Benoît Jacquemart nous propose un autre extrait de son roman "Les oiseaux de Lunga"
Le train remontait paresseusement en direction d’Inverness. C’était un long voyage qu’avaient entamé un monsieur d’âge déjà avancé et la dame qui l’accompagnait. Elle ressemblait à une gouvernante. Une gouvernante moderne, qui trimballait un énorme sac à dos, en plus d’une antique valise, laquelle devait appartenir au vieux. Celui-ci portait un petit sac de voyage en tweed qu’il serrait la plupart du temps contre lui.
Leur présence et leur aspect pouvaient paraître incongrus mais ici, personne ne se posait de question. Ils devaient être anglais, ou même continentaux, tout le monde s’en fichait, ça les regardait. L’homme, un peu plus de 70 ans, portait un costume qui devait avoir au moins la moitié de son âge. Une cravate en tartan lui donnait un air local, mais c’était sans doute une coquetterie due à son passage par l’Écosse. Il arborait une chevelure encore bien fournie, châtain clair, à peine striée çà et là de quelques fils gris, surtout près des tempes. Un bel homme, avait noté une contrôleuse de ScotRail.
La gouvernante était une femme entre deux âges, au visage plutôt avenant. Elle avait des cheveux très blonds coupés en carré avec une frange qui lui cachait une partie du front, mais pas les yeux, d’un vert profond. Elle n’avait pas l’image de la gouvernante des vieux romans anglais, au chignon strict et à la tenue qui l’était tout autant. Elle avait toutefois sacrifié à cette antique tradition en portant un tailleur anthracite dont la seule fantaisie était une discrète collerette en dentelle noire. Elle portait aussi d’épais bas foncés et des escarpins qui semblaient presque des chaussures de marche. Mais si on ne s’attardait pas trop longtemps à détailler l’accoutrement de la dame, elle passait inaperçue. Ce qui était bien le but. Seul l’énorme sac à dos semblait totalement déplacé dans le portrait que l’on pouvait se faire du personnage, mais si l’on mettait ce détail sur le compte d’une excentricité somme toute très british, l’attention que l’on aurait pu lui porter était de courte durée.
Adélaïde Piraumont et Anthelme, son père, avaient mis un soin particulier à peaufiner leur nouvelle apparence, celle qui leur permettrait de disparaître définitivement. Ils étaient méconnaissables pour des gens qui ne les auraient jamais vus et même si, par extraordinaire, un portrait d’eux était diffusé sous forme d’avis de recherche, il y avait peu de chance que quiconque se souvienne du vieux et de sa gouvernante, dans un train en route pour le nord de l’Écosse. Surtout que, espéraient-ils, si un avis de recherche venait à être diffusé, cela ferait déjà plusieurs jours qu’ils auraient terminé leur voyage en train.