Concours : "Catastrophe, les envahisseurs approchent !" Texte 2
La Colère des Etoiles
Dans la nuit noire, sous le regard silencieux de la lune, des étoiles de colère volèrent en éclats. Gigantesques et difformes, pareils à des feux d'artifices aveuglants et dégoulinants dans l’obscurité. Le ciel tonna si fort et si longuement que toutes les pierres du village d’Alghadiba se mirent à trembler. Du plus bel édifice à la plus petite chaumière. Les anciens implorèrent la clémence des cieux. Les plus jeunes se précipitèrent, apeurés, dans les couches parentales. C’est ce que fit le petit Aziz, élevé seul par son père, dans un appartement perdu au septième étage d’un immeuble sans ascenseur.
- Papa, papa, c’est quoi tout ce bruit, j’ai peur !
- Mais non, ne t’inquiète pas, je suis là.
Le cœur de l’enfant battait si vite qu’il en perdait le souffle.
- Tu sais, mon chéri, on pourrait croire que le vacarme se joue au-dessus de nos têtes, mais non. C’est bien plus loin.
- Loin comment ?
- Très loin. Au moins à trois villages d’ici.
- Ah bon ? Comment tu le sais, papa ?
- Ah, ah… Pour tout te dire, je sais même ce qui se passe précisément, mais c’est un secret.
- Dis-moi, papa ! S’il te plaît, dis-moi !
- Bon d’accord, mais tu dois me promettre de ne rien dire à personne. Même pas à tes camarades de classe.
- Promis !
- Alors, voilà : un film est en train d’être tourné dans notre beau pays. Te rends-tu compte, mon chéri ? Un film de science-fiction, à grand spectacle, et je peux même te dévoiler le titre, si tu veux.
- Oh oui, dis-moi, papa !
Le père tourna la tête à gauche, tourna la tête à droite, follement suspicieux, puis s’approcha de l’oreille de son fils, et chuchota :
- La Colère des Etoiles.
- Pour de vrai ?
- Bien sûr, pour de vrai.
- Est-ce que ça ressemblera à la Guerre des Etoiles ?
- Un peu, mais en bien plus incroyable. Mais souviens-toi, tu m’as promis...
Un tonnerre assourdissant interrompit la conversation, fit trembler la fenêtre de la chambre et, en ricochet, le corps du petit garçon.
- N’aie pas peur, mon chéri. Tu sais, quand le tournage sera terminé, nous serons tous invités à l’avant-première. Je le sais de sources sûres, et ce sera formidable, tu verras.
Dans la douceur du mensonge et les bras de son père, le petit Aziz finit par s’endormir.
Aux premières lueurs du jour, plus rien. Comme si tout n’avait été que le songe d’une mauvaise nuit d’été. Comme un coude-à-coude entre guerre et paix.
A la faveur du cessez-le-feu, chacun continuait à travailler et étudier. Vivre. Presque normalement. Mais une fois le soleil au crépuscule, les bombes ressurgissaient, plus proches et menaçantes au fil des nuits.
Une semaine après les premières détonations, un homme toqua à la porte du père de famille attendant que son fils rentre de l’école. Il avait le visage blême et la voix chevrotante.
- Mon ami, à partir de ce soir, nous n’avons plus le choix, il faut que nous passions nos nuits au sous-sol.
Un défilé de matelas et de couvertures emprunta l’escalier étriqué jusqu’à l’abri supposément protecteur. Une ampoule solitaire éclairait la pièce. Les regards se perdaient dans la peur et le silence.
Au bout d’une heure, à pas de souris, le petit Aziz s’approcha de son père et, les deux mains en accolade, pour que personne ne l’entende, il l’interrogea :
- Papa, tu crois pas qu’on peut le dire maintenant, le secret ? Regarde, ils s’inquiètent tous pour rien.
Et sur un ton plus feutré encore, le père répondit :
- Surtout pas, mon chéri. S’ils apprennent pour le tournage, tous se rueront sur le plateau, des centaines puis des milliers de personnes, et dans la foule, inévitablement, certains seront bousculés, piétinés, voire pire. Tu comprends, mon chéri, qu’il ne faut surtout rien dire ?
- Bon, d’accord.
Aziz tint parole le premier soir, mais le deuxième, il se confia à Youssef qui la nuit suivante se confia à Louna qui la nuit suivante se confia à Mehdi. Et ainsi de suite, jusqu’à constituer une unité bien soudée. L’ensemble des enfants. Tous chuchotaient, imaginaient des scènes homériques, maniaient des sabres laser et commandaient des robots déjantés. Dans leurs yeux, l’innocence de l’enfance brillait à nouveau.
Mais la réalité approchait.
Une nuit d’orage parmi tant d’autres, la porte de l’abri fut forcée.
Quatre hommes en tenue militaire, cagoulés et armés de fusils d’assaut.
Le plus grand s’avança d’un pas et ordonna :
- Si Mamoud Maloudi est l’un de vous qu’il se dénonce, sinon vous serez tous exécutés.
- C’est moi.
Le père du petit Aziz ne s’appelait pas Mamoud Maloudi, mais il se leva.
Avant de quitter la pièce, il s’agenouilla devant son fils et lui offrit un dernier secret :
- C’est juste un rôle pour le film, mon chéri, et je suis heureux de pouvoir l’avoir.