texte 2 du concours
Ça y est !
Ça y est ! Elle est là, insidieuse, déjà tenace, nichée au creux de l’estomac, comme si j’avais avalé des cerises avec leurs noyaux. Et pourtant, il reste encore tant de semaines à passer.
Ils étaient tous partis. Le petit connard d’en face était parti ; lui et son affreux chien qui passait sa journée à courir après les chats du quartier. Je les avais vus monter tous les deux dans leur voiture bourrée de valises et de cannes à pêche, me gratifiant d’un sourire méchant et d’un aboiement stupide ; d’un aboiement méchant, d’un sourire stupide, je ne savais plus. « En route ! », avait dit son père, bien fort pour que toute la rue l’entende. En route vers les « pays imbéciles où jamais il ne pleut », selon le vers d’une chanson d’un poète à moustaches que mon grand-père écoutait souvent. Parties aussi les voisines, deux pimbêches qui passaient le plus clair de leur temps à se tirer les cheveux et à se traiter de tous les noms d’oiseaux. Et tous les autres, tous les autres aussi. Des déserteurs happés par un appel irrésistible lancé chaque été ; inévitablement là, comme les grippes en hiver.
Mon amie la pluie était devenue ma seule compagne de vacances. Elle venait frapper à mon carreau comme le grand Tom quand il voulait faire une partie de foot. Le grand Tom ! Un gaillard long comme un poireau monté dont la peau laiteuse, à son retour, aura pris des teintes de poivron rouge.
Ça y est ! Je l’avais un moment oubliée celle-là. Elle a bougé, un petit saut vers les intestins. Je n’ai pourtant pas mangé de cerises. « P ...d’appréhension ! » dirait mon père qui ne manque jamais d’illustrer ses discours de jurons. Trois semaines encore !
Nous aussi, nous allons partir. La mer ou la montagne ? Chez nous, c’est beaucoup plus simple que ça. Un large consensus, selon une expression que j’ai entendue une fois à la radio. Chaque année, une fois pour toutes, c’est la mer et la montagne. La mer et la montagne : Un accord sur lequel ni mon père ni ma mère ne reviendront. Moi, on ne me demande pas mon avis. Mais qu’importe ! J’en ai déjà assez avec ce poids d’une tonne au moins qui me bloque la poitrine. Mes parents ont passé plusieurs heures hier sur l’ordinateur, chacun leur tour, l’une pour trouver des maillots de bain deux pièces, l’autre des chaussures de randonnée. Un signe qui ne trompe pas, le départ est proche.
Et ça voyage ! La poitrine maintenant !
La mer et la montagne. Concrètement, c’est d’abord une semaine, allongé sur du sable brûlant, souillé de mégots et de noyaux de pêches et, malheureusement, des nouilles à tous les repas ; un menu imposé par la petite cousine, une chipie forte de son statut d’hôtesse. Et dans la foulée, une autre semaine à suivre l’oncle dans ses folles randonnées pédestres, un être autoritaire qui, dans les moments les plus durs me lancent des regards pleins de reproches où je crois lire cette terrible phrase qui en a fait trembler plus d’un : « Marche ou crève ! »
Le retour enfin ! Une peau qui part en lambeaux, des ampoules aux pieds prêtes à exploser. Douleurs insignifiantes comparées à cet étau qui me broie tout le corps.
Le moment, l’évènement, l’épreuve est proche. Un tremblement, parfois, me saisit tout le corps. Je me réveille la nuit, en sueur, oppressé.
Ça y est ! Je suis dans la situation de la victime qui ne peut plus échapper à son agresseur. Elle nous a fait asseoir, promenant sur chacun, ses cibles, son regard de myope où je n’ai jamais vu briller la moindre lueur d’humanité. J’ai eu l’impression qu’elle s’attardait même sur moi. Et, de sa voix de caporal enroué, elle a enfin prononcé la phrase tant redoutée : « Racontez en trente lignes vos dernières vacances. Vous avez cinquante minutes. »
Une éternité déjà vécue l’année précédente. Cinquante minutes qui me paraîtraient bien plus longues que toutes les journées qui allaient suivre. Jusqu’aux prochaines vacances.