Vive la rentrée ! ET voici le premier texte du concours "Décrivez un futur tel que vous le rêvez ou le cauchemardez"

Publié le par christine brunet /aloys

DES CAUCHEMARS JUSQU'À LA FIN DE LA VIE DE MARIE-LAURE

 

Le matin, à son réveil, Marie-Laure est souvent imprégnée de ce cauchemar prévisible et matinal qui la questionne  tant et qui ne va sûrement pas tarder à se manifester de nouveau.

Chaque matin à dix heures précises, le téléphone sonne. Elle décroche, reconnaît la voix et les formulations de Pierre. Pourtant, elle sait que cela est impossible puisque Pierre, son époux, est mort voici plus de dix ans. Elle est certaine que c'est par la magie et le pouvoir de l'intelligence artificielle, que cet homme, qui n'en est pas un, glisse des mots tendres puis des conseils, des petits reproches ou souvenirs au creux de son oreille. Cependant, qui peut l'appeler encore "mon petit canard", qui d'autre que lui peut avoir ce rire qui se prolonge et remet le couvert après s'être presque éteint, qui d'autre peut lui reprocher des faits si précis et la complimenter pour d'anodines réussites, qui d'autres peut évoquer des anecdotes tellement intimes ? Alors, elle se contente d'acquiescer et de contenir sa colère. 

Marie-Laure continue de vivre à une époque qui ne lui convient pas, voilà son sort et son tort, se dit-elle au fil des heures, des jours, des semaines, des mois. Plus le temps passe, plus elle regrette de vivre encore. Elle aurait dû s'en aller avant ses quatre-vingt-quinze ans ainsi que l'a fait Pierre. Elle se dit qu'elle devrait peut-être hâter sa fin.

Si elle avait rejoint les étoiles voici dix ans, elle n'aurait pas eu droit à ce coussin de massage qui remplace les mains de Kévin, le gentil kinésithérapeute qui s'occupait de Pierre. Le coussin n'a pas une voix d'ange, le coussin ne prononce pas des paroles réconfortantes, parfois maladroites mais réconfortantes parce que sincères, il ne bredouille pas, il n'hésite pas, il n'éternue pas, il n'appuie pas trop fort ou pas assez fort, il ne boit pas de café, il ne sent pas la lavande. Elle ne devrait pas non plus porter un casque d'immersion virtuelle pour vivre des moments de soi-disant vacances au bord de sa plage préférée, pour visiter le musée des beaux-arts où elle est tant allée.

Elle tape sur le bras de son fauteuil : "Vous êtes tous des tricheurs, des paresseux, vous qui avez fait de machines vos esclaves !"

L'autre jour, un drone avait déposé un cadeau sur la terrasse. L'autre jour, elle a regardé une émission de télévision datant de quelques années durant laquelle Pierre participait à un débat. Ce n'était pas Pierre, bien sûr. Pierre n'aurait jamais porté une chemise bleue pour ce genre d'intervention, il n'aurait jamais tenu les propos qu'on lui attribuait !

"Pierre, mon pauvre Pierre, on te fait mentir ! On refuse d'assumer ton départ ! On t'utilise à des fins publicitaires, politiques, mercantiles, toi qui a vingt ans manifestait avec d'autres étudiants dans les rues de la capitale. On te fait dire n'importe quoi. Tu pourrais faire une déclaration d'amour à une actrice décédée ! Tu pourrais être l'auteur de textes dont tu n'aurais pas voulu écrire une seule ligne."

Marie-Laure pleure. Le robot aspirateur, elle n'en veut plus. Un jour, oui un jour, elle le détruira.  

Marie-Laure a conscience de vivre dans un monde où on trompe la confiance des gens. Quand elle est accueillie par un robot dans le hall d'entrée de la résidence où vit sa belle-sœur, elle a envie de crier : "Ça suffit. Je préférerais être accueillie par une personne moche, un peu idiote mais souriante que par toi espèce d'usurpateur." Des espions sont partout. Nous sommes épiés, prisonniers de caméras, sous l'emprise de drones, songe-t-elle. Le smartphone de Marie-Laure sonne. Elle décroche. C'est la voix de sa sœur aînée, décédée elle aussi. Elle l'appelle choupette, elle dit : "Reprends-toi, choupette. Mange un bout de chocolat…"Dans ce monde connecté, on lit même dans ses pensées.  Elle raccroche et pleure de nouveau.

Demain, oui demain, le pourcentage de messages réels sera inférieur à celui des messages mensongers, l'intelligence artificielle décidera à sa place, choisira pour elle où elle doit vivre, à quels loisirs elle doit se livrer, comment elle doit placer son argent, quelles décisions difficiles elle doit prendre dans l'urgence. Un jour, elle parlera à sa place, lui attribuera des notes de savoir-faire et de savoir-vivre, lui ordonnera de se suicider ou pas.

Publié dans Textes

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P
On démarre en fanfare ! <br /> Bon, moi, je n'avais pas vu qu'il y avait un concours. Finalement, tant mieux, je ne pourrais décrire qu'un avenir noir ! <br /> En voyant le thème, je me suis dit : on va parler d'IA. Et pouf dans le mille ! <br /> En tout cas, j'adhère complètement à ce récit, moi, qui ai l'impression de ne pas vivre à la bonne époque ! Tout est trompeur maintenant ! Comment encore croire à ce qu'on voit, à ce qu'on entend? C'est triste ! On ne peut plus se fier à ses sens, ni aux personnes qu'on côtoie, ni à rien ! <br /> <br /> Bon, j'arrête là mes idées pessimistes et je félicite l'auteur(e) de ce texte. Il faudra faire fort pour le dépasser...
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M
Bonne rentrée à toutes et à tous.<br /> Nous voici plongés dans un monde virtuel !
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P
Pauvre Marie-laure! <br /> Monde virtuel ou monde cruel ? <br /> Un mal-être , un malaise bien exprimé!
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A
Un démarrage en fanfare et cauchemar ! On rêverait d'être capable de botter des fesses virtuelles... <br /> Bonne rentrée Christine et bonne rentrée à tous !
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E
Excellent texte, on est tout de suite dans le bain (de la rentrée :D). Je me réjouis de lire les autres aussi, on dirait que le sujet a fait mouche. Bravo à l'auteur. Je sens une écriture de femme, mais n'en sais pas plus...
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C
Eh bien ça démarre fort. Pauvre Marie-Laure, la voilà plongée jusqu'au cou dans ce monde virtuel. Mais ns sommes ds une illusion, n'est-ce pas?
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C
C'est la rentrée et le tout premier texte présenté pour le premier concours de notre revue ! <br /> Bonne lecture et bonne rentrée à tous !!!
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