Texte n°5 pour le concours "si l'hiver m'était conté"
Si l’hiver m’était quoi ? Conté ?
Faire de la luge, du ski. Des bonshommes de neige. Sentir ses bottes s’enfoncer dans la matière, se balader au milieu des sapins, ou glisser sur un lac gelé, pourquoi pas ? Tout cela doit être bien agréable, en vérité.
Si l’hiver m’était conté, je choisirais l’hiver 1985.
Noël 1985.
Le tout dernier où nous fûmes réunis. Grand-père et grand-mère étaient là. Et toute la famille. Du moins, les membres de la famille ayant l’esprit de famille. Chaque famille a ses gros cons, et ses Moi je. Ça va de pair, bien souvent. Mais ne dévions pas du sujet.
L’hiver, pour certaines personnes, incarne le froid, les journées trop courtes, et uniquement cela, et c’est bien triste. Si jamais je me montrais dogmatique, pardonnez-moi… Je trouve simplement triste d’associer l’hiver et la morsure du froid et… point à la ligne. Une rose n’a-t-elle pas d’épines ? Elle est belle, pourtant.
L’hiver, c’était la pureté. Il reste le fantasme d’une innocence retrouvée. C’était la chaleur, les baisers… Les accolades vraies.
J’écris tout cela à l’imparfait, et j’ai une soudaine envie de pleurer. Si je le faisais, pardonnez-moi… Vous ne me verrez pas, de toute façon.
Si l’hiver m’était conté ; remontons à bien, bien loin, ce serait sortir de l’école et faire exprès de ne pas avoir fermé mon blouson, juste pour le plaisir de laisser faire maman, et l’entendre s’écrier : « Tu vas attraper froid ! »
Ce serait retrouver mémé à la maison, et l’embrasser très fort. Pas pour le bon chocolat chaud servi au moment même de franchir la porte, et le savourer juste avant de préparer la rédaction du lendemain. Mais parce qu’elle se serait donnée cette peine, malgré ses problèmes de santé grandissant.
Si l’hiver m’était conté, ce serait rejoindre pépé dans son lit, le matin, et l’écouter raconter des histoires stupides, fantasques, mais que j’adorais, du moins avant que je prisse quelques années et devinsse un jeune con. Un jeune con avec lui, du moins…
Si l’hiver m’était conté, ce serait le vif souvenir du centre-ville, descendre y acheter les chocolats de Noël. Ce serait faire les magasins de jouets et retrouver ces yeux presque éteints depuis trop longtemps.
Parce que dans : « Si l’hiver m’était conté », il y a ce verbe à l’imparfait, qui nous rappelle que ce qui était n’est plus. Et l’hiver, autrefois si chaud, est aujourd’hui…
J’allais me dédire !
Nous sommes des adultes, alors il faut faire comme si ! Mais l’hiver demeure tiède. Irrémédiablement tiède…
Le voyez-vous, ce que je fais ? Je tombe, comme les feuilles d’automne.
Grand-père est parti un vingt-trois décembre, l’année d’après. Et si l’hiver m’était conté, ce serait ce Noël de 1985. L’hiver carillonnait. Il était là. Ils étaient là.
Depuis, l’hiver, le vrai, est en moi. Ça sonne comme un Moi je, je sais. Pardonnez-moi…