Patrick Benoit : L'écriture n'est pas une passion, mais une souffrance inéluctable pour exprimer l'inexprimable.
" Je, tu, il ": Genre hermaphrodite où les mots s'enchaînent et se multiplient pour écrire une histoire de lettres. Ni masculin, ni féminin, juste une illusion d'avoir écrit quelque chose pour donner l'illusion au lecteur d'avoir lu quelque part.
Drôle de définition pour un texte, vous ne trouvez pas ? En tout cas, cela m'a interpellé et j'en ai demandé un peu plus à Patrick... "Un peu beaucoup plus"... Et l'interview généralement bien réglé est vite devenu un jeu de questions/réponses rapides qui m'a amenée bien plus loin que je ne l'aurais voulu...
Première question, anodine, s'il en est, mais qui a tout déclenché... depuis quand écris-tu ?
Depuis mes primaires. J'ai appris des règles que je respecte, et je tente de les détourner en les respectant. Je me sens esclave des mots et je veux m'en libérer. Dès lors j'essaye de jouer avec eux pour qu'ils me donnent leur sens.
Tu me donnes un exemple ?
"Je n'ai jamais pas écrit."
D'accord... Et que veux-tu faire passer avec cette double négation ?
Ce n'est pas une double négation, car "pas" est la démarche des pieds pour avancer (comme quoi la langue est perverse).
Ah, je vois... Mon interview commence bien... Un déclencheur ?
Mon déclencheur ? Ne pas savoir peindre ni dessiner, car le peintre et le dessinateur ont la capacité d'aller au-delà des mots.
Est-ce que les mots ne permettent pas à l'écrivain d'aller au-delà de sa réalité, de créer autre chose comme des émotions ?
Oui, bien sûr. Mais le problème, c'est qu'on veut toujours comprendre les mots, leur donner un sens. Alors qu'on est tout à fait capable de regarder un tableau sans vouloir nécessairement l'expliquer.
Ton univers littéraire ?
Dans le désordre : Marguerite Duras, Albert Camus, Alice Ferney, Boris Vian, Maxence Fermine, Arthur Rimbaud, Shan Sa, André Schmitz et tous ceux que j'oublie. En fait, je n'ai pas d'univers littéraire, juste des envies de lire. Des romans à la rose quand j'offre des fleurs, des intrigues quand je me promène la nuit, de la science-friction quand je regarde les étoiles, des poèmes quand je suis seul...
Donne une définition de l'écriture.
Savoir pourquoi et comment on fait des fautes d'orthographe. L'écriture est éternelle car écrite, mais éphémère car oubliée.
Peux-tu expliquer cette dernière phrase ?
Alors qu'une sculpture ou une peinture est exposée, un livre est rangé dans une bibliothèque et prend les poussières.
Des peintures oubliées dans un coin, ce n'est pas ça qui manque... Non ?
Une peinture pourra toujours être exposée, alors qu'un livre jamais (sauf dans les habitations des "grands écrivains" où montrer son fauteuil, son stylo et son manuscrit n'ont quelque part aucun intérêt).
D'autres passions ?
L'écriture n'est pas une passion, mais une souffrance inéluctable pour exprimer l'inexprimable.
Pourquoi s'infliger pareille souffrance? Puisqu'elle permet d'exprimer l'inexprimable, elle permet donc de transcender le mot, la règle ? Vrai/faux ?
Tellement vrai, à part qu'il est inévitable de devoir se raccrocher à un dictionnaire pour se faire comprendre.
Tu m'expliques ? Tu travailles chaque mot en explorant toutes ses facettes, c'est bien cela ? N'as-tu pas peur d'en devenir hermétique ?
Plutôt herméneutique, car le langage nous est sacré pour dialoguer et se faire comprendre.
Autre passion ? la photographie que je ne pratique plus depuis quelque 15 ans. Mais j'y repense...
Un rapport entre la photographie et l'écriture ? Aucun ?
Oui, très certainement. L'écriture utilise la réalité des mots et la photographie, la réalité visuelle.
Comment écris-tu ? D'un seul jet, en raturant, en retravaillant le texte quelque temps plus tard ? Le soir, tout le temps ? Où puises-tu votre inspiration ? Tu es ordi ou papier?
J'écris avec discipline. A chaque jour suffit sa peine. Je retravaille très peu plus tard, car je retravaille sans cesse lors de l'acte d'écrire une page. L'écriture n'a pas d'horaire, ni de lieu. Ce premier récit, écrit entre 1987 et 1989, a été écrit à la main, puis tapé à la machine à écrire et retranscrit sur ordinateur pour satisfaire les besoins de présentation aux éditeurs. Aujourd'hui, je ne pourrais plus me passer d'un ordi... encore que : rien n'est possible, tout est impossible.
Pourrais-tu développer cette dernière remarque, s'il te plaît ?
Si l'homme recherche sans cesse le plaisir, la reconnaissance, la jouissance, il n'en reste pas moins tiraillé entre la loi du moindre effort et l'instinct de survie. Dès que quelque chose paraît impossible, l'instant d'après cette chose devient possible.
Pourquoi persister dans l'écriture qui ne semble pas te satisfaire pleinement et ne pas reprendre la photo, par exemple ?
Je ne pense pas avoir persisté dans l'écriture, puisque je n'ai plus vraiment écrit depuis 1989 (excepté bien sûr des textes publicitaires, des communiqués de presse, etc., soit des textes "commerciaux"). L'écriture me satisfait pleinement, car après l'effort, il y a de la réjouissance et de la félicité. Je me suis toujours réfugié derrière le manque de temps pour ne plus écrire. Je vais faire du temps mon allié, et donc reprendre l'écriture et la photo.
Que penses-tu de l'écriture laboratoire ?
Je ne sais pas de quoi il s'agit, même si je peux l'imaginer.
Il s'agit de l'utilisation du mot non par son sens mais par sa forme, par exemple, par les associations, les sonorités. En travaillant trop les mots, ne perd-on pas une partie de l'émotion que doit véhiculer l'écrit ?
Un écrit doit-il toujours raconter une histoire ?
Tu développes ?
Illustration : L'Homme Atlantique de Marguerite Duras. Il ne s'y passe rien, sauf de la ponctuation qui donne du volume et de la consistance au rien.
Ecris-tu pour les lecteurs ou seulement pour toi ?
Pour ceux qui me liront !
Ecriture: reflet de toi, de tes états d'âme à un moment donné ? Vrai ou faux ?
Vrai et faux à la fois. Je ne pense pas qu'on puisse écrire sans y mettre un peu de soi ou y projeter le soi qu'on voudrait être. Par contre l'écriture n'est pas un reflet, car la page blanche n'est pas un miroir. Il faut la briser pour y voir quelque chose.
Voilà l'instant où j'ai envie de reprendre la définition du début...
" Je, tu, il ": Genre hermaphrodite où les mots s'enchaînent et se multiplient pour écrire une histoire de lettres. Ni masculin, ni féminin, juste une illusion d'avoir écrit quelque chose pour donner l'illusion au lecteur d'avoir lu quelque part.
L'écriture n'est-elle vraiment qu'illusion ?
L'écriture est illusions, au pluriel.
Illusion
pour l'écrivain qui pense maîtriser les mots
pour raconter une histoire, exprimer des sentiments,
séduire ses lecteurs. Or c'est un leurre puisqu'il est condamné à utiliser des mots que l'histoire lui impose.
En ce sens l'écrivain est un manuel qui a acquis l'art
d'agencer les mots pour construire quelque chose
comme une maison bulle dans laquelle il espère enfermer ses lecteurs.
Illusion
pour le lecteur qui se projette dans le récit en se l'appropriant quelques
instants comme une réalité qu'il veut ou ne veut pas vivre.
L'écriture
comme illusions est alors la manifestation d'un rêve éveillé, d'une liaison
intime entre l'écrivain et le lecteur qui s'ignorent.
Voilà bien l'essentiel... Voilà pourquoi j'écris... pourquoi nous écrivons tous...
Christine Brunet
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