Un extrait d’"Ainsi, je devins un vampire" par Joe Valeska
/image%2F0995560%2F20250311%2Fob_ac6044_9782390183310-1-75.jpg)
Un extrait d’Ainsi, je devins un vampire,
par Joe Valeska
« Pourquoi je pense être un vampire ? JE SUIS un vampire, Lela ! Non un mystificateur. Et votre question, si je ne m’abuse, était de savoir ce que je recherchais… »
Une idée machiavélique me traversa soudainement l’esprit. Je me mis à réfléchir à cette nouvelle option. Lela affichait un air dubitatif.
La pauvre n’arrivait plus à me suivre.
« Pour tout vous dire, je recherche un très vieil ami. Je ne l’ai pas revu depuis une éternité… Pour moi, il était un modèle. Un père. Avec sa bénédiction, nous nous mariâmes, sa fille et moi. Hélas, après dix belles années ensemble, Valentina contracta une terrible maladie qui la laissa défigurée. La tristesse se transforma en frustration, la frustration devint rage et la rage engendra la folie. Elle se mit à faire des choses terribles. L’époque étant alors ce qu’elle était, on l’accusa de sorcellerie. Malgré mon opiniâtreté, je ne pus la sauver. On lui coupa la tête – plantée sur une pique pour servir d’exemple. C’est pourquoi je voudrais retrouver son père, si loin, à ce moment-là, et lui dire, les yeux dans les yeux, que j’étais là, moi, le jour où l’on massacra sa fille. Elle ne mourut pas seule, abandonnée comme un chien. J’étais là, aux premières loges ! »
Lela, les bras croisés, soutenant élégamment son menton de la main droite, avait compris mon manège. Elle ne semblait pas prostrée. Elle l’était.
« C’est une histoire tragique… ânonna-t-elle. Mais vous maintenez vos propos ? Vous êtes une créature de la nuit ? »
« Vous m’ennuyez, Milady… » répondis-je sur un ton caustique, espérant réveiller sa fougue – ce qui fut le cas.
« Je vous ennuie ? Je suis tellement désolée… Pourrions-nous savoir qui a fait de vous un vampire, Monsieur Delecroix, puisque vous êtes donc un vampire ? Serait-ce Dracula ? Nosferatu ? Lestat de Lioncourt ? Et quel âge avez-vous ? Cent ans ? »
« Serait-ce un interrogatoire ? Allez-vous me coller une lampe sur le visage ? Je préfère vous prévenir, l’ail n’aura aucun effet sur moi ! Pour ce qui est de mon âge, j’ai vingt-cinq ans depuis deux cent cinquante-sept ans. Je suis né en 1739. En réalité, j’ai plus de deux cent quatre-vingt-deux ans. Mais finissons-en avec les détails, voulez-vous ? Je me nourris de sang, c’est vrai. Je dors parfois dans un cercueil, c’est vrai. Il est tout aussi vrai que le feu et la lumière du soleil me tueraient, ainsi qu’un pieu dans le cœur, mais je suis néanmoins très puissant et je dispose de grands pouvoirs. Nul homme ne pourrait me battre à mains nues. Honorez votre part du marché, Milady, et je vous dévoilerai l’un de mes dons. »
« Virgile, pour l’amour de Dieu, ne faites pas l’imbécile… » dit-elle à voix basse, de façon à n’être entendue que de moi.
« L’amour de Dieu ? Mais où était-Il, votre Dieu, quand on fit de moi cette chose ? Où était-Il donc, votre Dieu, quand mon frère cadet… »
Je ne pus terminer ma phrase. La métisse m’étudia attentivement, puis sourit.
« Je voudrais que nous fassions un pacte, Virgile. »
« Un pacte ? Mais de quoi parlez-vous ? Les règles, Lela, c’est moi qui les dicte ! »
« Mais les femmes ne sont plus aussi soumises qu’à votre époque, Monsieur Delecroix ! me nargua-t-elle. Les choses ont pas mal évolué. Vous êtes bien un vampire ? Vous allez donc me mordre le cou, devant la caméra, puis vous allez me donner votre sang. »
Cela s’appelle : ‘‘Tel est pris qui croyait prendre’’.
« Vous aurais-je fait perdre l’esprit ? C’est hors de question, m’entendez-vous ? »
« C’est ça ou l’enregistrement est terminé. Voyez-vous, moi aussi, je dispose de ‘‘très grands pouvoirs’’ ! »
Un lourd silence s’abattit dans la salle des Marbres. Bom, bom ! Bom, bom ! Bom, bom ! faisaient les trois cœurs humains. Le son m’était insupportable.
« Vous êtes complètement folle, la réprimandai-je avec un mépris non dissimulé dans la voix. Vous plaît-il donc à ce point de me défier ? Vous auriez tort de surestimer ma patience, Lela ! Je pourrais vous persuader que vous êtes un chat et vous laisser dans cet état à jamais ! »
Je tournai la tête vers Ante et lui fis signe d’arrêter sa caméra. Il s’exécuta aussitôt.
« Que signifie ce scénario ? demandai-je à Lela. Avez-vous la moindre idée de la chose que vous deviendriez ? Savez-vous ce que nous devons endurer, tous les jours de notre putain de vie ? »
« Mon pauvre Virgile, comme vous devez souffrir, persifla-t-elle. Ne plus vieillir, ne plus redouter la maladie… Soyez assuré de ma profonde et réelle sympathie ! Quant au ‘‘scénario’’, c’est vous qui l’avez réécrit. »
« Il semblerait que vous ayez perdu la raison… regrettai-je. J’en suis hélas le seul responsable. »
« Tu réalises un peu ce que tu demandes ? intervint alors Cassandre. Devenir un vampire ? Lela ! Tu n’es pas sérieuse ? C’est pour l’enregistrement, n’est-ce pas ? C’est de la provocation ? Lela ? LELA !?! »
« Reste en dehors de ça ! » répondit cette dernière, plutôt sèchement.
« Hé ! On se calme, O.K. ? s’écria le cameraman. J’en ai plein le cul de vos histoires ! Il n’a jamais été question que Virgile fasse un vampire de qui que ce soit ! T’es tombée sur la tête, c’est pas possible ! »
« Tu as envie de te retrouver sans emploi, le Croate ? C’est MON problème. Ni le tien ni celui de Cassandre ! » se fâcha Lela.
« Le ‘‘Croate’’ ? On en est donc là, ESPÈCE DE PUTE ? » l’insulta copieusement le cameraman, vexé.
La dispute s’envenima. Il me fut impossible de les calmer avec de simples paroles. Aussi, je me concentrai sur le cercueil ouvert, puis l’envoyai se fracasser non loin de la cheminée. Axel ne dit rien. User de mon don de psychokinésie, je ne le fais que très rarement, mais, là, moi aussi, j’en avais ‘‘plein le cul’’ !
Ante et Cassandre étaient blêmes. Lela, feignant une totale indifférence, s’éloigna de nous. Je profitai de ce moment de trouble pour m’immiscer au plus profond de ses pensées. Il me fallait comprendre.
À quel jeu jouez-vous, Mademoiselle Jeannette ? Qu’est-ce qui pourrait expliquer ces changements d’humeur ? Là… Détendez-vous… Laissez-moi pénétrer dans votre cerveau. Aidez-moi à comprendre. Non, n’essayez pas de m’en empêcher, c’est peine perdue. Voilà, oui. J’y suis presque. Laissez-vous aller. Comme ça, oui. C’est très bien. Oui, je comprends enfin…
L’effort de concentration fourni m’avait légèrement affaibli, mais je rejoignis la jeune femme et posai une main sur son épaule, caressant l’articulation fragile à travers le velours de son manteau, qu’elle n’avait pas quitté. Elle se mit alors à sangloter.
« Pourquoi avez-vous fait cela ? Vous savez tout, n’est-ce pas ? » murmura-t-elle.