JOUR 2... Jean Destée et "Dieu m'a raconté..."
- Bon! Maintenant ça suffit! J'ai autre chose à faire qu'à perdre mon temps à philosopher. Je vous ai déjà dit que j'avais beaucoup de travail. Retournez d'où vous venez et laissez-moi terminer. D'ailleurs l'heure du souper va sonner. J'ai faim.
- Jean! Jean! tu viens? Il est presque huit heures. On mange. Il ne manque plus que toi.
- J'arrive tout de suite, le temps de terminer un paragraphe et je suis à vous.
- Ne traîne pas sinon ta soupe sera froide.
- Oui! oui! je viens tout de suite.
Je descends lentement l'escalier en proie à la plus grande perplexité. Ma femme est déjà à table avec les enfants. Je dois avoir une drôle de mine car elle me fait une réflexion, ce qui lui arrive rarement.
- Toi, tu n'as pas l'air dans ton assiette. Tu es malade?
- Pas spécialement. Je suis un peu fatigué. J'ai beaucoup travaillé aujourd'hui et je n'ai pas encore fini. Après le souper, je remonte achever; j'en ai bien pour jusqu'à onze heures.
- Tu ne regardes pas "Thalassa" avec nous? susurre ma fille, la bouche encore pleine de tartine au jambon.
- Malheureusement non; pourquoi? C'est intéressant?
- Oui, c'est sur la pêche au requin en Méditerranée. Reste avec nous, papa! Pour une fois que tu es à la maison. C'est bientôt, le temps d'une pub.
- D'accord, mais après je vais achever ce boulot.
Évidemment, je ne dis pas ce que j'ai entendu, je passerais pour un joyeux farfelu. Pour faire plaisir à ma fille, je vais regarder la télé. Je pense à mon fantôme qui subrepticement s'insinue dans mon univers. C'est qu'il se met à occuper mes pensées, ce personnage insaisissable qui se prend pour dieu. Encore un peu et il va se mettre entre ma famille et moi. Allez! Au diable! Dieu de mes deux…
- Qu'est-ce que tu racontes, interrompt ma femme. Qui envoies-tu au diable ainsi?
- Personne, je me parlais à moi-même.
- Tu vois bien qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez toi. Tu parles tout seul et quand on t'interroge, tu réponds de travers.
- Je ne te réponds pas de travers, je te dis que je me parlais à moi-même. Je ne vois pas en quoi cela te choque. N'en parlons plus, veux-tu, c'est inutile de nous disputer pour une peccadille.
- Ah! Parce que c'est une peccadille de s'inquiéter de ta santé, tu ne manques pas d'air. Tu n'es pas bien, je le vois. Tu as la mine de quelqu'un qui couve quelque chose et tu voudrais que je ne m'en fasse pas. C'est bon!
- Bah! Ne te fâche pas. C'est vrai que je me sens fatigué. Un peu de calme me fera du bien. Où est-elle cette émission?
- Sur France 3. Dépêche-toi, papa, c'est déjà commencé, tu as raté le début.
Je raterai bien autre chose. Je vois l'émission mais j'ai l'impression de ne rien y comprendre. C'est la première fois que je me trouve dans cet état de semi-inconscience. J'entends tout ce qui se dit mais comme dans un rêve, comme si j'étais sous le coup d'une sorte d'hypnose. J'entends ma fille faire des réflexions. Son frère la rabroue et je me dois d'intervenir avant que la discussion ne tourne à l'aigre. Personne ne me répond comme si je n'avais rien dit. Je monte. Je suis incapable de travailler et je vais me coucher, à la fois désorienté par ce que je ressens et réjoui de n'avoir pas dû intervenir pour calmer les deux gosses. Je me couche et essaie de m'endormir.