"Et si 2012 voyait la fin de l'humanité ?" ... Texte 9
DÉCEMBRE 2012
21 décembre 2012, 7 heures du matin. Une journée une peu spéciale en perspective. À quelques jours de Noël, même si le moral n'y est pas, il serait bon que je m'active. Je me lève. Je me prépare un petit café. Je me motive comme je peux en pensant à mes deux petits-fils. J'ai prévu d'aller acheter un sapin et de le placer dans le living. Ensuite, je préparerai mon fameux boudin de poissons et de crustacés.
Je m'apprête à boire une gorgée de café quand je remarque que le liquide tremble un peu à la surface de la tasse. Des friselis comparables à ceux produits quand les enfants courent sur le plancher du salon ou quand certains poids lourds passent dans la rue. D'un coup d'œil vers le living, je remarque que le lustre en cristal balance très légèrement. N'est-ce pas une illusion ? Oui, sans doute. Ainsi que l'ont prouvé mes réactions lors d'un spectacle d'hypnose, ne suis-je pas suggestible à souhait ?
Je termine mon petit déjeuner. Je fais ma toilette. J'allume la radio. Un flash d'info. "Une boule de feu dans le désert australien… Les Mayas auraient-ils eu raison ?" C'est alors que je me souviens des rumeurs qui ont circulé dès la rentrée de septembre. D'un coup, je suis en sueur, mon cœur s'affole, mes gestes deviennent maladroits.
Depuis des jours, j'ai décroché du réel. Je ne vis que pour et dans le passé. La tante de mon mari, Luciano, la bonne Zia Maria, s'est éteinte dans les Pouilles. Avec elle, c'est tout un pan de ma jeunesse qui s'effondre. Luciano est parti pour l'Italie. J'ai dû rester ici pour m'occuper de mes petits-fils mais je l'ai fait de manière assez mécanique. Mon cœur et mon esprit sont ailleurs, auprès de la famille de Tante Zia. C'est chez elle, alors qu'elle vivait encore dans la région, que Luciano et moi avions fait connaissance. Cette femme généreuse m'a appris tant de choses.
Je choisis un autre programme : "… conseillons de rester chez vous. Évitez tout déplacement…" Je n'écoute pas la suite. Je m'habille au plus vite, j'enfile sous-vêtements chauds, chaussettes, pantalon, sous-pull, pull, veste en laine, imperméable fourré, bottillons. J'attrape mon sac à main et mon ordinateur portable. Juste avant de rejoindre l'abri que Mamy avait fait construire dans les années soixante, j'essaye de téléphoner à mon mari, à ma fille et à mon frère. Vaines tentatives. À chaque appel, le même signal sonore.
Mamy n'était pas riche mais lorsqu'elle avait gagné au loto, elle avait fait bâtir cet abri antiatomique ! Nous avions tous ri de cette idée bizarre ! "Vous ne rirez plus quand une bombe tombera sur l'Europe", avait-elle dit. Son abri, c'est un refuge trois étoiles où elle aimait s'isoler pour lire ou pour broder. Mamy nous a quittés il y a quelques années, j'ai racheté sa maison et donc l'abri ! C'est là que, sans réfléchir davantage, je vais me réfugier.
À grand-peine, j'ouvre la lourde porte. Je ne contrôle plus mes mouvements et je semble avoir perdu mon bon sens. Je regrette de n'avoir pas été plus attentive lorsque Luciano m'avait expliqué le fonctionnement des divers appareils. Après un temps infini, j'arrive à faire fonctionner les lampes et le générateur électrique. Je m'affale sur la banquette. Le silence m'écrase. Mes larmes coulent comme du sang d'une plaie ouverte. Oh, je ne supporte pas la solitude. Je ne veux pas être seule quand tout s'arrêtera. Pourquoi ne suis-je pas allée chez les voisins ou chez ma fille qui habite à deux pas ?
Enfin, me revient une prière, des mots de mon enfance. Je me calme. Je vois l'écran. À lui seul, le système vidéo à coûté le prix d'une voiture de luxe. Il m'est précieux car il me relie à l'extérieur.
Que de problèmes pour enfin régler ce fichu engin ! Ouf, je vois le dehors. Des gens courent dans tous les sens. Le vent souffle en rafales. Il pleut des cordes. Une trottinette atterrit dans le jardin.
C'est au bout de quelques minutes que je me rends compte que le même spectacle revient en boucle. Les mêmes personnes vêtues des mêmes vêtements, se dirigeant vers le même endroit, à la même allure. Au mépris du danger, je regagne la maison et je branche la radio. Il me faut attendre les informations de 10 heures pour entendre : "Ne sortez que si c'est vraiment utile. Des rafales de 120 kilomètres à l'heure sont, en effet, prévues en fin de matinée. Le vent a déjà occasionné des dégâts en diverses régions."
Le 24, Luciano est de retour et seules les dernières bourrasques de la tempête perturbent la magie de Noël.