Nadine Groenecke : il faut faire vivre le texte...
Notre besoin de créer vient bien de quelque part... Il trouve naissance au fin fond de nos entrailles, grandit jusqu'à devenir un besoin absolu, vital.
Ses racines ? La question n'est pas nouvelle.
Je cherche... Moi, j'ai ma réponse... Mais moi... C'est moi... Nadine, et toi ? Ton livre,Trop plein, est très différent du mien... Tes références doivent êtres différentes, sûrement...
C'est alors qu'un passage de l'une de ses nouvelles me revient en mémoire : " Nous débarquons. Oh, non! Ce n'est pas possible! le panneau indique "Ile de Ré" et non "Ile dorée". désappointée, je regarde Mémé; elle me sourit. il n'y a donc pas d'erreur! je n'avais pas compris les mots prononcés par les adultes. Quelle désillusion! C'était tellement plus magique une île "dorée" et plus conforme à mes lectures d'enfant: le Club des Cinq, le clan des sept, Michel, Alice et tutti quanti." (Le crabe, Trop plein, Ed. Chloé des lys, 2009)
Non, finalement, peut-être pas... "Michel", je ne connais pas, mais les autres, oh que oui... des histoires qui ont bercées toutes mon enfance et qui trônent à présent, très écornées, sur le bureau de mon fil... Néanmoins, je persiste dans mon envie d'explorer l'univers de Nadine Groenecke qui répond directement à ma première question :
Pourquoi écris-tu ?
Je ne peux pas parler de l’écriture sans évoquer la lecture. Les mots me font rêver depuis toute petite. Grâce aux nombreux livres que je dévorais à mes heures perdues, mon esprit s’évadait vers des contrées lointaines ; je m’identifiais aux personnages de la collection de la bibliothèque rose, puis verte, vivant page après page le rythme trépidant des aventures du Club des cinq ou d’Alice. Je me souviens aussi de cet oiseau nommé Tipiti qui illustrait mon livre de lecture à l’école primaire et avec qui, chaque jour, je m’envolais vers de nouvelles histoires. Je vouais une admiration sans bornes à tous ces auteurs qui illuminaient mon quotidien et je pensais alors que le métier d’écrivain était le plus fabuleux qui puisse exister. Très vite, j’ai laissé de côté les mathématiques pour privilégier le français et en particulier les rédactions dans lesquelles je pouvais laisser libre cours à mon imagination débordante.
L’envie et le besoin de lire ne m’ont plus jamais quittée. Le livre, c’était et c’est toujours pour moi une porte ouverte sur le monde, un grand moment d’évasion. J’aime la phrase de Jules Renard : Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux.
Et puis, après la lecture… vint l’écriture. Parce que j’y songeais depuis longtemps et que ma première expérience en la matière a été une révélation.
Que t’apporte l’écriture ?
Ce n’est qu’en 2004 que je me lance dans l’écriture par le biais d’un concours grâce auquel mes premiers écrits sont publiés dans un recueil collectif. Tout de suite l’exercice me séduit : la quête du mot juste pour équilibrer une phrase un peu lourde ou d’un synonyme pour ne pas se répéter, la mise en place des idées, la recherche documentaire, indispensable également. Je me prends au jeu et réalise en même temps que l’exercice n’est pas une tâche facile, comme le souligne avec brio Bernard-Henry Levy dans « Ennemis publics » : Et puis écrire, juste écrire, passer des nuits, des jours, encore des nuits, sur mon établi de mots, à faire que la pâte lève, que la forme vienne et mes petites colonnes de signes tiennent à peu près debout… Un véritable travail de construction en effet.
Il ne suffit pas d’enrober des mots dans de belles phrases, il faut faire vivre le texte pour le rendre séduisant et cohérent. C’est cette démarche créative qui me plaît. Le dessin et la peinture que je pratique également me procure les mêmes sensations. Mêler les mots ou les couleurs jusqu’au moment où on se dit : « ça y est, j’ai réussi à faire quelque chose de pas trop mal ! » et tout recommencer avec une autre histoire ou un autre tableau, une formidable aventure à chaque fois.
Comment écris-tu ?
Selon les périodes, l’écriture peut se révéler lente et laborieuse ou au contraire fluide et coulante comme un ruisseau de montagne. Dans le premier cas, je manque d’idées, alors je construis de belles phrases en attendant l’inspiration. Dans le deuxième cas, c’est l’ « état de grâce » qui survient généralement lorsqu’une idée nouvelle émerge sans crier gare, le soir dans mon lit ou à n’importe quel moment de la journée, lorsqu’un événement, une personne, un reportage m’ont marquée. Si je n’ai pas la possibilité de m’atteler dans la foulée à l’écriture, je prends des notes, craignant que les idées ne s’envolent aussi vite qu’elles sont apparues. Et, dès que possible, je les couche sur l’écran de l’ordinateur, en « jet », juste pour emprisonner les idées, être sûre de les avoir à portée de main avant de débroussailler tout ça par la suite et de retravailler le style.
Donc, tu retravailles tes textes...
Oui, je reviens sans cesse dessus. Quand je débute une nouvelle je peux passer des heures rien que sur le premier paragraphe. Et quand l’histoire est bien lancée, je la relis inlassablement, recherchant le mot juste, le rythme approprié, la sonorité exacte... Parfois je laisse passer quelques jours pour avoir un œil nouveau sur le texte. De gros changements peuvent alors intervenir, tant au niveau de la forme que du contenu. Quand j’ai le sentiment que ma « création » tient enfin debout, je la soumets à quelques amis, fidèles relecteurs, qui traquent les inévitables fautes et qui me donnent leur avis en toute franchise.
Tu parles expérience... J'ai l'impression que tu abordes le travail d'écriture, de création comme un chimiste aborderait une préparation en vue d'extrapoler une expérience inédite... Faux ou faux ?
Oui parce que chaque nouvelle (puisque j’écris surtout des nouvelles) me conduit vers des horizons nouveaux. Je donne naissance à des personnages à chaque fois différents qui évoluent dans un univers particulier que je dois m’approprier. Par exemple, j’ai participé l’an dernier à un concours qui m’a amenée à découvrir le golf. Je n’y connaissais rien à ce sport, il a donc bien fallu que je me documente sur le sujet pour employer les termes adéquats afin d’être crédible. Mes personnages, quant à eux, vont prendre corps au fil des pages et parfois me surprendre, m’emmener là où je ne m’y attendais pas. Quelquefois, j’ai déjà la chute en tête dès le départ mais il m’arrive aussi d’en trouver une autre en cours d’écriture. D’autres fois, je pars à l’aveuglette en me demandant si je vais réussir à la trouver et puis, petit à petit, tout s’imbrique et la chute dégringole, si je puis dire, comme une évidence. Une expérience, une aventure donc, dont je ressors comblée lorsque j’ai pu aller jusqu’au bout, ce qui est généralement le cas.
Est-ce que tu ne crois pas que trop de travail sur le texte et les mots tue l'histoire et les émotions (les tiennes, ton ressenti vis à vis de tes personnages, de ton récit)?
Il faut juste savoir s’arrêter à temps. La nouvelle impose de la rigueur (dans les concours, le nombre de pages est souvent limité) et n’autorise pas la lourdeur. Le texte doit rester fluide et donc ne pas s’embarrasser du superflu.
Parle-moi de tes personnages, de tes sources d'inspiration... Un univers littéraire en particulier?
Comme tout auteur je me nourris de mon environnement et de mon vécu mais, avant d’écrire, je pensais naïvement que les auteurs imaginaient presque tout ce qu’ils écrivaient ! En fait, ce sont des voleurs, toujours à l’affut d’un regard, d’une phrase, d’un fait divers… Ils capturent tout ce qui les interpelle et transforment ensuite cette matière première, servie sur un plateau, au gré de leur fantaisie. Je suis donc une voleuse…
Je lis beaucoup et je ne me limite pas à un genre en particulier. J’aime bien découvrir de nouveaux auteurs tout en continuant à lire ceux que j’affectionne.
Que ressens-tu quand tu écris ?
Je suis dans un autre monde. Les heures s’écoulent sans que je m’en rende compte. Seules les contractures liées à la station assise m’obligent à prendre une pause. Lorsque j’ai des périodes fortes d’écriture, je soulage mon dos en marchant beaucoup, ce qui me permet aussi de continuer à réfléchir à la suite de mon histoire.
Quel est ton style d’écriture ?
C’est difficile de définir son propre style. Vif et alerte, d’après mes lecteurs. Au début, j’avais peut-être tendance à trop vouloir en faire, à surcharger les phrases avec des mots recherchés. Au fil du temps, je crois que mon écriture s’est allégée. Je viens même d’écrire une nouvelle tout en argot. Une expérience intéressante.
Un même déclencheur, mais une approche très différente de l'écriture...
En fin de compte, est-ce que le travail incessant sur le texte, les mots entrave le ressenti du lecteur ? Non, bien sûr... Tout au contraire parce que les textes courts ont besoin de rigueur et de précision pour amener en quelques pages le lecteur où l'auteur a décidé de le conduire...
Chaque genre permet à l'écrivain d'envisager une autre façon d'écrire : un poète construit-il ses vers de la même façon qu'un nouvelliste ou un romancier travaille ses textes ? Franchement, je ne crois pas... Et vous, qu'en pensez-vous ?
Pour en apprendre plus sur l'univers de Nadine Groenecke, allez jeter un oeil sur son blog... Ici: link
Christine Brunet
www.christine-brunet.com
http://passion-creatrice.com
http://aloys.me