Edmée de Xhavée a lu "bouquet artificiel" de Méliane Sorgue
J’ai lu “Bouquet artificiel” de Méliane Sorgue (Edmée De Xhavée)
Une bien jolie couverture où une colombe s’élance avec, dans son bec, un fouillis de fleurs sauvages.
Car sauvages, elles le sont plus qu’elles ne s’attendaient à l’être, Violette, Anémone et Marguerite, que Rose rencontre à la fin de leurs vies pleines d’épines, et dont elle parfume doucement le départ. Elle est, nous dit-elle, un baume pour les plaies inguérissables, l’ultime soulagement, la porte d’entrée vers l’inconnu qui représente un espoir immense, sinon le bonheur, au moins l’apaisement total…
Et c’est que Violette, Anémone et Marguerite ont bien besoin d’un apaisement total après ces existences qui furent plus de la résistance.
Chacune vient d’un milieu différent, mais elles sont toutes de la même cuvée. De cette cuvée où le mariage représentait le salut (rester vieille fille était l’échec abominable).
Violette nait de parents catastrophés par le résultat de leur union charnelle, comme un chien, chat ou cochon, sans avoir été attendue avec joie et projets, et grandit « comme une chose sans importance » dans l’indifférence la plus froide. Ils reproduisaient ce qu’ils avaient vécu eux-mêmes avec des parent encore plus durs. Décidément pas choyée par la vie, elle est, en prime, plutôt vilaine : un regard stupide dû à de petits yeux marrons, ronds et sans éclat, comme ceux d’un ragondin. (…) Pour un effet encore plus désastreux, mes géniteurs avaient oublié de m’attribuer un cou. (…) Ma démarche était lourde, sans grâce, comme si on m’obligeait à porter en permanence sur la tête une bouteille de Butagaz. Et cependant, elle trouve un mari. Ce qui lui donne l’illusion que le monde, soudain, est plus vaste : aller au cinéma, avoir pour une fois une jolie robe, trouver un appartement, préparer un trousseau…
La nuit de noces la propulse dans une nouvelle vérité amère, avec un jeune époux dépourvu de douceur qui, pour prendre son dû, l’éventre à tel point qu’elle finit à l’hôpital avec une hémorragie. Hémorragie du peu de joie trouvée aussi, finie la tendresse et l’affection, place à l’horreur. Une horreur de l’époux qui détruira toute sa vie, celle de l’époux et… celle du fils adoré, unique consolation à cette union barbare.
Anémone, quant à elle, grandit entre deux parents excentriques, infidèles, beaux et jouisseurs. Sa grand-mère est, dans ce paysage instable, la vraie mère-grand des contes, toujours présente, admirative, aimante. Anémone est jolie. Elle a une cousine avec laquelle, gloussant comme on le fait dans la jeunesse, elle rêve de qui elle aimerait épouser plus tard, qui elle choisirait au magasin des maris parfaits, nouvelle collection.
Vient l’âge de la mettre sur le marché. Comme j’étais encore mineure, je devais me plier à l’autorité parentale et me laisser présenter comme un bel objet d’art dont on débattrait du prix et des capacités de l’acquéreur. Mais elle est un peu impertinente, Anémone, et s’amuse à faire frissonner les prétendants en leur affirmant que l’idée de la femme au foyer, l’épouse qui resterait à leur côté, qui élèverait leurs enfants est un schéma décevant, loin d’être attractif. Car elle fait des études d’infirmière. Mais hélas un jour, le prétendant est assez séduisant pour ébranler ses résolutions d’indépendance. Et le destin galope et les porte en calèche jusqu’au mariage. Et là, tout comme pour Violette, la nuit de noces a transformé le prince charmant en bête. Elle a épousé un monsieur c’est moi qui commande et il commande tout. Sans égards ou affection. Se confiant à sa mère, décrivant les horreurs dégradantes au menu de la chambre à coucher, elle est bien un peu soutenue mais s’entend parler de patience, accuser d’exagération, puis conseiller d’accepter des infidélités conjugales qui la soulageraient de cette « charge obligatoire du mariage ».
Ici aussi, la consolation viendra de la naissance d’un enfant, qui détournera l’époux de son corps et lui permettra d’aimer. Et la perte de cet enfant sera l’anéantissement de l’âme même d’Anémone.
Marguerite, elle, grandit avec des frères et sœurs entre deux parents que la vie a brisés : le père est revenu changé de la guerre 14/18, et meurt en laissant une veuve de 40 ans, incapable de se prendre en charge et dépressive, et quatre enfants que Marguerite, en tant qu’aînée, protègera. Marguerite s’attire les regards d’un veuf sans enfants, qui l’achète à sa mère (avec des termes plus élégants, mais c’est bien de ça qu’il s’agit). C’est un homme bon, qui ne désire que deux choses : bien manger, et un enfant, en échange de quoi Marguerite sera choyée et initiée à la lecture de bons livres, à une vie confortable.
Hélas cet homme gentil et délicat meurt lorsque l’enfant tant attendu fête ses deux ans. Et des années plus tard, le pire, qui arriva en plein dimanche après-midi, un jour ensoleillé, un jour d’automne radieux où l’or et la pourpre illuminent votre horizon et vous enflamment l’esprit reconnaissant de tant de beauté…
Oui il y aura encore du bonheur pourtant dans la vie de Marguerite, qui à la cinquantaine vit un nouvel amour. Amour qui se repose sur l’amitié alors que les années ont passé et que la vieillesse enlaidit le corps, ternit les âmes et invente mille tortures pour lasser tout optimisme, tout désir, tout plaisir…
On le voit, ce bouquet artificiel n’est pas un livre optimiste, mais j’ai vraiment apprécié les descriptions minutieuses des environnements, personnages, l’ambiance, les diktats de l’époque, les hypocrisies incontournables, et aussi l’analyse de ces jeunes âmes qui, dès le début de leur vie, qui devrait être un début si heureux – le mariage, l’amour, des familles aimantes… - doivent déjà se reconstruire, se contenter, s’adapter.
Edmée de Xhavée