Didier Veziano nous propose un nouvel extrait de son roman "Opération Taranis"

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

Liban - Beyrouth.

Le jour finissait de flâner sur la corniche de Raouché. Le soleil avait entamé son lent ballet, enflammant le ciel d’une teinte rouge orangé. Devant de vieilles coques en bois, quelques pêcheurs comparaient leurs prises et des promeneurs se laissaient envoûter par les odeurs de galettes épicées ou de beignets sucrés étalés sur les carrioles bariolées.

Dans le centre-ville, changement d’ambiance. Les rues foisonnaient de vie. Des Beyrouthins attirés par les vitrines des magasins à la mode côtoyaient des jeunes femmes voilées. Les terrasses des cafés se remplissaient. Des ados venaient boire un verre pendant que des hommes plus âgés se regroupaient pour fumer un narguilé devant un thé fumant. Beyrouth affichait sa riche histoire culturelle remontant au plus profond des racines du pays. Un bonheur que les Beyrouthins venaient chercher ici comme pour oublier que leur pays était aussi l’un des plus grands théâtres de guerres et de conflits, souvent qualifiés pudiquement de « multiconfessionnels ». Ils fuyaient certains quartiers où les bombardements et les combats entre milices religieuses rivales avaient laissé des traces sur la pierre et dans les cœurs. Des plaies infligées par l’Histoire qui auront du mal à cicatriser.

Plus à l’ouest, à deux pas de la rue Émile Edde, Abou Hamzra feuilletait le journal local, assis au fond de la salle d’un restaurant de quartier. La radio diffusait des chansons de Fadel Shaker. Elles parlaient du peuple palestinien, de ses souffrances. Quelques photos de paysages ornaient les murs blancs. Le port, mais aussi les plaines de la Bekaa, le lac Qaraoun, quelques amis. La cinquantaine, un corps robuste, tenue traditionnelle et turban noir posé sur un visage rond mangé par une barbe uniforme, Abou Hamzra s’impatientait. De temps en temps il jetait des regards nerveux à travers la vitre, en fronçant les sourcils. Il avait donné rendez-vous à Yousef à vingt heures précises et celui-ci était en retard. Assis à chaque extrémité, deux colosses, le cheveu ras, surveillaient ouvertement les alentours, une arme rangée dans un holster à peine dissimulée sous leur veste. Abou Hamzra ne sortait jamais sans ses gardes du corps. Dans cette ville, quand on était engagé dans une milice ou un parti, on avait autant d’amis que d’ennemis qui parfois étaient les mêmes au gré des alliances de circonstance. Or, le contexte n’avait jamais été aussi explosif depuis la guerre civile qui saigna le pays pendant près de quinze ans, à partir du milieu des années soixante-dix. Aux traditionnelles oppositions entre les blocs politiques à l’équilibre fragile étaient venues s’ajouter les tensions liées au conflit syrien qui voyait s’affronter pro-Assad et partisans de l'opposition armée. Mais il y avait plus grave. Le Liban risquait à terme de devenir la prochaine cible de l’Etat Islamique. Le Hezbollah chiite restait la seule force en mesure d’empêcher l’infiltration des milices de Daech. Le parrain iranien y veillait. Ses visées dépassaient les simples enjeux politiques libanais. Et pour y parvenir, il avait besoin d’un Hezbollah fort. C’est dans ce contexte qu’Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, avait nommé Abou Hamzra chef des opérations clandestines de la branche militaire du mouvement. Discret, sans ambitions politiques démesurées, une parfaite connaissance des réseaux clandestins libanais qu’il pouvait contrôler et activer, Abou Hamzra était l’homme que recherchait Hassan Nasrallah pour mener à bien la mission capitale confiée en très haut lieu.

 

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D
Merci pour ces commentaires. Pour réponde de façon assez collective, ces lieux et ces ambiances existent...même si je n'ai pas eu la chance d'y aller personnellement. Mais grâce à beaucoup de recherches et de concentration (à la limite de l'hypnose ;)) j'arrive à m'y plonger, car ça fait de nombreuses années que je m'intéresse à cette région du monde, son histoire politique et culturelle qui en font aujourd'hui un point géopolitique incontournable.
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S
Belle narration captivante où l'auteur nous emporte dans des lieux mouvementés...
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J
Effectivement, j'imagine que l'auteur s'est rendu sur place ou y a séjourné un temps. Car présence de nombreuses données précises. Le cas échéant, bravo, félicitations pour ce côté descriptif et explicatif.
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C
Tout à fait... Certaines choses ne s'inventent pas : les lieux, l'ambiance, le contexte politique...
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E
Le décor est bien planté et sent le vrai (je suppose ;) ).
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