Concours "Les petits papiers de Chloé" : le bonheur est ailleurs - Texte 2

Publié le par christine brunet /aloys

Oh l’amour ! 

Ah l’amour ! Celui des poètes, des chansons, des romans, celui qu’on croque à pleine dents, celui que tout un chacun attend ! L’amour rose, l’amour bleu, l’amour fou. 

Marie l’a attendu toute sa vie, l’amour ! Il n’est jamais venu ! Et ce n’est pas faute d’avoir tout mis en œuvre pour qu’il vienne à elle ! 

Petite, elle a cherché l’amour maternel, mais la femme que le ciel lui avait choisie comme génitrice ne lui a témoigné qu’indifférence. Pourtant, Marie était une petite fille toute mignonne et obéissante. Elle a toujours tout fait pour plaire à sa mère. Elle l’aidait dans ses tâches ménagères, elle travaillait bien à l’école, ne contredisait jamais ses parents, ne leur demandait ni cadeaux extravagants ni argent de poche. Son père était toujours absent et sa mère lui préférait ses copines. Carole passait des heures au téléphone, des soirées dans des pubs, au cinéma, au théâtre, pendant que sa fille restait seule chez elle, frissonnant d’inquiétude. 

Puis un jour, lorsque Marie a eu 16 ans, elle a tout plaqué : l’école, sa mère, tout. Elle avait trop donné, trop attendu l’amour d’une mère indigne. Elle l’a compris en lisant un de ces sempiternels romans que Carole exécrait. Elle est partie sans rien, sans laisser une lettre explicative, sans un mot.
Elle a cru rencontrer l’amour en la personne de Carlo. Il était beau comme un dieu. Il avait dix ans de plus qu’elle, mais qu’importe. Elle en est tombée folle amoureuse. Mais pour lui, tout ça n’était qu’un jeu et aussi un moyen de subsistance, car le beau Carlo a mis très vite la jeune fille naïve qu’elle était alors sur le trottoir avec l’ordre de rentrer au bercail avec du fric et pas qu’un peu. 

Marie se souvient de cette époque avec horreur : sa première passe, les mains grasses et velues d’horribles personnages sur son corps de jeune fille et bien plus encore. Les jours ont succédé aux jours, les passes aux passes. Marie est devenue une pute, une putain de pute. Il faut employer les mots adéquats. 

Si Marie n’a pas trouvé l’amour en la personne de son mac, elle a trouvé une certaine protection, presque un foyer, même si elle côtoyait souvent des êtres démunis comme elle, des jeunes filles qui ne faisaient que passer dans l’appartement loué par Carlo en plein centre-ville. On ne peut pas dire qu’elle a trouvé de l’amour auprès de ces filles blessées comme elle par la vie, mais, parfois, une certaine complicité.

Quelques années plus tard, elle a cru trouver l’amour auprès de sa fille, une jolie colombe arrivée un beau jour de printemps sans que sa mère s’y attende. Marie avait fait ce qu’on appelle un déni de grossesse. Elle allait donner naissance à un être créé à partir d’une graine inconnue, ce n’était pas possible ! Qui parmi tous ces hommes abjects avaient-ils pu lui laisser ce souvenir en partant ? Marie s’était pourtant toujours bien protégée ! 

Le fait est qu’une petite fille vint au monde. Quand elle la vit, toute rose, les cheveux noirs encore mouillés, la figure encore fripée, son cœur fondit littéralement. Si elle n’avait jamais trouvé l’amour, elle allait en donner, et à profusion ! Hélas, Marie ne reçut en retour que de l’indifférence, une fois de plus. Même sa fille ne l’aimait pas, c’était manifeste ! En fait, Marie  pensait ne pas mériter l’amour des autres puisque personne ne lui en avait donné. 

Aujourd’hui, Marie est vieille : elle a 25 ans. Vous direz sans doute qu’elle est encore bien jeune et, dans votre esprit à vous, vous aurez sans doute raison. Mais Marie se sent très vieille, elle a trop vécu, elle a trop donné, elle se sent vide, sans force, vieille, il n’y a pas d’autres mots. 

Sur le pont qui surplombe l’autoroute, Marie pense à tout ça, à l’amour qu’elle a cherché désespérément et qu’on a toujours refusé de lui donner, à sa triste vie façonnée par des mains bien mal intentionnées. Elle regarde en bas, toutes ces voitures qui filent à vive allure. Il suffirait d’un instant de courage, un petit saut dans le vide. Un petit article dans le journal pour signaler l’accident et Marie aurait disparu de la surface de la terre, invisible comme elle l’a toujours été. L’aura-t-elle, ce courage-là, l’aura-t-elle ? Le bonheur tant recherché, le trouvera-t-elle ailleurs ?

 

Publié dans concours

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
Pourvu qu'elle le trouve enfin !
Répondre
E
Quel destin signé par les incompréhensions... Certes, si on n'a pas reçu l'amour, on ne sait le donner, on n'en donne qu'une image, et très estompée...
Répondre
M
Une progression intéressante.
Répondre
S
C'est terrible ! On a tant envie de la ceinturer, Marie, pour l'empêcher de sauter ! Mais, bravo, l'histoire est bien menée ;)
Répondre