Texte n°12 - Concours "C'est magique !" - Le dernier ! Il est temps de voter !
Ce texte 12 est le dernier du concours ! Relisez et votez sur les commentaires de ce post.
Vous avez jusqu'à ce soir, 20h, pour donner votre avis et permettre à un ou plusieurs auteurs de voir son texte publié dans le prochain hors-série qui saluera les 25 ans des Editions Chloé des Lys !
Résultats demain !
Le puits aux souhaits
« Throw me a penny and I'll make you a dream
You find that life's not always what it seems, no no »
Black Sabbath, « Wishing Well »
Gwen était un garçon calme et posé. Timide, ajoutait-on parfois, d’un ton un peu condescendant. À douze ans, il n’avait que peu d’amis. Le manoir familial qui se dressait, austère, à l’écart des autres maisons du village, n’aidait pas beaucoup à son intégration. Que ce soit à la maison ou à l’école, il était le plus souvent seul. On le qualifiait volontiers de chétif. N’aimant ni l’agitation, ni les jeux de ballon tant prisés de ses camarades, il préférait de loin promener sa tignasse blonde et ses pâles yeux bleus rêveurs entre les hautes étagères de la riche bibliothèque de sa demeure, remplie de rayonnages croulant sous les livres innombrables, parmi les odeurs de papier jauni, de cuir tanné, d’encre et de vélin. Mais il ignorait que cette petite manie qu’il croyait tout à fait innocente lui jouerait un jour un tour bien funeste...
Un soir, juste après le dîner, ayant rejoint comme à l’accoutumée sa pièce préférée du château, il tira d’un rayon un mince volume auquel il n’avait jusque alors jamais prêté attention. C’était un livre d’apparence tout à fait ordinaire, à la couverture vert olive, sur laquelle était gravé un titre en lettres d’or : La geste de la völva. Intrigué, il ouvrit délicatement l’ouvrage, puis souffla sur la première page, faisant s’envoler une fine couche de poussière. Aussitôt, un vent violent se leva, ébouriffant les cheveux du garçon et faisant tourner les pages à toute vitesse. Les feuillets claquaient bruyamment, certains s’envolaient, les étagères tremblaient. Pourtant, toutes les fenêtres étaient restées closes. Le livre rougit, et se mit à chauffer, au point que Gwen dut le lâcher pour ne pas se brûler. Au sol, le volume semblait doté d’une vie propre, ses pages s’agitant sans cesse, comme mues par une sorte de frénésie grandissante. L’enfant commençait à paniquer. Lorsque le vent se renforça encore, jetant livre et meubles au sol, il fut emporté dans un gigantesque tourbillon et poussa un terrible hurlement.
Quand la brume autour de lui se dissipa, il découvrit un paysage désolé, couvert de toutes parts de hautes herbes et de buissons épineux. Le manoir, comme tout ce qui lui était rassurant et familier, avait disparu. Au loin, il pouvait distinguer l’océan qui grondait. Et sur le rivage, les ruines fumantes d’un village dévasté et inconnu. Il s’en approcha et apprit des quelques survivants qui se terraient dans leurs chaumières qu’un troll détruisait tout, dévorait tout, bêtes, arbres, hommes, femmes, enfants... Il mettait la région à sac en semant la mort sur son passage. Un troll ! Gwen était apeuré. Que dis-je ? Terrorisé ! Il n’était qu’un enfant et voulait rentrer chez lui. Tout cela n’existait nulle part... si ce n’est dans les contes de fées ! Le garçon sentait les larmes commencer à monter. Que pouvait-il faire ? Il ne savait où aller. Heureusement, observant son désarroi, une famille d’autochtones accepta de l’héberger pour la nuit. Les villageois étaient étranges, le teint mat, les cheveux d’ébène, la mine sombre, silencieux. Après un rapide repas, on le conduisit à un lit de fortune sur lequel il pourrait se reposer. Alors qu’il tournait et se retournait sur sa paillasse sans parvenir à trouver le sommeil, une fillette de son âge, petite brune à la peau hâlée, les yeux noirs, vint le rejoindre. Elle chuchota à son oreille avec un drôle d’accent, assez guttural :
— Je m’appelle Néthi et je connais ton secret. N’aie pas peur. Je suis ton amie...
Gwen resta prostré, refusant de parler. Son cœur battait la chamade. Il n’avait pas d’ami. Chacun le savait bien. Il n’avait que les livres. Et cette fille... Comment pouvait-elle lui dire cela ? Néthi lui prit la main. La chaleur de ce simple contact, le sourire sincère de la fillette, lui firent comprendre qu’elle disait probablement vrai. Gwen se calma et Néthi lui expliqua alors qu’elle connaissait le moyen pour lui de retourner dans son monde. Gwen ne comprenait rien à ce qui lui arrivait. La jeune fille l’entraîna alors dehors, à la lisière du village, dans la nuit sombre. Les deux enfants, en pyjamas, étaient transis de froid dans la bise nocturne. L’herbe qui montait jusqu’à leurs genoux était humide et glaciale. Ils rejoignirent le « puits aux souhaits » local. C’était un simple trou perdu dans la brume grise, à l’entrée des vastes marais. Au fond, on distinguait une eau qui semblait aussi noire que de la suie.
— C’est lui qui m’a parlé de toi, murmura Néthi en désignant du regard le trou béant.
C’est alors que Gwen comprit. C’était comme si le puits lui parlait à lui aussi, sans pourtant que le moindre mot résonne. Il apprit qu’il devrait sauver ce pays s’il voulait rejoindre son monde d’origine. De la brume grise surgit un curieux hululement, plaintif mais mélodieux. Les deux enfants s’avancèrent ensemble dans le froid – car à deux, tout est plus rassurant – voulant comprendre ce nouveau mystère. Leurs pieds clapotaient doucement dans la boue et la vase, en direction du bruit. Ce dernier semblait bouger, tantôt s’éloignant, tantôt s’approchant, comme s’il jouait à cache-cache. Mais il n’était pas hostile. Un hurlement lointain stoppa net les deux enfants qui comprirent qu’ils s’étaient sans doute trop éloignés. Ils étaient sur les terres du troll...
Perchée sur une souche noircie et putréfiée, ils découvrirent la source du chant étrange qui les avait attirés ici. Il s’agissait d’un hibou des marais qui les fixait de ses petits yeux ronds et jaunes. Mais ils n’eurent pas le temps d’admirer le rapace. Ils découvrirent un peu plus loin une ombre d’où émanait une puanteur épouvantable. Le troll, car c’était bien lui, était tout bonnement gigantesque. Au bas mot, il devait être trois fois plus grand que les enfants, ses membres épais comme des troncs. Il était vêtu d’une simple chemise de lin, sale et en lambeaux. Par chance, grâce au brouillard, il ne les avait pas vus et se dirigeait en grognant vers un grand bâtiment gris qui se dressait un peu plus loin sur la falaise, face à l’océan déchaîné. Néthi expliqua à son camarade qu’il s’agissait d’un monastère. Mais lorsqu’elle dit cela, elle n’avait pas l’air très rassurée, ce qui intrigua Gwen, sans qu’il ait pour le moment la possibilité d’en savoir plus sur le sujet. Il fallait que les deux enfants demeurent le plus silencieux possible.
— Tu sais ce que te demande le puits. Il faut que tu arrêtes cette créature, chuchota la fillette.
— Mais comment veux-tu que je fasse ? Nous ne sommes que des enfants, et je ne suis ni un guerrier, ni un magicien !
Néthi haussa les épaules, perplexe. Il avait raison. Pourtant, il devait les sauver, elle et tous les habitants de son monde. Elle lui fit signe d’avancer en silence, pour suivre discrètement le troll, ce qu’ils firent non sans crainte. Arrivé devant l’entrée du monastère, le troll ramassa un énorme rocher, le souleva, et le lança sur l’un des murs. Ce dernier trembla. Le monstre recommença. Une fissure apparût. Le troll tentait visiblement de détruire l’édifice à coups de pierres ! Cette horrible créature osait s’en prendre à un lieu saint ! La petite fille se pencha à l’oreille du garçon et lui dit à voix basse les raisons de ses craintes : nul n’avait vu de moines ici depuis des années. On distinguait seulement des murmures. Seulement des soupirs. Et pourtant, les cloches sonnaient chaque jour. Au village et dans les environs, tout le monde craignait ce lieu, dont on racontait qu’il abritait des esprits, peut-être même une ancienne sorcière : une völva… Gwen se rappela soudain le titre du livre qu’il avait trouvé dans la bibliothèque familiale. Était-il possible qu’il soit vraiment entré dans l’histoire ?
La sorcière se tenait devant les deux enfants, d’allure presque aussi effrayante que le troll. Sans doute alertée par le vacarme fait par ce dernier, elle était sortie à sa rencontre. Elle était grande et décharnée. Elle portait une robe pourpre qui avait dû être belle jadis, mais qui désormais paraissait vieille et élimée. Ses longs cheveux gris descendaient comme des fils de laine jusque au bas de son dos. Sa peau était parcheminée et ses yeux noirs s’enfonçaient profondément dans leurs orbites. On aurait dit qu’ils lançaient des éclairs. Elle avait l’air terrible, et en même temps, elle souriait ! Elle regarda les deux enfants, puis le troll, et repartit à l’intérieur du monastère en courant. Le monstre se lança à sa poursuite. Il avait déjà franchi la porte quand, sans le vouloir, Gwen hurla. Son cri était déchirant. Toute la terreur du garçon s’était échappée de sa gorge d’un seul coup. Néthi s’était bouché les oreilles. Et le troll, surpris, était ressorti. Il regardait pour la première fois les deux enfants. Ses yeux, cruels, se rétrécirent.
Le monstre saisit à bout de bras un autre rocher, et le tendit au-dessus de Gwen et Néthi, terrifiés. Il allait les écraser lorsque les premières lueurs d’un jour pâle apparurent. En un instant, comme dans les légendes de jadis, le troll fut transformé en pierre. Dans cette contrée, beaucoup de monstres parmi les plus terribles avaient fini ainsi, figés pour l’éternité. La sorcière, qui les avait rejoints et n’avait pas manqué une miette du spectacle, éclata de rire. Un rire sinistre. Et en riant, elle ne cessait de fixer Gwen. Ce dernier, sans même l’avoir fait exprès, avait rempli la mission que lui avait assigné le puits aux souhaits. Tout commença à trembler autour de lui. Allait-il pouvoir rentrer chez lui ? Il aurait dû se sentir soulagé, et pourtant, un profond mal-être l’enveloppait. Au milieu du tumulte et du monde qui se mettait à tourbillonner, il vit Néthi. Il plongea pour la dernière fois ses yeux bleus dans les yeux noirs de la fillette. Elle paraissait affolée et faisait de grands gestes vers lui, comme si elle voulait le retenir. Et la sorcière, cette völva, riait plus fort que jamais. Avait-il fait le bien en débarrassant ce monde du troll ? Ou bien avait-il laissé le champ libre à quelque chose de bien pire encore ?
En sueur et encore tout tremblant, Gwen reprit ses esprits dans la bibliothèque du manoir familial. Le jour gris se levait. Un vieux livre vert abîmé traînait à ses pieds. Il crut entendre un rire de l’autre côté de la porte. Un rire qu’il avait déjà entendu. Un rire mauvais. Un rire qui le fit frissonner...