Un quatrième extrait de Meurtres Surnaturels, volume II : La Chute de Julian Kolovos Par Joe Valeska
Julian sortit de son Austin Martin V8 et Adam, de la Bentley de Francesco qu’il avait empruntée pour suivre son ami jusqu’au vieux cimetière de Barnes. Son propre véhicule avait catégoriquement refusé de démarrer. Peut-être aurait-il dû savoir interpréter ce « signe » ?
Les deux hommes, troublés par les événements qui venaient de se produire, se jetèrent des regards furtifs le temps de quelques secondes. Mais c’est Julian qui brisa le lourd silence gênant.
– Tu veux parler maintenant ou ça peut attendre qu’il fasse jour ? demanda ce dernier. Je suis prêt à tout te raconter.
– En réalité, je suis claqué, d’Ju’. Je crois que je vais aller me coucher sans même me déshabiller. Je n’en ai pas la force. J’ai réussi à conduire jusqu’au château, je ne sais par quel miracle, pour tout te dire. J’espère que Francesco ne m’en voudra pas trop d’avoir emprunté son bébé.
– C’est comme tu veux, soupira Julian. Dans ce cas, je vais vérifier que mon père va bien et je… Non… Je ne crois pas que je vais pouvoir dormir, cette nuit, non. Enfin, les quelques heures qu’il reste avant le lever du Soleil.
– Tu me raconteras tout, et je dis bien « tout », dans les moindres détails, plus tard, d’accord ? le pria Adam. Plus de secrets entre nous…
– Plus de secrets, non, lui promit Julian. Maintenant, va dormir un petit peu. Tu en as cruellement besoin.
Le jeune impresario hocha la tête et tourna les talons, prit le chemin en gravier. Bien malgré lui, il venait de se mettre à pleurer.
– Petit frère… murmura Julian.
– Quoi ? fit le jeune homme, s’immobilisant, ne se retournant pas.
– Je te demande pardon. Pour tout. Je n’ai jamais voulu te blesser.
À l’intérieur du château, l’un à la suite de l’autre, Julian et Adam montèrent le grand escalier en marbre de Carrare qui conduisait aux chambres. Avant de regagner la sienne, Julian pénétra dans la chambre spacieuse de son père et s’approcha de son lit en bois massif à pas de loup. Le paternel ronflait bruyamment. Julian sourit et quitta la pièce, rassuré.
Dans sa chambre, après avoir ôté ses chaussures et s’être déshabillé, avoir soigneusement rangé ses affaires, il vérifia, par habitude, sa messagerie. Plusieurs fois, sa sœur avait tenté de le joindre. Il s’allongea et écouta les messages. Le premier n’était qu’un simple : « Julian, tu es là ? » Même chose, à peu près, pour le second. Mais, dans le troisième, Ivana expliquait à son frère qu’elle serait de retour à Gillingham lundi, dans la journée.
Julian ne put s’empêcher de pester contre sa sœur… C’était précisément le jour où Lénora allait revenir au château dans l’espoir d’obtenir de l’acteur qu’il la suive loin de tout.
À Los Angeles, il devait être un peu plus de vingt heures. Il décida de l’appeler sans attendre…
– Julian ? sembla s’étonner Ivana.
– Bonsoir, sœurette.
– Je t’ai appelé plusieurs fois, mon frère. Tu as eu mes messages ?
– Évidemment… Pourquoi t’appellerais-je du Kent à plus de quatre heures du matin, sinon ? s’agaça Julian. Le tournage de ton nouveau film n’est pas achevé, si ? Que se passe-t-il ? Pourquoi rentrer si tôt à la maison ? Tu n’as pas rompu ton contrat, j’espère !?!
– Mais pas du tout ! s’offusqua Ivana. (Et elle se mit à sangloter, exaspérant son frère encore un peu plus.) Je n’ai vraiment pas de chance, grand frère… Deux échecs consécutifs et ça, maintenant ! Ce n’est pas possible !
– Ça, quoi ? lui demanda alors Julian. Ivana, dis-moi ce qu’il s’est passé, à la fin !
– Eh bien !!! Figure-toi que le tournage de Trapped a été mis en attente pour une durée indéterminée ! Esteban, c’est le réalisateur, tu sais, nous a dit de tous rentrer chez nous en attendant qu’on retrouve cet imbécile de Jerome. C’est Esteban qui l’a traité d’imbécile, hein ? Ce n’est pas moi.
– Attends… dit Julian en fronçant les sourcils. Est-ce que tu me dis que Jerome Wild a disparu ? On parle bien de la star masculine du film, n’est-ce pas, sœurette ?
– Oui. On s’apprêtait tous à tourner une scène très importante, mais plus de Jerome… Disparu ! Andrew l’a cherché partout, Esteban aussi, mais non… Il n’était nulle part. Ni dans les studios de la Paramount ni à son hôtel. Volatilisé ! Comme s’il avait été enlevé par des aliens… Mon Dieu !!! s’écria-t-elle soudain. Tu crois que c’est ça, Julian ? Pauvre Jerome… Enlevé par des extraterrestres qui vont lui introduire des sondes partout dans le corps…
– Mais qu’est-ce que tu me racontes ? déplora Julian. Elle est encore dans ses délires à la con… Et la police de Los Angeles, qu’est-ce qu’elle en pense ?
– La police ? Ah oui ! La police. Ils ont mis tout en œuvre pour le retrouver, bien sûr. Mais… Attention, c’est un secret ! Selon l’inspecteur chargé de l’enquête, Jerome a un passé de drogué… chuchota-t-elle. Il aurait déjà disparu des mois entiers sans donner la moindre nouvelle ni à sa famille, ni à ses amis, ni à son agent artistique. L’inspecteur prétend qu’on le retrouvera mort dans une ruelle sombre, cette fois.
– Mais c’est scandaleux de dire des choses pareilles ! Que ce soit vrai ou pas, d’ailleurs. Elle est en train de me raconter des conneries… Y a quelque chose qui sonne faux, dans sa voix… Et la police laisserait partir tout le monde ? Mais bien sûr… Je parie qu’elle a fait un caprice de diva et qu’elle m’invente une belle histoire pour que je ne m’énerve pas !
– Parfaitement scandaleux, je suis d’accord ! Ce pauvre, pauvre Jerome… J’espère qu’il réapparaîtra vite. Mais je n’ai plus rien à faire à Hollywood, pour l’instant, moi, du coup. Papounet avait peut-être raison… Je n’aurais jamais dû accepter ce film.
– Et tu reviens lundi, donc. Hum… Si j’étais toi, je resterais à Los Angeles, Ivana. On ne sait jamais. Wild pourrait revenir d’ici deux ou trois jours, je veux dire. Il est peut-être au lit en compagnie d’une admiratrice, dans un hôtel quelconque. Ça m’est arrivé à moi aussi, tu sais, avant de rencontrer Ningsih…
– Eh bien ! Je repartirai, ce n’est pas compliqué… C’est bien pour ça que les avions existent, non ? On dirait que tu n’as pas envie que je revienne, mon frère ? Tu as envie que je revienne, pas vrai ?
– La petite maline… C’est l’évidence même, Ivana. Papa sera ravi, qui plus est. Tu lui manques tellement.
– Oui, c’est ce que je pense, moi aussi. Je suis réellement impatiente d’être de retour à la maison. J’en ai soupé d’Hollywood !
– Moi de même, sœurette. Et merde !!! Sur ce, je vais te laisser… Il est vraiment tard, ici, ou tôt, et j’ai besoin de dormir un peu. Les dernières heures ont été éprouvantes.
– Dans ce cas, repose-toi bien, grand frère. Et l’on se revoit d’ici peu. Je t’aime fort, fort, fort !
– Moi aussi je t’aime. À très vite. C’est bizarre… Elle ne m’a pas demandé des nouvelles d’Adam. Vraiment bizarre…
7
Julian se leva. Il enfila son pantalon de survêtement noir et alla retrouver Adam dans sa chambre.
– Nous avons un problème, lui dit-il.
Deux heures après les premières lueurs de l’aube, les deux comparses se retrouvèrent à l’orée de la forêt de sapins et de cèdres, derrière le château Kolovos. Julian portait son pantalon de survêtement et un débardeur d’une blancheur des plus éclatantes, et Adam, juste un pantalon de survêtement gris. Il préférait courir torse nu.
Ils commencèrent leur jogging au milieu des arbres majestueux.
– Donc, Ivana revient lundi ? On n’est pas dans la merde, d’Ju’, soupira Adam. Comment va-t-on faire ?
– Comme tu dis… Et, je ne sais pas, elle était vraiment bizarre au téléphone. Je crois que ma sœur me cache quelque chose, si tu veux mon avis.
– Tiens donc ! persifla Adam. Quelle surprise ! Un autre membre de la famille Kolovos qui aurait des secrets ? C’est on ne peut plus bizarre, effectivement.
– Te cacher ma véritable nature n’était en aucune façon un manque de confiance en toi, Adam. J’avais… (Il marqua une petite pause, baissa les yeux sur la litière forestière odorante.) J’avais peur.
– Et peur de quoi ? Que je te considère comme un monstre ? Que je mette un terme à notre amitié ? Oui, j’aurais eu peur. Oui, je me serais peut-être enfui. Mais j’aurais fini par réfléchir et par revenir, d’Ju’. Ce ne sont pas que des mots. Tu es ma famille. Francesco est ma famille. Ivana aussi est ma famille. Je te l’ai dit je ne sais combien de fois et j’aime à le répéter peut-être parce que je suis enfant unique… Tu es mon grand frère. Je t’aime.
– Tu vas finir par me faire pleurer, murmura Julian. On devient beaucoup plus sensible, avec les années, ne le sais-tu donc pas ? Si tu n’étais pas torse nu, mais surtout tout en sueur, je te serrerais dans mes bras. Moi aussi, je t’aime. Il n’y a aucune différence entre ma sœur et toi, Adam. Mais… qu’est-ce qui te fait rire ?
– Oh ! Mais rien… Rien du tout. Aucune différence entre ta sœur et moi, hein ? Tu me parles bien de la même fille qui se demandait pourquoi il n’y avait pas eu douze autres films avant Apollo 13 ? La même fille qui a crié au scandale quand est directement sorti Apollo 18 ?
Julian se mit à glousser, puis à rire de bon cœur. Heureusement que ce bon vieux Francesco ne se trouvait pas là !
– Ce n’est vraiment pas cool de se moquer d’Ivana de cette façon, Adam, tenta d’articuler Julian, les yeux plein de larmes. C’est ma sœur, tout de même !
– Non, c’est certain… Mais c’est un petit peu de ta faute, espèce d’hypocrite ! répondit le jeune homme qui peinait à reprendre son souffle. « Et que s’est-il passé entre Apollo 13 et Apollo 18, hein !?! Pff ! Y a même plus Tom Hanks ! », rappela-t-il, hilare, essayant d’imiter la voix d’Ivana.
– Mais tu vas t’arrêter, oui ? le réprimanda Julian. Allez, rentrons, maintenant… Une bonne douche, un bon petit-déjeuner copieux, puis je te raconterai toute mon histoire depuis le jour où Lénora m’a mordu…