Fin de l'extrait "Dieu m'a raconté..." de Jean Destrée
- Ah! ah! je t'ai bien eu! Comment s'est terminée cette petite querelle de famille?
- Vous êtes encore là, vous? Vous avez donc décidé de me casser les pieds avec vos élucubrations?
- Allons, allons! Ne t'énerve pas, sois beau joueur. Je parie que tu pensais à moi. Je me trompe?
- En attendant ma soirée a failli être gâchée par votre faute.
- J'en suis navré mais je n'y suis pour rien. Ce n'est pas moi qui te mets dans cet état, c'est toi. Tu supputes, tu ergotes, tu gamberges, tu te rends malade et tu dis que c'est ma faute. Tu es bien comme les autres, tu me rends responsable de tes problèmes familiaux alors que c'est toi qui t'énerves et qui deviens malade.
- Bon! Admettons que vous n'y êtes pour rien, mais j'aimerais savoir vos intentions. Qu'est-ce que vous me voulez à la fin? Je ne vous ai pas appelé et vous savez bien pourquoi. Je n'ai pas besoin de vous. Je suis fatigué, j'ai besoin de dormir et de plus, je n'ai pas terminé mon travail.
- Libre à toi de penser que je n'existe pas, mais laisse-moi te dire qu'on ne s'en tire pas aussi facilement avec moi. Je suis coriace et persévérant. C'est dans ma nature divine. Avoue que tu as peur de moi. Oui, tu as peur, parce que je fais peur et c'est pour cela que les hommes, d'habitude si audacieux, se font tout petits quand ils entendent parler de moi. Ah! Qu'elle est triste, l'humanité. Moi qui aurais aimé avoir avec les hommes un dialogue d'égal à égal. C'est foutu une fois de plus. Quand je fais montre d'apparaître, tout de suite, ils rentrent dans leur coquille, se jettent à genoux et marmonnent des orémus pour essayer de me calmer alors que je viens vers eux en ami.
- Il y a de quoi. Avec tous les cataclysmes que vous avez provoqués depuis que la terre tourne. Mais croyez-moi, je n'ai pas peur. Pourquoi avoir peur de quelque chose qui n'existe pas.
- Cela reste à prouver.
- Je sais. Nous sommes à la même enseigne. Je n'arriverai jamais à prouver que vous n'existez pas et vous ne prouverez jamais que vous existez. Donc nous sommes quittes. Mais à la différence près que dans le doute, il vaut mieux s'abstenir. Et comme vous ne voulez pas être pris de doute, vous êtes dans une impasse. J'ai cet avantage sur vous que j'ai encore la solution du doute tandis que vous, si vous vous mettez à douter de vous-même, vous n'êtes plus dieu et vous n'existez plus.
- Diable! Oh! Pardon! Que c'est bien dit. Je n'avais pas pensé à cela.
- Je n'ai aucun mérite; la vie m'a fait réfléchir et j'en suis arrivé à refuser d'admettre des vérités révélées ou supposées telles. D'ailleurs ces vérités n'ont jamais été prouvées.
- Tu as peut-être raison de me rappeler à l'ordre. Cela va me faire réfléchir à tout ce qu'on a voulu me faire faire, à toutes les paroles qu'on a mises dans ma bouche et que je n'ai jamais prononcées, à tous les gestes que j'aurais posés et que je n'ai jamais posés. Ce sont les hommes qui ont voulu que j'existe. Parce que cela les arrangeait bien.
- Ne mettez pas non plus tout sur le compte des hommes. Ils sont peut-être tordus, machiavéliques, de mauvaise foi, manipulateurs mais à mon avis incapables d'inventer une telle supercherie.
- Détrompe-toi. Ce sont bien les hommes qui m'ont créé. Souviens-toi de ton cours d'histoire et replonge-toi dans la période de l'apparition de l'homme.
- Ah oui! Adam et Ève! Le paradis terrestre, le serpent et la pomme, le péché originel, l'expulsion hors de l’Éden et la condamnation à gagner sa vie à la sueur de son front. On connaît.
- Eh bien! Non! Tout cela est faux parce que tu sais bien que le monde ne s'est pas fait – je dis bien fait et pas a été créé – en sept jours mais en quelque quinze milliards d'années. Rappelle-toi le chanoine Lemaître et son Big Bang, Galilée et sa théorie héliocentrique, Darwin et l'évolution. Rappelle-toi la découverte de la petite Lucy, du Pithécanthrope, de l'homme de Spy et de l'homme de Cromagnon.
- Et alors?
- Tu ne vois pas? Tu n'as pas encore compris que ce n'est pas moi qui ai fait tout cela. D'ailleurs pourquoi aurais-je créé l'homme alors que j'ai tout ce qu'il me faut dans mon paradis. Je n'avais pas besoin de me mettre sur le dos une créature supplémentaire qui allait – je le savais de toute éternité – me créer les pires ennuis. Je ne suis pas masochiste au point de gâcher mon bonheur éternel avec les anges en inventant une créature irrationnelle, orgueilleuse, vaniteuse, agressive, guerrière, prête à tout pour conquérir le pouvoir et le garder.
- Merci pour l'homme! Vous êtes réellement peu amène à son égard. Et vous dites que vous êtes dieu! Ma parole, votre statut vous est monté à la tête.
- Ne sois pas injuste. Ouvre tes yeux et regarde autour de toi. Tu ne vois que guerres, rapines, compromissions de toutes sortes, corruption au plus haut niveau du pouvoir et les rois n'y échappent pas. Chacun court après le fric et tuera son semblable pour lui prendre ce qu'il a. Ce n'est pas moi qui ai fait ça, ce n'est pas dans mon esprit de bonté. Non je refuse d'avoir fait ce personnage indigne du paradis qu'il a aussi inventé.
- C'est fini ce déversement de fiel et de vinaigre? Venons-en au fait. Pourquoi venez-vous me raconter tout cela? J'ai autre chose à faire, je vous l'ai dit. J'ai du boulot et je suis fatigué; laissez-moi tranquille.
- Je m'en vais mais je reviendrai car j'ai beaucoup de choses à t'apprendre.
J'ai un affreux mal de tête; à croire qu'elle va éclater. Je me couche et essaie de m'endormir. Je sens ma femme qui se colle à mon côté. Elle a chaud et moi, je grelotte.