L'ange noir, un feuilleton signé Philippe Wolfenberg. Episode 4

Publié le par christine brunet /aloys

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L'ange noir

Un feuilleton signé Philippe Wolfenberg

philippewolfenberg.skynetblogs.be

 

Episode 4

 

Après avoir été chaleureusement remerciés par les autorités locales pour notre participation à leur projet informatique qui connaît, auprès du public, un franc succès, Alessandra et moi vidons une flûte de champagne puis, le plus discrètement possible, nous désertons cette réception passablement ennuyeuse.

Sans avoir l’air d’y toucher, la nuit impose pas à pas son obscurité. Soudés l’un à l’autre, nous avançons lentement sur le quai qui borde le fleuve. A chaque fois que nous traversons le faisceau lumineux d’un lampadaire, je regarde Alessandra. Elle porte une robe bustier mi-longue assez moulante qui met ses formes sensuelles en valeur. Je ne sais si l’étincelle que le verre d’alcool a instillée dans ses yeux en est la cause mais je la trouve plus belle encore que d’habitude.

Au cœur d’un piétonnier, fort fréquenté en ce mois d’août, se niche le restaurant où j’ai réservé une table et qui porte le nom d’un film d’Alfred Hitchcock. Cet établissement original, aux couleurs chaudes et à l'ambiance feutrée, possède une étonnante verrière datant de 1902. C’est dans ce décor rétro que nous nous régalons tout autant de la présence de l’autre que d’une nourriture exquise. A l’heure du dessert – nous avons pris, tous les deux, des fraises à la menthe et citron vert – Alessandra me regarde, un sourire en coin.

- Ca ne te donne pas des idées ?

- Si ! On pourrait disposer ces fruits ailleurs que sur une assiette en porcelaine…

- Je vois qu’on pense à la même chose…

- Un remake du film « 9 semaines ½ » ?

- Oui !

- Ici ? Maintenant ?

- Phil ! Mais… Un soir, on essayera, dis ?

- Promis !

 

*

 

Sur l’autoroute qui nous ramène à la maison, le trafic est relativement fluide. A côté de moi, Alessandra fredonne les paroles d’une chanson de Beata Beatrix, un groupe italien de darkwave.

- Excellente initiative que d’avoir choisi ce morceau : j’affectionne cette musique pleine de nostalgie…

- Tu as un certain attrait pour tout ce qui touche à la culture gothique, n’est-ce pas ?

- Oui ! J’avoue… Mais elle ne te laisse pas indifférent non plus…

- C’est vrai… Nous partageons, toi et moi, ce goût délétère pour le spleen baudelairien

- Une manière de se prémunir contre les injustices de la vie…

- Je ne suis pas convaincu que ce soit la meilleure… Mais il est vain de s’opposer à ce que nous sommes…

- Pourquoi devrions-nous le faire ?

Elle ferme les yeux et sa voix se fait murmure.

- Je voudrais que mon fils soit là pour profiter, lui aussi, de ces inestimables fragments de bien-être…

- Il te manque terriblement… J’en suis conscient…

- Non ! Tu ne peux imaginer à quel point… Et pourtant, il est tellement présent… Je ne le vois pas mais je l’entends… Il me répète souvent qu’il est content de constater que je souris à nouveau… Grâce à toi… Mais il regrette de ne pas te connaître…

 

*

 

Ainsi qu’à l’ordinaire, Alessandra a le sommeil agité. Il me suffit, toutefois, de la toucher pour qu’elle se calme instantanément. Cette fébrilité qui est la sienne quand elle quitte l’état de veille trouve, sans aucun doute, son origine dans le traumatisme qu’elle a subi à la mort de son enfant. Je repense à ce qu’elle m’a dit, dans la voiture. Se pourrait-il que, une fois déconnectée de la réalité, elle puisse communiquer avec lui ? Décidément, je ferais mieux de dormir ; je commence, moi aussi, à me figurer n’importe quoi !

 

*

 

Je me suis toujours demandé pourquoi les dernières journées estivales exhalent un parfum de regrets. Confortablement installé à la terrasse d’une taverne, je sirote une bière brune au goût aigre-doux. Alessandra a, pour sa part, choisi un thé glacé.

Tout en piochant régulièrement dans le ravier rempli d’arachides salées, nous échangeons, depuis plus d’une heure, nos souvenirs du temps béni où nous étions des garnements heureux parce qu’insouciants.

Lorsque les clients se font trop nombreux, nous réglons l’addition et allons marcher au hasard des rues voisines. Le vent est encore tiède et agrémenté d’innombrables senteurs végétales. D’imposantes villas et leur jardin soigneusement entretenu baignent dans les couleurs délavées du crépuscule. A l’arrière de ces propriétés délimitées par de hautes clôtures en treillis, une allée s’enfonce dans un bois et s’achève, au sommet d’un éperon calcaire qui domine la vallée, en cul-de-sac. De là-haut, la vue s’ouvre sur une rivière ondoyante, des collines plantées d’arbres qui ne savent pas encore que, dans un avenir proche, ils exhiberont fièrement leur magnifique feuillage automnal et la E25, parsemée d’étoiles bicolores qui ne sont rien d’autre que les phares des véhicules qui grouillent sur toute sa largeur.

La prescience que, tôt ou tard, une menace imprécise est à venir ne remet pas en cause le sentiment de n’avoir plus connu une telle paix depuis longtemps. Mes actes manqués (qui, selon la psychanalyse, ne sont, en fait, que la réalisation de désirs refoulés) perdent leur ascendant sur moi dès lors que la passion me submerge.

Alessandra rompt le silence qui a primé tout au long de notre promenade impromptue.

- Cette masse sombre, à droite, n’est-ce pas le château que l’on voit de ta maison ?

- Si ! Il faudra que je t’y emmène… C’est un endroit plaisant…

- J’aime ces instants où nous sommes seuls, toi et moi… Loin du monde… Et cette sensation agréable d’être préservée des conséquences néfastes de sa médiocrité… Je ne veux pas renoncer à ça !

- Personne ne t’y oblige…

- Si tu savais…

- Dis-moi !

- Ne fais pas attention à mes élucubrations… Prends-moi dans tes bras, s’il te plaît… C’est là que je me sens le plus en sécurité…

- Je ne permettrai jamais qu’on te fasse du mal…

- Je sais… Je l’ai su le soir même où nous nous sommes parlé pour la première fois…

 

l

 

A peine rentrés, nous faisons l’amour. Le regard qu’Alessandra me lance, au moment de jouir, est à ce point révélateur de ce qu’elle éprouve pour moi que j’en frissonne délicieusement.

 

Episode 5 à découvrir demain !

Philippe Wolfenberg

Les états d'âme de la Lune et du Soleil


 

Publié dans Feuilleton

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E
Et voilà que tu nous dis que le final de demain aura des facettes différentes pour chacun et chacune d'entre nous... Ouh la la mais dans quel genre d'histoire sommes-nous donc? Cette étrange Alessandra forte mais insécure... que cache-t-elle - ou ne cache-t-elle pas?
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P
Disons que, selon sa personnalité, ses croyances, les limites qu'il met (ou pas) à son imagination, chaque lecteur donnera sa propre version du dénouement de cette étrange histoire... ;o)
C
&quot;Se pourrait-il que, une fois déconnectée de la réalité, elle puisse communiquer avec lui ?&quot;<br /> <br /> Je me le demande aussi...<br /> <br /> Un peu de sexe aujourd'hui et demain une touche de fantastique. On attend demain!
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P
Carine-Laure... Ne vit-on pas, dans les rêves, des aventures que la raison ne peut expliquer (du moins, pas complètement ? Le sexe est, pour moi, l'aboutissement (ou le compagnon obligé) des connivences intellectuelle et sentimentale... Le fameux &quot;hieros gamos&quot; (ou hiérogamie)... Et, demain, le dénouement... Que chacun pourra interpréter à sa manière...
J
Il apparaît qu'Alessandra cherche décidément en continuum à être rassurée. De préférence dans les bras de son Philippe. Sexe et sensualité sont à l'ordre du jour, ça chauffe ! Autre : j'apprécie le raccourci très raccourci en seulement 5 mots de la définition des actes manqués .... Fallait le faire, Philippe !
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P
En effet, Jean-Louis ! C'est étrange comme (et je parle d'expérience) les femmes qui possèdent un énorme potentiel (et ce, à tous les niveaux) ont le paradoxal besoin d'être, souvent, rassurées... Et merci pour ta flatteuse appréciation...