"Le fantastique été de mes quinze ans", une nouvelle signée Carine-Laure Desguin

Publié le par christine brunet /aloys

 

Le fantastique été de mes quinze ans

 

« Alors Philibert, tu viens au château en juillet oui ou merdum ? Si oui confirme-moi ça afin que le congèlo déborde de pizzas et autres saloperies émoticône clin d’œil. On fera comme chaque année de la physique, de la chimie, et des maths puisque tu seras pété émoticône langue pendante. Si tu es réglo, tu verras des extra-terrestres, des ovnis, et toutes ces petites choses-là, émoticône extraterrestre, émoticône frayeur. »

   Texto de mon oncle Axel, l’été de mes quinze ans. Super j’ai pensé lors de la relecture des mots ovnis et extraterrestres. L'oncle Axel était donc de retour dans son château. Ce serait cool pour moi tout le mois de juillet. Je dirais aux parents que réviser math, physique et chimie en famille, ce serait top. Pour « toutes ces petites choses-là », j’attendrais la surprise.

   Je vous dois la vérité. Je m'appelle Félix. L'oncle Axel m’a surnommé Philibert depuis ma naissance. Sans doute pour agacer Marie-Agathe, sa sœur, ma mère, plus conventionnelle que son scientifique-journaliste-explorateur-baroudeur de frère, mon oncle Axel. Qui n'habitait pas non plus dans un château. Plusieurs fois par an, quand il revenait de ses étonnantes expéditions, l’oncle Axel déposait ses bagages dans une vaste demeure intrigante, ça oui, très intrigante, située au milieu de nulle part en pleine campagne thudinienne. Ce serait les vestiges d’une très ancienne abbaye, ça c’était moins sûr car l’oncle Axel racontait souvent des bobards. Derrière les murs délabrés de la supposée abbaye, des dépendances pourrissantes encore inexplorées. Tout autour de la bâtisse, un parc ou plutôt une forêt vierge, avec des plantes qui surgissaient de Dieu sait où, et des arbres plusieurs fois centenaires qui détenaient sous leurs écorces ancestrales toute l’histoire de l’humanité. Lorsqu’on débarquait là dans la pénombre, je vous raconte pas les frayeurs au moindre bruit, un vol de chauve-souris au ras de votre casquette ou le sifflement du vent entre les branches fatiguées d’un saule pleureur très chagrin. C’est là, dans cette glaçante propriété, que j’avais toujours espéré épier l’atterrissage d’un ovni, croiser un extraterrestre ou un hybride échappé du laboratoire d’un docteur Frankeinstein.

   Fin juin les résultats sont tombés, la vraie chute. Échec en math, en chimie, et en physique. Les parents étaient furax. Ils ont accepté un séjour au château de l’oncle Axel, à condition que je travaille avec lui les trois cours pour lesquels j’étais pété.

   « Salut Axel. Bonne nouvelle, tu peux venir me chercher. Je suis pété dans les trois matières habituelles. On sera ensemble tout juillet. On se goinfrera de pizzas et d’autres saloperies, ah ah ah ! Yes ! Philibert. »

  Deux minutes plus tard, je recevais ce texto d’Axel :

« Dommage que t’es pas pété en histoire aussi. »

   En histoire aussi, il avait écrit. Bizarre comme texto. Le lendemain, je serais fixé.

   Je vous passe les promesses d’Axel à sa sœur, Oui t’inquiète il étudiera. Bien sûr que c’est important qu’il réussisse. Il réussira, c’est pas compliqué le théorème de Pythagore quand même. Et puis tout le reste, bah, ça ira. Dors tranquillos, soeurette, tu sais que ton fiston est entre de bonnes mains. Ma mère tirait la tronche, elle était pas trop convaincue. On a détalés vite fait bien fait avant qu’elle ne change d’avis.

 

   Au château, j’ai déposé mes bagages dans la chambre dite « de la tourelle », celle dont la fenêtre avait vue plongeante sur les dépendances pourrissantes. Axel m’a demandé de me grouiller, il devait m’expliquer des trucs flippants. On ferait tout en même temps, de l’histoire, des maths, de la physique, et de la chimie. Je lui ai dit qu’en histoire, j’étais top. Il avait déjà oublié. C’était pas son genre, les oublis. Axel était perturbé et bientôt je connaîtrais la raison de son énervement. Parce que oui, il était pas comme d’hab, Axel, il semblait pressé, tout excité par quelque chose. 

   En soirée, devant nos pizzas quatre fromages cramées, Axel a commencé à me raconter, avec un paquet d’émotion dans la voix, son dernier voyage : six semaines à New-York. Du banal, j’ai pensé. D’habitude, Axel revenait de l’Antarctique où il avait découvert un nouveau portail énergétique en rapport direct avec la pyramide de Gizeh ou encore il avait visité un mystérieux ranch en Utah duquel s’envolaient des oiseaux préhistoriques : des oiseaux-éléphants, des astériornis et tout ça. Et là, il revient de New-York. Bof bof. J’étais déçu et j’ai demandé :

« T’as rencontré une meuf, c’est ça ? 

  • Mais non, p’tit sot, je t’ai ramené dans mes bagages des siècles d’histoire et toutes les réponses à tes questions, il a rétorqué sur le ton de quelqu’un qui voulait maintenir le mystère le plus longtemps possible.
  • Un robot ? j’ai demandé.
  • C’est bien plus qu’un robot muni d’une intelligence artificielle, crois-moi. Grignote ces merdes, sirote ta cannette de bière, toi et moi on a du boulot, Philibert.
  • Génial ! j’ai répondu en engloutissant le reste de la pizza et de la cannette. »

   Une fois le cadenas ouvert, Axel a poussé les portes gangrénées de la dépendance. Devant nous, une vingtaine de caisses, et une multitude de rats qui grignotaient les cartons. Sur chaque caisse, un numéro usé par le temps. Axel tenait entre les mains des photocopies avec inscrits dessus des dessins qui ressemblaient à des hiéroglyphes, du charabia pour savant déjanté. « Accroche-toi, Philibert, révision histoire, géo, chimie, physique et math, il a lâché avec des étoiles plein les yeux.

  • Oh non, j’ai rétorqué, déçu.
  • Je blague. Tu as déjà entendu parler de Nikola Tesla?
  • Oui plus ou moins c’est un inventeur un peu bizarre, il aimait le chiffre trois, j’ai dit tout en bifurquant le regard vers mon ami Wikipédia … » 

   Et puis, tout en recomptant les cartons, les triant, et relisant les documents, un véritable polyvalent cet Axel, il m’a expliqué un truc abracadabrantesque. Axel se penchait gravos sur la vie de ce Nikola Tesla, il avait l’intention d’écrire sa biographie et mettre en évidence les géniales inventions de ce mec si mystérieux. Pour s'imprégner de la vie de ce génie, il avait loué la chambre 3327 de l’hôtel New Yorker à New-York, Tesla serait mort dans cette chambre en janvier 1943. Axel était donc assis devant son pc depuis trois ou quatre jours, attendant que les murs de la chambre lui parlent … Et c’est la femme d'ouvrage qui a commencé la conversation. C’est sa grand-mère, femme d’ouvrage à l’hôtel New Yorker également qui avait découvert le corps de l’inventeur. Elle a continué en affirmant que Tesla et sa grand-mère avait vécu une réelle amitié car celui-ci était abandonné de tous. Elle a ajouté que quelques mois avant sa mort, Tesla se sentant menacé avait donné à la grand-mère une vingtaine de cartons et un porte-documents. Celle-ci devait donner ces pièces à quelqu’un qui lui semblerait de « confiance ». Surtout elle devait laisser les cartons ensemble, et ils devaient être accompagnés du porte-documents. Véhiculé de mère en fille, elle possédait donc ce curieux héritage. Elle avait l’intuition que lui, mon oncle Axel, pourrait être cette personne « de confiance ». Une histoire de fou quoi. Le lendemain, dans la cave de la meuf, il a découvert tout le bazar. Deux centimètres de poussière sur chaque carton et dans le porte-documents, eurêka, les papelards étaient encore lisibles. D’après lui, il s’agissait d’un plan pour assembler une machine. La meuf ignorait de quelle machine il s’agissait. J’étais abasourdi de tout ça. Axel, lui, était remonté à fond la caisse : « Alors Philibert, retrousse tes manches, on ouvre tous les cartons, on en sort le contenu et on étale tout le long de ce mur, il a lâché sur un ton presque autoritaire.

  • Espérons que si ce sont des statuettes, elles ne possèdent pas un corps recouvert d’écailles, un visage bouffi, des yeux luminescents, j’ai dit, pas trop rassuré.
  • Et qui pousseraient des ululements en chœur ou des sons pré-polyphoniques, a continué Axel sur un ton moqueur tout en tournicotant les documents dans tous les sens.
  • Incroyable ce qu’on déballe, incroyable. »

   Tous les deux, on a plongé rapido dans le turbin. De la poussière, on en a bouffé, ça oui. Axel n’en revenait pas, ces trouvailles s’emboitaient les unes dans les autres sans trop de mal. Moi, je comprenais pas trop. Des cartons, on a sorti des générateurs, des câbles de toutes les longueurs, un clavier, des piles, un écran, des métaux, et j’en passe. Tout en s’extasiant devant tout ce matos et, pour se donner bonne conscience, Axel me donnait des leçons de physique quantique : « Tout est énergie, tu savais ?

  • Bof, j’ai répondu.
  • Fastoche. Tout est vibrations, informations et énergie. Le temps, ce sont des vibrations. L’espace, c’est de l’information. Et la matière, c’est de l’énergie. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ! Voilà !
  • Ouais, ça c’est de Lavoisier, j’ai assuré, tout fier. »

  Une fois la machine reconstituée, ce qui nous a pris deux jours complets quand même, de la sueur, des jurons, des pizzas cramées et des cannettes surchauffées, Axel était en transe : « Alors Philibert, on recherche qui et quand ? Jules César pendant la guerre des Gaules ? Pythagore exposant son théorème ? Fermi exposant son paradoxe et se demandant pourquoi nous ne voyons aucun extraterrestre sur notre planète ?

  • N’importe qui, n’importe quand ? je demande tout étonné.
  • Exact, cette machine nous montrera tout du passé !
  • Une machine à remonter le temps ! Alors … Lucille Leveau lorsqu’elle a vu trois extraterrestres devant chez elle dans la Drôme, à Chabeuil, le 23 juin 1957. C’était dans un champ de maïs, j’ai répondu sans hésitation, j’y songeais depuis deux jours à cette question, Axel. »

   Axel a tapoté sur le clavier, réglé des boutons, manipulé l’écran et réajusté des bandes magnétiques. Il a recommencé les manœuvres plusieurs fois, il ne se passait jamais rien. Mis à part des jurons dans toutes les langues, rien, nada. Axel s’excitait. Il a failli tout bousillé et juste au moment où il allait démolir la machine, on a entendu des grésillements et sur l’écran, des lignes ondulantes sont apparues. Petite précision, tout est en noir et blanc. « Voilà, un champ de maïs, on y est, lance-t-il en s’agitant comme un pantin.

  • Waouw, un engin se pose dans le champ de maïs, ça clignote de partout et là, là, regarde Axel, une femme en robe de nuit s’approche de l’ovni, c’est elle, c’est Lucille Leveau ! Trois humanoïdes sortent de la capsule et ils ont chacun un appareil qui pendouille à leur main … on dirait un GSM, mais c’est impossible en 1957 ! Comment est-ce possible que l’image soit si précise et que nous entendions les sifflements de l’engin, les gazouillis des extraterrestres et le chien de Lucille Leveau qui aboie ?
  • C’est une question de fréquences et les vibrations ne meurent jamais, retiens ça. Disons que nous avons récupéré tout ce bordel, les vibrations et les autres informations. On peut aussi dilater le temps, tu sais. Si Lucille Leveau s’approche et pénètre le tunnel temporel dilaté elle entrera dans le même temps que celui des extraterrestres, ce qui ne correspond pas à son propre temps à elle. Ça c’est de la physique, Philibert !
  • Regarde, Lucille est comme happée, son corps plane vers l’ouverture de l’engin. Les trois humanoïdes la suivent ! C’est extraordinaire ! »

   Ensuite, l’image s’est de nouveau brouillée. Axel a permuté des câbles, déplacé la machine et eurêka, l’image est réapparue. Axel et moi, on étaient cloués. On a vu Lucille inconsciente, étendue sur une table d’opération. Dans l’engin donc. Autour d’elle une dizaine d’humanoïdes qui la fixaient de leur regard lumineux. L’un d’eux a introduit une puce sous son omoplate gauche. Aucune goutte de sang n’a coulé. Les humanoïdes s’exprimaient d’après Axel en Araméen. Incroyable ! On entendait des grésillements et parfois l’image se brouillait, ça oui. Tout à coup, une porte coulissante s’est ouverte et là, au milieu d’un vaste espace, une dizaine de tables d’opération. Sur chacune d’elle, un humain adulte. Tout autour des tables, des humanoïdes qui semblaient étudier les corps inertes. Les thorax se soulevaient, ces humains vivaient, ils respiraient. Axel et moi restions silencieux. On n’a même pas pensé à filmer tout ça. Le mot incroyable, on l’a bien lâché cent fois. Nous avions reconstitué une machine qui remontait le temps et qui permettait de visionner des séquences du passé. Axel avait l’air embêté. « Un problème, Axel ?

  • Je n’aurais jamais dû t’entrainer dans cette aventure, Philibert.
  • Je me tairai, t’inquiète. Et toi, qui veux-tu voir ou entendre ?
  • Oh, ce Nikola Tesla, justement ! m’a répondu Axel, avec une idée derrière la tête. »

   Axel a de nouveau bidouillé la machine. Il l’a réglée sur la recherche de Nikola Tesla, Exposition Universelle de Bruxelles, 1910. C’est là et à cette époque que Tesla aurait présenté sa machine à communiquer dans le temps. Ces infos-là, Axel les avait lues sur le site du Surnateum, un étrange cabinet de curiosités bruxellois. Et ça a fonctionné ! Nous avons assisté à une réunion entre savants dans le bureau du commissaire de l’exposition. Nous avons tout vu et tout entendu. J’ai promis à mon oncle de ne rien dévoiler. Peu après l’écran est devenu tout noir et de la fumée asphyxiante nous a obligés à nous éloigner de l’extravagante machine. Nous titubions, nous étions au bord de l’évanouissement, et même les rats détalaient vers l’extérieur.

   Une fois remis de nos émotions, Axel et moi nous nous sommes regardés. On ne savait pas quoi se dire. Alors j’ai rompu le silence et j’ai demandé, juste pour détendre l’atmosphère : « Avant de partir en croisade pour dénicher d’autres extraterrestres, on pourrait pas rechercher mes questions d’examen ?

  • Remettons-nous au turbin, Félix ! On les trouvera, tes questions !
  • Merci, tonton ! j’ai lâché, en me dirigeant vers cette extraordinaire machine. »

Publié dans Textes

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
E
C'est le rêve, remonter le temps, et tu nous fait rêver "alla grande" (à la grande), pas de doute. Et ça sent même le vécu :) Dis, comment tu fais ? ;)
Répondre
C
Nous avons tous des vies parallèles, et je passe par le petit trou :D
A
Une machine qui devrait en faire rêver plus d'un ! Vous imaginez toutes les grandes énigmes qui pourraient être résolues grâce à elle ? Pas étonnant que Tesla se soit senti en danger !<br /> Les histoires de Carine-Laure sont toujours pleine d'imagination et un plaisir à lire. Encore !
Répondre
C
Ah ah merci, Ani. Saluons notre imagination, elle le vaut bien. Mais la machine à remonter le temps a fait rêver pas mal de monde.
C
Une inspiration et une productivité dingues... Et toujours bien dans son style ! :)
Répondre
C
Merci Christian, ton commentaire me touche. Je pense que justement la SF canalise bien mes délires et mon imagination. Pour le moment.
P
Une machine extraordinaire sortie tout droit de l'imagination de notre Carine-Laure que rien n'arrête !
Répondre
C
Non, la machine existe, Philippe =D