L'ange noir, un feuilleton signé Philippe Wolfenberg. Episode 1

Publié le par christine brunet /aloys

 

http://www.bandbsa.be/contes3/wolfenbergtete.jpg

 

L'ange noir

Philippe Wolfenberg

philippewolfenberg.skynetblogs.be

 

 

Episode 1

 

 

La route suit fidèlement les courbes que décrit la rivière qui coule en contrebas. L’obscurité et le brouillard rendent la conduite difficile ; pourtant, je roule trop vite, perdu dans des idées macabres. J’ignore pourquoi j’ai décidé de rallier cette ville ardennaise dont j’emprunte, à présent, l’avenue principale. Je range la voiture sur le bas-côté – juste avant la rue qui mène à la gare – ainsi que je le fais à chacune de mes visites. Je marche d’un pas rapide jusqu’au parc comme si j’étais en retard à un improbable rendez-vous. Je m’assieds sur ce banc qui me rappelle des souvenirs doux-amers. Je voudrais revenir dix ans en arrière mais, ce soir, il n’y a pas de grand parapluie pour me protéger du crachin qui s’est mis à tomber ni de folles étreintes pour atténuer mon mal-être. Je fixe la sombre silhouette de la galerie qui relie les pavillons jumeaux ; puis, je ferme les yeux. Je rêve de toi que je ne connais pas encore… Toi que je rencontrerais un jour de pluie ou de grand vent. Il ferait bon me blottir dans la chaleur de tes bras. Le visage enfoui dans la soie de tes cheveux, je m’enivrerais de leur parfum aux senteurs de fruits sauvages. Tu poserais sur moi ton regard tendre et triste et tu m’offrirais un sourire plein de promesses illusoires. Je me noierais alors dans ton âme tourmentée comme dans les flots impétueux d’un océan démonté. Tu poserais tes lèvres sur les miennes et, ta garde baissée, tu t’abandonnerais sans crainte à ce moment de passion qui, une fois consumé, ne se retrouve jamais. Tu m’aimerais comme aucune autre ne l’a fait avant toi.

  • Bonsoir…

Surpris, je tourne la tête pour découvrir qu’une jeune femme se tient près de moi. Son visage au teint pâle est encadré d’une chevelure de jais coupée court. Ses yeux, aux couleurs de la nuit, m’observent attentivement tandis que ses lèvres, roses et pulpeuses, esquissent une moue sibylline. Son blouson, sa jupe, ses collants et ses bottes sont identiquement ébène.

  • Je ne voulais pas vous effrayer…
  • Ce n’est rien… Mais… Je ne vous ai pas entendue arriver…
  • C’est normal : je suis aussi silencieuse qu’un chat… Noir, en l’occurrence…
  • Et, comme lui, vous portez malheur ?
  • Vous croyez à ces superstitions ?
  • Non ! De plus, j’adore les chats…
  • Si vous continuez, je vais ronronner…
  • Plus sérieusement, est-ce bien prudent de vous promener à cette heure dans un tel endroit ?
  • Je risque sans doute moins que vous…
  • Ah ! Et pourquoi ?
  • Vous posez beaucoup de questions !
  • C’est vrai… Je l’admets… Je pose souvent des questions mais obtiens rarement des réponses…
  • C’est étrange…
  • Pardon ?
  • Septembre et octobre nous ont offert un été indien à nul autre pareil et, aujourd’hui, deux novembre, jour des morts, le temps se met au diapason…
  • Bientôt, vous allez me servir un dicton de derrière les fagots…
  • Ou vous jeter un sort !
  • Une sorcière ? J’aurais dû le deviner…
  • Mon repaire maudit est à deux pas… Ca vous tente ?
  • Vous avez l’habitude d’inviter des inconnus chez vous ?
  • Seulement lorsque la lune est pleine…
  • Avec un ciel aussi nuageux, il est difficile de savoir si c’est le cas ou pas…
  • Vous m’accompagnez ou vous continuez à déprimer seul ?

Sans attendre d’être informée de mon choix, elle glisse son bras sous le mien et m’entraîne, par un dédale de rues désertes, jusqu’aux grilles d’un jardin de taille appréciable. La maison, une belle bâtisse du 19ème siècle, semble avoir été rapportée d’un voyage en Nouvelle-Orléans. La façade, en pierre gris perle, est mise en valeur par un éclairage discret. Un petit balcon, dont la rambarde supporte, à chaque extrémité, une énorme vasque, agrémente le premier étage.

Mon guide improvisé me précède dans le hall d’entrée. L’alternance de carreaux noirs et blancs donne au sol des allures d’immense échiquier. Les eaux murmurantes d’une fontaine s’évaporent parmi les galets blancs de Carrare disposés à ses pieds. Une table basse, surmontée d’une lanterne en bois et d’un pot métallique contenant un cyclamen en fleurs, complète la décoration. L’escalier en chêne patiné nous conduit jusqu’au salon.

  • Je vous conseille le fauteuil en cuir, près de la fenêtre... Il est un peu fatigué mais très confortable…
  • Je ne voudrais pas vous en priver…
  • Je prendrai le canapé… C’est un délice que de m’y pelotonner… Un café ?
  • Avec plaisir !
  • Comment le voulez-vous ?
  • Corsé, s’il vous plaît…
  • Je vous prépare un « espresso » ?
  • Vous seriez un ange…
  • Peut-être en suis-je un ?
  • Il y a peu, vous étiez la compagne de Lucifer et, maintenant, une créature divine… Vous passez des ténèbres à la lumière avec une grande facilité…
  • Dans ma situation, ce serait plutôt l’inverse…
  • C’est-à-dire ?
  • Oubliez ! J’ai tendance à raconter n’importe quoi…

Alors que je repose la petite tasse de porcelaine blanche sur sa soucoupe assortie, je me rends compte que mon désintérêt pour la vie a fait place à une légitime curiosité dont l’objet est cette fascinante inconnue.

  • Vous ne parlez plus ?
  • Excusez-moi ! J’étais accaparé par certaines réflexions…
  • Et à quoi pensiez-vous ?
  • A vous !
  • Quel honneur ! Eh bien, figurez-vous que je pensais aussi à vous…
  • C’est la soirée des coïncidences…
  • Quel est votre prénom ?
  • Philippe… Mais je préfère Phil… Et le vôtre ?
  • Alessandra…
  • Délicieusement original…
  • Merci ! Phil ? J’ai une question… Je peux ?
  • Je croyais être le seul à en poser trop…
  • Accepteriez-vous de passer la nuit avec moi ?

Durant le silence qui suit, nous ne nous quittons pas du regard. Dans le sien, je peux lire une supplication qui n’a, pour moi, pas de raison logique mais que j’ai, néanmoins, envie d’exaucer.

  • Oui ! J’accepte volontiers…

Elle me sourit, attrape ma main et m’emmène au second étage.

 

*

 

Il m’est arrivé, auparavant, de faire l’amour avec des amantes de passage mais jamais de cette manière. Bien sûr, le désir était présent ; cependant, c’est une douce sensualité qui a prévalu tout au long de nos ébats… Comme si nous recherchions, dans le double mélange de nos corps et de nos esprits, une sérénité égarée.

 

*

 

Au petit jour, je la trouve endormie à mes côtés. Elle possède un charme qui a le don de réveiller en moi des émotions que j’imaginais – à tort – avoir oubliées définitivement.

Je me lève sans bruit, descends à la cuisine pour boire un verre d’eau fraîche et retourne me coucher. Dans le couloir, j’avise une porte entrebâillée. Négligeant ma bonne éducation, j’entre dans la pièce et tourne l’interrupteur. Je suis dans la chambre d’un enfant. Il émane de ce lieu un sentiment d’indéfinissable malaise. Le lit est défait et vide. Des jouets, des livres et des vêtements traînent un peu partout alors que, dans la garde-robe ouverte, j’en aperçois d’autres bien rangés. A tout moment, je m’attends à voir surgir un petit diable de nulle part. Mais le seul indice de sa présence est une photo, sur la commode, qui côtoie un bouquet de fleurs séchées. Je ne sais pourquoi cette vision s’associe, dans mon esprit, à celle d’une tombe. Perplexe, je rejoins Alessandra qui n’a pas bougé.

 

 

 

 

Philippe Wolfenberg

Les états d'âme de la Lune et du Soleil

 

 

Fin du premier épisode

La suite demain !

Publié dans Feuilleton

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Ah ! oui alors, qu'on attend la suite !... <br /> Vraiment bien écrit, Philippe .
Répondre
P
Merci... ;o)
E
Mystère, écriture voluptueuse et belle... on attend l'épisode 2
Répondre
P
Merci... ;o)
P
Corrections effectuées...<br /> Merci, Christine...<br /> Et merci pour vos commentaires...
Répondre
C
L'écriture de Ph Wolfenberg est comme une petite musique qui roule toute seule. Une pincée de mystère et ns voilà dans le piège de l'attente du second épisode...
Répondre
P
ATTENTION ! Certaines parties du texte original ont été tronquées à la transcription :<br /> <br /> 1)<br /> <br /> - Pardon ?<br /> - Septembre et octobre nous ont offert un été indien à nul autre pareil et, aujourd’hui, deux novembre, jour des morts, le temps se met au diapason…<br /> - Bientôt, vous allez me servir un dicton de derrière les fagots…<br /> <br /> 2)<br /> L’escalier en chêne patiné nous conduit jusqu’au salon.<br /> - Je vous conseille le fauteuil en cuir, près de la fenêtre... Il est un peu fatigué mais très confortable…<br /> - Je ne voudrais pas vous en priver…
Répondre
C
Très bien écrit et qui donne envie de découvrir la suite !
Répondre
J
Chouette, un nouveau feuilleton ! A l'évidence, d'une teneur bien différente du fantastique conte merveilleux que nous avait livré Christian le mois passé pour notre plus grand plaisir. Ici déjà je me sens à nouveau pris par l'intrigue et suis impatient de lire demain la suite. Les mots et les phrases rythment le décor et l'action. Les dialogues bien menés sont percutants. Quels subtils jeux de séduction sous le parfum de mystère !. Voilà qui nous met déjà en haleine. Vivement demain.
Répondre