où je rangeais le manuscrit et le premier être posé sur mon bureau et être relu, corrigé et poursuivi.

- C’est ce que tu as fait ?

- Non, encore une fois. J’ignorais comment continuer, je n’avais pas d’idées. Et surtout, j’étais à une époque de ma vie où je faisais tout pour changer de travail. J’ai repris mes études de lettres, j’ai passé les concours d’enseignement, je suis devenu professeur. Je n’ai pas « oublié » le roman ; simplement il m’était impossible de penser sereinement et efficacement à une suite correcte, j’étais trop accaparé par le but que je m’étais fixé et par mes nouvelles fonctions.

- Et quand as-tu pu enfin reprendre ce récit ?

Partiellement en 1993 ; j’ai retravaillé ce qui était déjà écrit, avancé un peu en me laissant guider par mon imagination et le souvenir des scènes auxquelles j’avais pensé. La même année, pendant un congé maladie, j’ai enfin eu la vision globale de ce que pouvait contenir ce roman et je l’ai achevé d’un trait. Et très fier de moi, je l’ai fait lire à Léda.

- Laisse-moi deviner : elle t’a dit : « c’est nul, copie à refaire »

- Pas de cette façon aussi brutale. Mais bon, ça revenait au même. Surtout, elle m’a expliqué ce qui d’après elle, n’allait pas. Ce n’était pas l’intrigue, ni la langue : la trame était bonne, mais tout était trop rapidement expédié. Pas de description des lieux, des personnages, pas d’approfondissement dans la psychologie de mes héros, une fin certes grandiose mais mal reliée à ce qui précédait. Le lecteur était incapable de se représenter les personnages et donc de s’identifier à eux. Je précise tout de suite que cette fin, je n’ai jamais réussi à la rendre aussi parfaite que je l’aurais voulu, malgré de nombreuses réécritures. Je voyais très bien ce que cela aurait donné, mais impossible de faire coïncider l’imagination avec la réalité. J’ai fini par me contenter de celle du manuscrit.

- Finalement, quand as-tu été « satisfait » du résultat global ?

- Jamais. Je concède à ce roman de très nombreuses qualités, notamment au niveau de la langue que j’ai beaucoup travaillée, mais il reste encore des passages dont je ne suis pas vraiment satisfait, plus de trente ans après, notamment le dialogue final entre Eralda et Axel qui me parait à la fois trop explicite et pas assez. Mais ce que m’a dit Léda m’a fait réfléchir et j’ai ainsi pu décrire en profondeur le cadre dans lequel se déroule l’action et rendre mes personnages beaucoup plus intéressants que les simples silhouettes qu’ils étaient auparavant.

- Et qu’est-ce qui t’a poussé –ou qui – à le présenter chez CDL ?

- J’ai fini par admettre que je ne ferai rien de meilleur en insistant, que j’avais donné tout ce que je pouvais donner. Et puis, honnêtement, je commençais à en avoir assez de ce bouquin que je traînais avec moi depuis des années. J’avais d’autres trames en tête ; je l’ai laissé de côté et j’ai écrit d’autres ouvrages. Et puis un jour, je l’ai relu et, avec du recul, je l’ai trouvé bon. Un peu maladroit par moment mais tout à fait apte à affronter le comité de lecture de CDL. Léda était de mon avis. Alors, j’ai envoyé le manuscrit et j’ai attendu. Et voilà.

- Tu as parlé tout à l’heure de deux chansons qui ont été à l’origine du roman : tu te souviens desquelles ?

- Très peu : les titres ne sont pas restés dans ma mémoire. Je réentends dans ma tête la voix de Mercouri, un peu la musique, mais les paroles, franchement, je les ai pratiquement toutes oubliées. Il y avait une chanson qui parlait d’amis disparus et dont il ne restait que des photos et une autre d’un homme qui affirmait qu’il ne fallait pas perdre espoir, qu’une sorte de « Messie »viendrait nous délivrer ou quelque chose comme ça. J’ai repris cette idée dans la chanson qu’interprète Eralda au cabaret, lors de la soirée. Comme j’étais incapable de pondre des paroles, j’ai simplement donné un très vague aperçu de ce qu’elle disait et j’ai préféré insister sur les sentiments qu’elle faisait naître chez le public.

- Il y a quelque chose qui m’intrigue dans le roman : à aucun moment, le narrateur n’est nommé. Il n’a pas de nom. Je suppose que c’est voulu mais pourquoi ? Et as-tu eu des problèmes avec le nom des autres personnages ?

- Pourquoi un narrateur anonyme ? Honnêtement, je ne sais pas. Je n’arrivais pas à lui trouver un nom qui me satisfasse. Et puis, je me suis dit que ce personnage n’avait pas forcément besoin d’un nom, qu’il pouvait représenter tous les hommes dans sa situation. Mais je ne peux pas être plus précis. Par contre, pour répondre à la deuxième question, oui : donner une identité précise aux autres personnages m’a posé des problèmes : ainsi Louis s’est-il d’abord appelé Michel, puis Bruno : je n’étais pas satisfait de ces deux noms, je les trouvais communs et mon héros me semblait être quelqu’un certes d’ordinaire mais avec une aura tragique (son destin est horrible) qui devenait de plus en plus perceptible au fur et à mesure que le récit avançait. Et puis, j’ai pensé à Louis, prénom à mon avis plus original, surtout moins utilisé. Eralda n’a posé aucun problème, je l’ai trouvé tout de suite en abrégeant le prénom d’Esméralda dans Notre-Dame de Paris. Axel et Raphaël m’ont donné plus de fil à retordre. Ils changeaient de nom au fur et à mesure des différentes versions. Ils ont été d’abord Olivier (Axel) et Renaud (Raphael) : prénoms trop fades, trop courants pour ce qu’ils sont censés être. Je ne me souviens plus des prénoms dont je les ai affublés ensuite ; Axel et Raphael sont venus en dernier : j’ai été séduit par leur consonance et leur côté un peu mystérieux. Mais tout ceci est évidemment très subjectif. Quant aux prénoms des autres personnages, ils avaient moins d’importance : je me suis amusé avec les noms d’Eralda, Mona-Lisa, Arabella, Laura, Elsa : Pierre Benoit avait décidé que le prénom de ses héroïnes commencerait toujours par un A. J’ai voulu faire le contraire, j’ai choisi des prénoms se terminant par A. Ca n’a rien de génial, mais bon… On s’amuse comme on peut.

- Et il y a encore des romans en préparation, qu’on pourra lire un jour ?

- Pas en préparation. Mais j’en ai un certain nombre de côté qui ne demandent qu’à être relus, corrigés, allégés ou développés… et édités !

Publié dans interview

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C
Bravo pour tant de persévérance et pour l'acharnement à remettre 100 fois sur le métier, pour avoir surmonté les hésitations ! Et au final félicitations pour cet accouchement au masculin...
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S
Ah, les genèses de roman ! Personnellement, je les adore. On est curieuse ou on ne l'est pas ;)<br /> Bravo à Didier Fond d'avoir été si perséverant dans l'aboutissement de son roman, et bravo à Léda d'être de ces précieuses lectrices qui osent la critique constructive (pas toujours simple non plus).
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