Micheline Boland nous propose un texte pour la période de Noël: "Substitution"
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Substitution
Des brindilles, de bien maigres bûchettes et rondins, ils n'avaient plus guère que cela à pouvoir apporter. Ils avaient dépensé tout leur avoir pour acheter ce bahut dont l'envie leur brûlait le cœur et la pensée depuis quelques mois. Ils avaient espéré que l'hiver serait clément et qu'ils auraient peu de frais de chauffage et de vêtements. Ils avaient eu l'audace de compter sur la bienveillance du temps et des éléments naturels. Ils n'avaient pas envisagé qu'ils allaient être invités pour Noël chez des voisins auxquels ils devraient, comme c'est l'habitude dans leur région, offrir une bûche du plus bel effet et du meilleur bois. Ce cadeau était, en ce temps-là, le seul partage matériel des frais du réveillon.
Ces misérables branchages qu'ils avaient récoltés dans les endroits boisés des environs, jamais ils n'oseraient en faire don. Ils étaient tout juste utiles à pouvoir cuisiner et à réchauffer un peu leur foyer le soir venu, quand le travail terminé ils se laissaient aller à la rêverie au coin de l'âtre sous une douce couverture. Pour ces activités, peu importait, en effet, la présentation du combustible, seuls comptaient les résultats. Pour illuminer un réveillon de Noël, il s'agissait, cependant, de faire un présent non seulement fonctionnel, mais aussi ravissant. La forme avait, ici au moins, autant d'importance que l'usage prévu.
Alors ils firent appel à leur imagination pour dissimuler leur pauvreté du moment. Elle pensa broder un napperon représentant une bûche ou encore en graver une sur un petit panneau qu'elle possédait. Elle imagina aussi donner de modestes rondins individuels, joliment emballés dans un papier qu'elle décorerait avec soin, afin que chacun au moment opportun alimente le feu. Mais il estima que cela n'aiderait pas vraiment leurs hôtes à réduire leurs dépenses. Tout cela était juste symboliquement acceptable. De manière tangible, cela ne faisait pas le poids avec l'offrande traditionnelle.
Comme ils avaient des œufs, de la farine, de la confiture, du sucre et du lait, elle proposa de réaliser un gâteau ce qui serait une réelle contribution personnelle au repas et ne révélerait aucunement leur précarité actuelle. Il accepta son initiative, tout en l'invitant à donner au gâteau la forme de l'objet attendu.
Elle roula donc sa pâte après l'avoir soigneusement aplatie et garnie d'un peu de confiture. Elle orna son œuvre de nœuds et d'un entrelacs en confiture représentant les veines et les aspérités d'une écorce.
D'un air joyeux, ils offrirent leur délicieuse pâtisserie, prétextant qu'un peu de renouveau ne fait jamais de mal à personne.
Leur innovation eut tant de succès que bientôt à travers le pays tout entier, puis à travers quantité de contrées de plus en plus lointaines, de tels gâteaux furent confectionnés. Ces pâtisseries furent par la suite garnies de crème au beurre, nappées de moka ou de chocolat, fourrées aux marrons. Leur base devint une génoise moelleuse à souhait, tant l'homme cherche à améliorer ses créations.
Qui penserait que l'origine de la coutume fut un manque provisoire de ressources ? Qui oserait prétendre qu'il n'y a point d'issues heureuses aux imprévus de la vie ?
Qu'un chemin soit inabordable, nous en trouverons tous bien un qui nous conduira d'une manière différente vers cet endroit où nous espérions aller. Notre imagination n'est-elle pas notre plus sûr allié ? Notre capacité à découvrir tant d'autres voies n'est-elle pas ce qui nous rend uniques parmi tous les êtres de la création ?
Micheline Boland