Concours : Catastrophe ! "Mes désirs deviennent/sont devenus réalité" Texte 7. C'est le dernier ! Votes sur ce post jusqu'à 18h
Les plaisantins
(toutes les prophéties sont autoréalisatrices)
Tout avait commencé par une franche rigolade.
Arthur - c’est le nom de mon copain - était encore à l’époque un sacré déconneur, tout en s’intéressant très sérieusement à des sujets compliqués qui, perso, me passaient nettement par-dessus la tête, comme la puissance du mental, l’autosuggestion, enfin, ce genre de truc…
Je ne me souviens plus des détails de la discussion qui nous avait amenés à notre première expérience sociale. Rien de bien sérieux, histoire de déconner, je l’ai dit…
Arthur, affichant une pauvre opinion de l’espèce humaine, prétendait par exemple qu’il suffirait de faire courir le bruit d’une pénurie quelconque pour la provoquer. Une prophétie autoréalisatrice, en quelque sorte ! Chiche…
Après avoir hésité pour le papier cul, nous nous décidâmes pour les préservatifs. Arthur avait des copains et des copines dans toutes les boîtes branchées et il ne lui fut pas difficile de commencer à faire naître la rumeur d’une prochaine rupture d’approvisionnement.
À notre plus grand plaisir, le résultat dépassa vite nos espérances. Au bout de deux semaines, toutes les pharmacies avaient épuisé leur stock et les files d’attente s’allongeaient devant les distributeurs automatiques. Et quand le PDG de Durex lui-même dut monter au créneau pour affirmer sur un plateau télé qu’il n’y avait jamais eu le moindre problème au niveau de la production, nous fûmes aux anges ! Pliés de rire !
Bon, après un tel succès, nous n’allions quand même pas nous arrêter là !
« Ça te dirait de passer à la vitesse supérieure ? » me proposa Arthur avec un clin d’œil appuyé.
« Bon, je veux bien… Par exemple ?
- Nous allons faire courir le bruit d’une nouvelle épidémie… Qu’en dis-tu ? »
Je haussais les épaules. « Quoi ? Là, tu déconnes pour de bon…
- Pas si sûr. Ce qui devient vrai est ce dont nous finissons par nous persuader. Jamais lu d’article sur ces sorciers aborigènes australiens qui, juste en pointant un os sur la poitrine de la future victime, pouvaient tuer sans coup férir n’importe quel membre de la tribu ?
- Mais comment voudrais-tu…
- Renseigne-toi… Personne ne nourrissait évidemment le moindre doute sur la puissance du sorcier, ceci étant bien entendu fondamental. Bref, il s’agissait bel et bien d’une condamnation à mort, le gus en question y croyant tellement qu’il cessait aussitôt de s’alimenter et succombait au bout de quelques semaines !
- Merde alors…
- Bon, là, il s’agirait juste de créer un peu d’inquiétude pour voir à quelle vitesse prend la mayonnaise, hein !
- Si tu crois…
- Je connais quelques journalistes travaillant pour des canards à sensation. Je leur en touche un mot ? Ils marcheront dans la combine si je leur demande juste d’évoquer, sans trop insister, une nouvelle maladie virale avec de vagues symptômes, comme de la fièvre, des éruptions cutanées, des choses comme ça… Nous attendons quelques semaines pour voir ce qui se passe et nous publions ensuite un démenti, alléguant une erreur d’interprétation… Qu’en dis-tu ? »
J’hésite. Je trouve que ça va quand même un peu loin.
Il me tape sur l’épaule. « Tu ne vas pas te dégonfler, si ? Allez, je m’en occupe et te tiens au courant ! »
Je me suis marré quand j’ai lu le très court article en troisième page. Sacré Arthur !
J’aurais fini par oublier cette drôle de farce quand, stupéfait, j’appris deux semaines plus tard, en regardant le journal télévisé, que les hôpitaux signalaient une nette augmentation du nombre des malades se disant affectés par la nouvelle maladie. Dingue…
Incrédule, ennuyé, perplexe, j’appelai aussitôt Arthur au téléphone. Hilare, il me répondit aussitôt qu’il était au courant, ajoutant qu’il avait décidé de corser le jeu en demandant à ses copains journaleux d’insister sur les éruptions cutanées permettant de reconnaître à coup sûr la « maladie ». Je n’osai pas lui dire franchement qu’il fallait aussi savoir s’arrêter…
Les médias mainstream, ne voulant pas être en reste, s’emparèrent de l’affaire en dramatisant encore un peu la situation, et les habituels « médecins de plateau » se mirent à tenir le haut du pavé médiatique. Et des malades, de plus en plus nombreux, outre une forte fièvre, commencèrent à observer sur tout leur corps ces drôles de petites taches bleues…
Arthur exultait. « Mais enfin, comment une telle chose peut-elle être possible ? » lui demandai-je, au comble de la sidération. « Comment concevoir une chose pareille puisque c’est nous, nous, qui avons inventé tout ça ? »
Il éclata de rire. « Jamais entendu parler des stigmates ? » me répondit-il. « Oui, ces plaies aux mains et aux pieds dûment constatées chez certains mystiques… Alors, les taches, pourquoi pas, au fond ? »
Pourquoi pas, en effet ? En tout cas, en dépit des explications d’Arthur visiblement en train de jouir de sa réussite, je jugeai qu’il était devenu temps d’arrêter tout ça. Grand temps. Vraiment. La plaisanterie tournait mal…
Il finit par l’admettre et contacta à cette fin ses journalistes véreux. Sauf que tout ça s’était emballé entre-temps et que, malgré de multiples démentis, l’épidémie semblait bel et bien là.
Au bout de quelques semaines de cette situation, désespéré, rongé par un douloureux sentiment de culpabilité, je me rendis à son domicile. Après de multiples coups de sonnette, il finit par venir m’ouvrir. En pantoufles et pyjama, traînant les pieds.
Le visage constellé de petites taches bleues…