Texte n°3 concours les petits papiers

Derrière la porte
Les invités ont poussé un hooooooo extasié en voyant la mariée s’extirper d’un carrosse de fer forgé peint en blanc, en forme de citrouille avec des vrilles de plastique entrelacées et deux laquais portant des masques de souris, tant secoués sur le marchepied arrière qu’un des deux a vomi sur sa tenue blanche. Il a sauté au sol pour soutenir galamment la main potelée de la mariée, et se tient courbé pour dissimuler la trainée de café au lait avec biscotte au fromage mixés dans l’estomac, qui empeste et décore l’avant de sa livrée. Hortensia-Marie, la mariée (Rose-Marie de son vrai nom, Grosse-Mariepour les coquins) fronce le nez aux relents acides dont elle n’identifie pas la provenance, et effectue un magnifique clap-clap de faux cils constellés de paillettes dorées.
Les invités applaudissent, quelques voix d’amies murmurent « tu es superbe, Grosse heuuuuh Hortensia-Marie ! » et certaines ricanent d’un air aimable en se lançant des coups de coudes. La mère de la mariée, un squelette vêtu de rouge sang, les cheveux brûlés par une permanente maison et une teinture abricot et mauve, les dents rouge-à-lèvrées avec abondance, s’avance en libérant des larmes noires de rimmel, se ruant sur sa fille qu’elle ne peut enlacer vu sa circonférence généreuse, mais elle arrive à déposer sur son épaule dénudée (oh mon dieu, pourquoi ne pas l’avoir couverte ?) un peu de noir et de rouge, l’estampillant ainsi d’un hématome assez réussi. Plus sans doute que le maquillage, parce qu’entre la bouche aux contours si brillants qu’on la dirait de plastique, le contour des yeux évoquant un pharaon tombé dans une cuve de confetti brillants, la coiffure avec tant d’extensions que le voile est en train de décrocher le tout depuis que le laquais qui a enlevé son masque de souris pour croquer un Mars – ajoutant des taches brunes à ses gants autrefois blancs –, l’a piétiné, le marié ne reconnaît sa bien-aimée qu’à son tour de taille.
C’est l’instant de la surprise du marié à la mariée : un orchestre de cariocas se met à jouer la Cucaracha, alors qu’on ouvre une volière de perroquets qui s’envolent en lâchant des salves de crottes d’effroi sur l’assemblée, au son des trompettes et de la voix de deux Mexicains du borinage qui contrairement à la cucaracha, ne manquent pas de marijuana à fumer…
C’est couverts de plumes colorées, serpentins, confetti et fientes de perroquets que le groupe s’entasse dans la salle des mariages, se disputant les chaises, envisageant un instant même de jouer aux chaises musicales car il n’y en aura pas pour tout le monde, c’est clair. Les plus malins ont emmené leur chaise pliante de pique-nique, et les plus gourmands … des sachets de chips. Les deux laquais à tête de souris les tiennent sous le bras, leurs têtes, fumant béatement un joint offert par l’orchestre de cariocas borin. La fumée, les bruits de mastication, les sanglots de la mère de la mariée, un rôt sincère du maire qui a pré-fêté au cidre tôt le matin, l’ambiance est à son comble. L’heure solennelle, profonde. Le maire rappelle aux époux leurs droits et devoirs en riant, Hortensia-Marie s’acharne sur sa bretelle qui glisse et libère son sein droit, lequel veut à tout prix s’échapper comme un goret d’un sac… Kevin-Marcel, son mari (Jean dans la vraie vie, J’en pense rien pour les autres ) lorgne ledit goret et se réjouit de jouer au cochonnet dans quelques heures. Son costume le serre, et il craint pour la couture de l’arrière de son pantalon, que sa mère a déjà dû renforcer deux fois depuis l’essayage.
Le petit Quinquin, fils de Laeticia-Josette, sœur d’Hortensia-Marie, s’avance avec un coussin en forme de cœur, surmonté des deux anneaux d’or émaillés de rose bonbon, avec un smiley aux yeux amoureux au milieu. Lorsque Kevin-Marcel saisit celle qu’il doit enfiler au boudin de son épouse, le coussin émet un pet sonore, et le maire salue la blague délicate d’un éclat de rire et d’une affirmation joyeuse : Un coussin péteur, quelle bonne idée !!!
Après le vin d’honneur plutôt allongé, la noce zigzague vers la salle des fêtes en chantant, dans un chœur incertain, c’est à boire qu’il nous faut…
On pénètre dans la salle par une porte représentant une énorme bouche ouverte, dans laquelle il faut entrer par un tapis pelucheux figurant la langue, sale et jonchée de mèches des extensions d’Hortensia-Marie ainsi que son voile souillé et déchiré, et au fond on pousse une glotte luisante et rouge, pour découvrir le décor du banquet : les tables rondes sont montées sur de petits carrousels, dont les sièges ne sont autres que les sept nains, Mickey et Minnie, Dingo et autres êtres échappés de Disneyland.
La mère de la mariée est assise sur le dos de Simplet, et retient difficilement une nausée, tandis qu’à côté d’elle, le petit Quinquin y cède avec élan : ce n’est pas que l’entrée soit mauvaise – Mozzarella rouge farcie de gelée verte et bonbons colorés – mais le roulis du manège commence à opérer. On n’est pas encore arrivés au dessert – des crêpes à la réglisse et crème fouettée à rayures oranges et violettes - que tout le monde a vomi du vert, du rose, du bleu, du jaune, et que seuls ceux qui ont vraiment beaucoup bu ont encore l’énergie de rire et chanter « tu me fais tourner la tête, mon manège à moi c’est toiiiiiiii ! ». Hortensia-Marie et Kevin-Marcel s’échangent un clin d’œil de victoire : « le prix du plus beau mariage de l’émission de TV… on va le remporter, les doigts dans le nez ! » Et pour mieux se faire comprendre, ils se mettent l’index dans le nez l’un de l’autre dans un éclat de rire heureux.
Le bal est une nouvelle réussite de haut vol, après qu’ils l’aient ouvert dans un tango époustouflant, d’autant que le porcelet s’est échappé du sac, le pantalon s’est décousu à l’arrière révélant un slip rapiécé, les trois poils sur le caillou de la mariée cliquetaient de toutes leurs épingles à cheveux inutiles sans voile et extensions, et en s’enlaçant les jambes, le couple est tombé au sol. On a dû mobiliser toute la gent masculine pour les remettre sur leur manège, dont ils ne sont plus sortis, et chercher le dentier de la mariée…
La nuit tombe. Derrière la porte de la chambre d’hôtel, deux gisants sur un lit comme des baleines échouées. Au sol, leurs habits de lumière de ce grand jour. Sur le couvre-lit, ce que ces mêmes habits ont plus ou moins caché. On ne s’y étendra pas. Kevin-Marcel rêve tout haut « salope, salope… », ce qui réveille Hortensia-Marie, non démaquillée, et dont les cils ne se décollent pas, englués par le rimmel, les confetti, les paillettes, quelques fientes de perroquets ayant fui à l’étage inférieur, et un hématome inexplicable. Un vague souvenir tourne dans sa tête. Prise de vertige elle se croit encore assise sur le dos de la reine des neiges, et un petit hoquet propulse sur le jeune époux un morceau de crêpe noircie par le réglisse. « Salope, Salope… » bave Kevin-Marcel, inconscient et égaré dans une fantaisie onirique. Et brusquement elle se dresse sur son séant XXL en poussant un cri. Tout lui revient. Même l’hématome à l’œil. Et comment !
Elle a oublié d’inviter les juges du concours. Et ils ne pas gagneront le voyage de Noces convoité, un magnifique prix d’une valeur de 500 € pourtant, pensez-donc : voyage en avion (en cale), transport à l’hôtel (à dos d’ânes galeux), pension complète (menus préparés par le cuistot de l’orphelinat local), plage privée (un champ de figuiers de Barbarie), boisson à volonté (l’eau du puits, pure et fraiche). Un reportage à la TV (leur entrée à l’aéroport de départ, le reste aurait été censuré…). Et là, par sa faute, toute à ses préparatifs élégants et originaux, elle a oublié d’envoyer les faire-part aux juges… Salope, Salope lui a reproché Kevin-Marcel dès qu’il a réalisé le désastre. « Et dire qu’on a fait un emprunt de 25000 € pour participer, et je me retrouve marié avec Moby Dick !!! Tiens, prends ça ! » Vlan !