"Et si tout n'était qu'illusion ? " Texte 5
Et si tout n’était qu’illusion?
Comme souvent, monsieur Lavillefranche est arrivé à retenir Mulaka Mbangue et Loretta Dinapoli, suspendus à ses lèvres dans le parc ensoleillé. Nerveux, ils jettent de brèves œillades vers la réception, d’où ils savent que d’ici peu on les hèlera, les ramenant à la routine des autres résidents.
C’est qu’il a tant à raconter, monsieur Lavillefranche, et qu’arrivé au terminus de son train de grandes aventures, il aime ouvrir l’une ou l’autre valise de souvenirs et en partager le contenu avec les deux infirmiers complaisants. Hier, il a déploré avoir égaré la photo d’Alida, sa passion de jeunesse. Il s’en veut tellement, il l’a certainement déposée sous autre chose mais quoi ? Alida avait des yeux splendides, ils s’étaient rencontrés à Vienne… Elle était comédienne au théâtre in de Josefstadt, mais hélas leur amour avait été de courte durée, oui… oui… un certain Harry Lime – un drôle de type avec un visage poupon – l’avait contrainte à fuir avec lui par les tunnels des égouts, il ne sait plus trop pourquoi, c’est bizarre mais pourtant il s’en souvient bien !
La semaine précédente il avait évoqué, les yeux clos et un sourire errant sur les lèvres, la si jolie Audrey, tellement gracieuse. À Rome ils avaient fait un tour en vespa inoubliable, elle entourait sa taille de ses petites mains gantées et appuyait sa tête contre son épaule. Que faisait-il à Rome, il ne le sait plus mais il pense que ça avait un rapport avec le journalisme, oui ça doit être ça, peut-être écrivait-il des articles touristiques pour une revue, car il sait qu’il n’a jamais vraiment vécu à Rome et d’ailleurs il ne saurait dire comment c’est… Juste la vespa et le Colisée… et Audrey !
Et là maintenant, Mulaka et Loretta, abasourdis, ont droit à sa belle romance tardive – il ne faudrait pas en parler à ses enfants, car il était déjà marié, promis ? – avec Irène, une Grecque dont le visage laissait sans voix et que la passion auréolait. Où l’avait-il vue, encore ??? En Grèce bien entendu, mais où ? Une île, oui c’est ça, une île, et lui ce jour-là avait bu plus que de raison, il dansait comme un fou sous le soleil. Elle, elle était assise et le suivait du regard avec une telle flamme que… mais chuuuut, je crois que c’est ma fille qui arrive avec les petits, ça reste entre nous hein ? Je vous fais confiance !
Et il étreint l’avant-bras de Mulaka, adresse un sourire à Loretta qui se promet de farouchement garder ce secret d’amour…
- Bonjour papa chéri, regarde qui j’ai amené aujourd’hui, Alida et Anthony ! Dites bonjour à bon-papa, les enfants !
Elle se tourne vers eux, secoue les cheveux, s’assied sur le banc et prend la main de son père qui échange avec elle une expression de grand contentement et d’amour. Elle lui tend une photo dédicacée. À François, cordialement Alida Valli.
- Tu l’avais faufilée dans les pages de la revue de cinéma que tu m’as rendue, papa chéri… Je sais que tu l’aimes beaucoup.
- Ah ? Je la connais ?
- Pas en vrai, papa chéri, mais tu aimais beaucoup ses films.. Le troisième homme, Senso…
- Ah…. ?