Concours pour la Revue, Les petits papiers de Chloé : "Le mensonge et le silence arrangent bien des drames de famille" : texte 1

Publié le par christine brunet /aloys

Unique en son genre

 

Janvier 2023, Cristel et Dan sont heureux. Très heureux. Dans quelques mois, ils tiendront dans leurs bras leur tout premier enfant.  

— Il aura des yeux bleus comme toi, chéri.

— Non, des yeux noisette et brillants, comme les tiens. Ils diront l’orage avant qu’il ne gronde, ah tes yeux révolver, comme je les aime !

— Il n’aura pas que des yeux cet enfant-là. Et depuis deux heures on ne parle que de ça, ses yeux. 

— Ah les yeux, c’est hyper important. Tellement d’émotions passent par les yeux, tellement d’expressions aussi. Les yeux, c’est très révélateur. Et c’est par ses yeux qu’il connaîtra le monde, notre enfant. 

— Oui mais que ses yeux soient jaunes, noirs ou rouges, notre enfant connaîtra quand même le monde. 

— Ah tu es irrésistible et convaincante. J’ai envie de t’ennuyer et de te contrarier, tu es si belle quand tu essaies d’affirmer tes désirs. Parlons chevelure, tiens. Il aura des cheveux roux !

— Roux ?

— Ah ah j’étais certain que tu t’esclafferais quand je dirais roux et je le redis, roux !

— Roux comme ta mère ? 

— Ben oui, roux comme ma mère. Il peut ressembler à sa grand-mère, non ? Ce sera notre enfant quand même ! 

— Oui c’est pas la question, mais roux… Quand il ira à l’école, les autres enfants se moqueront de lui. Il sera la risée de tous. Tu connais la méchanceté des enfants. Pire, il sera peut-être leur souffre-douleur ! 

— Vu comme ça, tu as raison, chérie. Mais tu sais, nous disons il, il, il. Ce sera peut-être elle, non ? 

— Ah oui, nous sommes deux idiots ! Et dire qu’il y a des femmes qui veulent déterminer le sexe de leur enfant par tous les moyens. Elles s’empêchent de manger ceci ou cela ou…

— Ou se forcent à grignoter ceci ou cela !

— Exactement ! Et nous, nous spéculons sur la couleur des yeux, des cheveux et le sexe, qu’importe, on s’en moque de tout ça. 

— Qu’importe, qu’importe, quand même. 

— Comment ça quand même ? 

— Je ne te l’ai jamais dit… J’aimerais une petite fille. 

— Ah ah, je vous imagine déjà toutes les deux, nippées comme des princesses et déambulant dans les allées des grands centres commerciaux de Montréal. 

— Montréal ? Pourquoi Montréal ? 

— Oh je sais pas, je disais ça comme ça, une première idée qui a jailli. Envie de vacances à Montréal, voilà tout. 

 

Janvier 2030, la petite Tania lit une BD. Sa maman supervise la lecture et aide Tania quand celle-ci hésite sur un mot. À sept ans, certaines syllabes restent un mystère. La BD raconte l’histoire d’une petite fille perdue dans une forêt. Tania s’énerve, la lecture lui semble interminable. Elle digresse…

— Dis maman, mes yeux sont verts comme la petite fille sur les dessins, là.

— Oui ma chérie, tu as de magnifiques et grands yeux verts. Tu en as de la chance ! 

— Mais ils sont verts comme ceux de qui alors ?

— Tu es unique ma Tania. Tu es toi et tu ne ressembles à personne ! 

 

Cristel s’attendait à cette question. Cette question ou une autre, toute ressemblante. Tous les enfants posent des questions au sujet de leur origine. Dan et elle n’était pas d’accord au sujet de la vérité à dire ou pas à Tania. Comment expliquer à une petite fille qu’un soir son papa et sa maman se sont mis devant le clavier de leur ordinateur et qu’ils ont répondu à un questionnaire. Sexe ? Couleur des yeux ? couleur des cheveux ? Taille adulte ? Poids ? Dispositions pour études littéraires ? Dispositions pour études juridiques ? Aucune disposition pour les études ? Aimera les pommes de terre ou les pâtes ? La mer ou la montagne ? La communauté ou la solitude ? Hétéro ou homo ? 

Comment expliquer à une petite fille qu’après l’encodage de toutes ces réponses, il n’a suffi qu’une seule nuit à l’ordinateur pour effectuer la programmation et la réalisation en 3D de cette demande ? 

Cristel et Dan ignorent combien d’enfants sont nés de ce programme qu’on appelle Programmation de grossesse assistée. L’institut dans lequel l’ordinateur se trouvait fut incendié le mois dernier. L’attentat n’est à ce jour pas encore revendiqué. 

 

— C’est dommage répondit Tania sur le ton de celle qui voulait en savoir plus, j’aurais tellement voulu ressembler à quelqu’un. 

 

Publié dans concours

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A
L'enfant de demain programmé et tiré à l'imprimante 3D? Je crois que c'est déjà fait (fichiers en cache).... Tania avec les autres sont parmi nous!
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S
Sujet fascinant ! Et j'ai trouvé particulièrement touchante la petite Tania.
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M
Chouette ! Cela repart vraiment fort !
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P
Et c'est bien reparti ! <br /> Pour 2030, je ne pense pas, mais un jour, sûrement, on pourra programmer son enfant d'une manière ou d'une autre ! Espérons que les hommes feront alors des chefs-d’œuvre ! <br /> Je vote pour ce texte. Quoi? Il y en a encore? Ah bon ! J'attends alors...<br /> <br /> PS Pas de menaces en cliquant sur "commenter" aujourd'hui ! Ouf !
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C
Ah ça oui ça démarre encore trèèès fort.
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C
Et c'est reparti !!!
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