Le chevalier noir, le feuilleton de Christian Van Moer. Episode 2
LE CHEVALIER NOIR
feuilleton par Christian VAN MOER
http://christianvanmoer.skynetblogs.be/
Au temps des heaumes et des hauberts,
il était une fois la forêt du Mauroi…
épisode 2 : L’Ogre du Marais
− Voilà, Baron : votre premier adversaire est Gargan, l’ogre du marais. Beau, mon fidèle corbeau vous mènera jusqu’à son repaire. Ne le perdez pas de vue. Dès que vous le voyez rebrousser chemin, c’est que vous êtes arrivé à destination. A vous de jouer alors ; mais attention, Gargan est un géant ! Vous êtes grand, Baron, mais il vous dépasse d’au moins deux têtes.
− Quels sont ses principaux atouts ?
− Outre sa force colossale, son adresse : il manie l’épieu et le filet comme les rétiaires antiques les plus habiles.
− Et ses ressources magiques ?
− Ses mains : il peut allonger ses doigts puissants en autant de lames effilées.
− Bien, lâchez votre corbeau, Sargasse, je n’ai pas de temps à perdre.
− Je ne vous le fais pas dire, Baron.
« Beau, le corbeau ! Le corbeau Beau ! Nous nageons en plein délire, mon vieux Jais ! marmonne le Chevalier Noir. Enfin, tâchons de mettre au point la stratégie qui doit me permettre de triompher de ce monstre. Pas de précipitation : aujourd’hui, je me contente de repérer les lieux, d’étudier le terrain autant que possible. Demain, je passe à l’offensive. Je n’ai pas droit à l’erreur. Maudite sorcière ! Si j’accomplis ma tâche avec succès, dès que ma petite Sarah est sauvée, je te ferai passer le goût des philtres et des élixirs. Foi de Chevalier Noir !
Ah ! voilà le corbeau qui fait demi-tour ! Nous y sommes, Jais. Prudence. »
Gilles laisse son destrier dans les halliers et s’approche du manoir avec précaution. Une odeur nauséabonde lui colle aux narines et des nuées de gros insectes agressifs l’assaillent. Le manoir de l’ogre est bâti en plein milieu du marais et n’est rattaché à la terre ferme que par une étroite passerelle de planches glauques et glissantes, ne permettant le passage qu’à un homme à pied. Gilles fait le tour du marécage, mais doit se rendre à l’évidence : il n’y a pas d’autre accès.
« Bigre ! Autour de cette gadoue, je n’ai pas assez de champ pour combattre à cheval ni même à pied contre ce géant. Il faut que je l’affronte à l’intérieur de son antre ! »
Des craquements de roseaux piétinés attirent son attention. Gargan apparaît, se dirigeant vers la passerelle. Il traîne avec lui deux marmots, noirs de boue et tremblant de peur. L’ogre est réellement impressionnant : une montagne de muscles surmontée d’une énorme tête hérissée de poils hirsutes, drus et rouges comme la braise.
« Le monstre ! Il a encore enlevé des gosses ! Pas de pitié avec ce gaillard-là ! Si je peux, je l’étripe ! »
Le lendemain matin, Gilles revient au manoir, décidé à vaincre l’ogre par la ruse plutôt que par un corps à corps à l’issue incertaine. Il franchit la passerelle et fait crânement retentir le lourd heurtoir de bronze du portail. Gargan, surpris de cette audace, le laisse entrer.
− Hem !... Vous êtes celui que nos vilains appellent le Chevalier Noir, n’est-ce pas ? Que me voulez-vous ?
− Vous proposer une affaire, Seigneur Gargan.
− Une affaire ? Hem !... soit, dites toujours, je vous écoute.
− Voilà, j’ai grand besoin d’argent pour restaurer mon donjon en ruines. Or il se fait que j’ai ramené d’Orient le secret de la conservation indéfinie du sang en flacon et je pense que cela est susceptible de vous intéresser. Vous rendez-vous compte ? Avoir une réserve de sang frais à votre disposition à toute heure du jour et de la nuit ? Je suis disposé à vous vendre cette recette. Qu’en dites-vous, Seigneur Gargan ?
− Hem !... Cela peut m’intéresser en effet, Chevalier, mais il me faut de sérieuses garanties.
− Cela va de soi. J’ai ici, dans mon bissac, quelques fioles d’échantillon.
− Des fioles de sang d’enfant ? s’exclame Gargan, les yeux brillants et l’eau à la bouche.
− Oui, d’un enfant tué accidentellement il y a dix jours lors d’une tragique chasse à courre.
− La dernière chasse du jeune prince de Verland ?
− Celle-là même. Si vous prenez la peine d’y goûter, vous constaterez comme ce sang est resté frais..
− Hem !... Eh bien, goûtons voir, Chevalier, goûtons voir. Remplissez-moi ce pichet.
− Aussitôt rempli, le pichet est aussitôt bu. D’un trait.
− Tudieu ! charlatan, vous croyez vraiment pouvoir me berner ? C’est du vulgaire sang de porc que vous m’avez servi là !... Je…
L’ogre, qui a transformé ses mains en serres d’aigle, ne peut en dire davantage. Il chancelle et s’écroule comme une masse, foudroyé par le puissant narcotique ajouté au sang. Sans perdre un instant, Gilles dégaine son épée et tranche l’abominable tête du monstre. Il s’empare ainsi de l’amulette d’argent et, avant de quitter les lieux, visite le manoir dans l’espoir d’y trouver des enfants encore en vie. Trois mioches sont ainsi sauvés de l’horreur.
− Ne pleurez plus, les enfants. Je vous ramène chez vos parents.
Et d’un ! ricane-t-il en quittant le sinistre parage.
[ © Christian Van Moer & Chloé des Lys ]
à suivre
épisode 3 : Faune et Centaure