Texte 6 pour le concours "Les petits papiers de Chloé" sur le thème de la magie
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Lampion à la bave de crapaud
La locomotive se mit à l’arrêt et poussa un profond soupir, laissant son haleine blanche monter vers le ciel de verre et de fer. Minerva quitta le compartiment qu’elle avait partagé avec son ami Loki et rejoignit le quai bondé. Pestant contre la malchance qui l’avait menée là, la jeune fille zigzagua entre les voyageurs et les chariots à bagages, entraînant son compagnon à sa suite.
Ce détour en ville avait beau être déplaisant, il était néanmoins nécessaire. Aussi, Minerva dut elle maîtriser sa nature bouillonnante et prendre son mal en patience.
Sur le parvis de la gare, attendant que le valet eût déplié le mache pied de leur élégant cabriolet, trois dames en robes de voyage, sanglées dans des vestes leurs faisant une taille de guêpe, des petits chapeaux emplumés élégamment posés sur leurs chevelures savamment coiffées, se mirent à chuchoter et pouffer en observant la jeune fille et son coquet compagnon. La silhouette longiligne de Minerva, aussi raide que le balai laissé à la maison, dissimulée sous un long manteau noir informe, se tourna vers le trio. Sous le chapeau noir à large bord et couronne pointue, qu’on avait pris soin de rabattre et d’entourer d’un gros nœud violet pour plus de discrétion, un regard impérieux se fixa sur les silhouettes féminines, qui disparurent précipitamment dans leur véhicule.
Tout ce temps, Loki observa la scène de ce même air hautain qu’arbore souvent les félins car, malgré sa petite taille, le personnage aimait regarder le monde de haut et ne s’en cachait pas.
Toutefois, son attention fut rapidement détournée par le cab venant de s’échouer au pied du trottoir et qu’il s’empressa d’investir, son amie à sa suite.
‒ Nous cherchons la rue millepertuis, vous connaissez ? demanda celle-ci au cocher.
‒ Bien sûr, mademoiselle. Si vous cherchez un commerce, c’est le bon quartier.
Avec un coup d’œil satisfait à son compagnon, Minerva fit signe au cocher de démarrer.
‒ Tu es sûre pour le nom de la rue ? demanda Loki.
‒ Certaine ! Douterais-tu de ma capacité à interroger un miroir magique ?
‒ Je vérifiais, c’est tout.
‒ Tsss ! C’est juste cette histoire de lanterne qui me chagrine. Je ne sais pas pourquoi il m’a montré cela, mais je suis sûre que nous comprendrons quand nous serons sur place.
‒ Si tu le dis.
Le cab les déposa au coin de la rue recherchée et Minerva tira de son petit sac en coton violet habilement crocheté, quelques pièces qu’elle tendit au cocher.
‒ Merci, mademoiselle. Si vous cherchez un nouveau manteau, vous êtes au bon endroit, informa ce dernier, avant de se tourner vers un groupe de clients qui le hélaient déjà.
‒ Pourquoi je voudrais m’acheter un nouveau manteau ? grinça l’intéressée en observant les vitrines défiler alors qu’elle parcourait la rue millepertuis au pas de charge, ses bottines pointues claquant sur les pavés avec détermination.
‒ Regarde ! Là ! fit Loki en traversant la rue.
Sur l’une des vitrines un « Maison Lampion » s’étalait en courbes gracieuses.
‒ Alors voilà ce que ce coquin de miroir voulait dire !
Un grelot tintinnabulant annonça leur entrée dans la boutique. Des étagères aux formes charmantes en habillaient les murs et des vitrines habillées de satin en occupaient l’espace, tandis que leurs contenus hésitaient entre l’insolite et l’inattendu. Un petit homme grassouillet vint à la rencontre de ses nouveaux clients et, à sa mine, on devinait qu’il ne savait trop qu’en penser.
Si le jeune homme à l’allure déliée, ses cheveux noirs impeccablement lissés, la mise soignée sous son foulard parfaitement noué et ses soulier cirés, lui faisait plutôt bonne impression, la jeune fille, dans ses couleurs de deuil, avait un je-ne-sais-quoi d’inquiétant.
‒ Nous cherchons un cadeau, expliqua cette dernière.
‒ Oui, mère est une femme de goût ajouta Loki en offrant au commerçant son plus beau sourire.
‒ Un parfum, peut-être ? proposa le petit homme.
‒ Mmm… fit Minerva en se tapotant la lèvre inférieure.
‒ Pourquoi pas un bijou ? dit Loki en se penchant sur un petit buste où étincelait un collier.
‒ Quelle bonne idée ! fit le commerçant ravi.
‒ Quelque chose de vert. Mère aime le vert, avec une pointe de doré.
‒ Bien sûr, monsieur.
‒ Si vous aviez quelque chose d’original, ce serait parfait.
‒ Je viens justement de recevoir une pièce unique qui pourrait vous intéresser. Une merveille ! Une pierre qui, sans être précieuse, n’en n’est pas moins exceptionnelle.
Le petit homme s’enfonça dans l’arrière boutique et revint aussitôt avec un présentoir. Sur ce dernier reposait un tour de cou de dentelle noire, orné d’un pendentif en forme de poire vert bronze pailleté d’or.
‒ C’est exactement ce que nous cherchons, dit Minerva en s’emparant avidement du bijou. Et maintenant que j’ai retrouvé ce qui m’appartient, vous allez me dire qui vous l’a vendu !
La jeune fille foudroya le commerçant des yeux pendant que son compagnon dévoilait de splendides canines effilées comme des aiguilles.
‒ Un vamp… un vampire ! s’écria le commerçant, avant de tourner de l’œil.
Quelques heures plus tard, de retour à la campagne, au cœur d’un petit bois, dans la chaumière que Minerva partageait avec Loki, un korrigan rendait des comptes à une sorcière fort mécontente.
‒ Je sais que c’est toi qui l’as volée, disait celle-ci, le miroir m’a donné des indices pour la retrouver, même s’il a refusé de me dire qui l’avait prise ! fit-elle en pointant du doigt l’intéressé.
Pendu à son mur, ce dernier avait le tain brouillé.
‒ Je…
‒ Tu l’avais vendue à un boutiquier de la ville qui croyait que ma concrétion de bave de crapaud n’était qu’une pierre sans valeur !
‒ Et moaaw, un vampire ! s’exclama Loki, outré.
Roulé en boule sur un moelleux coussin, devant la cheminée ou un bon feu léchait un chaudron callipyge, le familier matou se lissait consciencieusement une oreille de ses coussinets de velours.
‒ Excuse-moi, plaida le korrigan, je voulais seulement ajouter quelques pièces dans mon petit chaudron. Tu sais, celui qui est au pied de l’arc-en-ciel.
‒ En vendant mon bien ? Tu mériterais que je te transforme en crapaud.
‒ Mais tu ne le feras pas, hein, dis ?
…
‒ Tu vas le laisser comme ça combien de temps ? demanda Loki, un peu plus tard, en lorgnant le korrigan pétrifié qui exposait sa mine surprise parmi les mandragores.
Coléreuse, Minerva avait posé le lutin au jardin, à côté de sa magi-lanterne, en grommelant à propos d’une histoire de lampion avec qui il faisait la paire.
‒ Le temps nécessaire ! répondit la sorcière en observant son œuvre les poings sur les hanches. Je tiens à ce qu’il ait le temps de méditer sur ses erreurs.
‒ Et le crapaud ?
Minerva posa l’amphibien pétrifié à côté du korrigan.
‒ Tu crois qu’il va s’illuminer ?
‒ Sûrement pas ! Pourquoi est-ce qu’il s’illuminerait ?
‒ Parce que c’est un crapaud Lampion, tiens ! Mrooww wow wow…