Concours "Les petits papiers de Chloé" : texte 3

Publié le par christine brunet /aloys

VINGT ANS PLUS TARD

J'avais onze ans. J'étais assez timide, mal dans mon corps et mal dans ma tête. J'étais moyenne dans la plupart des matières et n'excellais en rien. J'enviais mon cousin Claude, mon aîné de quatre mois. Claude réussissait ce qu'il entreprenait et s'en vantait. Impossible d'ignorer que c'était un as ! Le malheur voulut qu'il fréquentât la même classe que moi et que, nos parents travaillant ensemble dans l'entreprise familiale, nous nous côtoyions quasiment chaque jour.

Un grand concours de dessins "magnifique nature" fut organisé par le journal local. Je vis bientôt Claude, installé dans le bureau de la secrétaire. Il réalisait un superbe paysage représentant une forêt exotique et des animaux bizarres. Le premier prix ne pouvait être que pour lui, me semblait-il. Je l'enviais de plus belle… Cependant, au fil des minutes, par je ne sais quel miracle, je me dis qu'une compétition n'est jamais perdue d'avance et je me mis, moi aussi à la tâche. J'allai montrer mon œuvre à Bernard, mon voisin de quatorze ans que je savais amoureux de moi. Et sans que je le lui aie demandé, Bernard m'aida ! En quelques coups de crayon décisifs, il transforma mes arbres on ne peut plus banals en petits chefs d'œuvre d'originalité. Ma production avait vraiment de la gueule et je remportai le premier prix.

Désormais, forte de mon succès, j'eus recours à Bernard pour préparer mes rédactions et mes travaux de recherche, voire pour corriger certains devoirs. C'est ainsi que j'en vins à briller dans le domaine littéraire. "Le travail paie et les efforts de Bénédicte portent leurs fruits. Attention Claude, ta cousine va te dépasser…", annonça notre instituteur. C'était très maladroit, mais le résultat était là : Claude se renfrogna. Son ego accusait le coup !

À d'autres occasions, j'eus encore recours à Bernard. C'est ainsi que je terminai l'année scolaire avec un petit point de plus que mon cousin. Claude, qui était avide de succès, perdit de sa superbe. Je remarquai alors qu'il prenait de plus en plus de risques dans la pratique de sports… Durant les vacances d'hiver, Claude fit du ski hors-piste. Il s'aventura seul dans les bois avec son vélo tout terrain et comble de la désobéissance, il emprunta la mobylette de son frère alors qu'il n'avait même pas l'âge de la conduire !

Je n'étais finalement qu'une gamine quand j'avais commencé à tricher et cela était resté un secret entre Bernard et moi ! C'était de simples malices d'enfants, elles avaient pourtant eu un effet dévastateur sur Claude !

Vingt ans ont passé et un matin de juin, Claude est mort au volant de son coupé rouge. Il a raté un virage d'une petite route de campagne.

Le soir même de son décès, en rentrant du travail, j'ai découvert une petite photo de Claude dans ma boîte aux lettres. C'était une photo d'identité qui semblait récente. J'avais autre chose à faire que de me soucier de ce qui avait pu la déposer là. C'était la période d'examens et plus de cent copies attendaient que je les corrige.

Les jours suivants, j'ai trouvé des dizaines de photos identiques, un peu partout chez moi. Dans la poche de mon anorak, sous ma tasse, dans ma trousse de maquillage et même dans mon agenda !

Je ne me souviens pas souvent de mes rêves et pourtant depuis le décès de Claude, le même cauchemar revient chaque nuit et j'en revois chaque détail : Claude est au volant de son bolide rouge, il cherche à dépasser ma petite auto blanche. Je suis au volant, Bernard est à mes côtés. Il me presse : "Vas-y, accélère !" Et puis, il y a ce virage que Claude verra trop tard… Oui, chaque nuit, le même drame se reproduit. Oui, chaque jour, je trouve une photo. Et cette fois, toutes les belles paroles et tous les conseils de Bernard sont inefficaces.

Claude, dégage ! Fous-moi la paix ! Arrête de me harceler ! On n'est plus des gosses quand même !

Publié dans concours

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P
Pas très gaie, cette 3e histoire mais la vie n'est pas toujours gaie, n'est-ce pas?
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R
Les enfants sont inconscients parfois, surtout lorsqu'un esprit de compétition entre en jeux !<br /> C'est pourquoi les éducateurs doivent se montrer particulièrement attentifs à ne pas aiguiser les démons qui dorment.<br /> Il n'empêche, l'histoire est bien menée tout en donnant matière à réflexion. La vengeance n'est-elle pas un plat qui se mange froid ?<br /> Brr. cdpendant !
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M
Pas mal ! Comme quoi, à tort ou à raison, la culpabilité nous poursuit tous. Ces photos inattendues qui tombent sur la maison sont une belle image d'obsession.
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G
J'aime vraiment beaucoup ce texte.... chute fantastique subtilement amenée,...ça me rappelle Dino Buzzati!
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E
Ah ça oui, c'est lugubre... la vengeance posthume de Claude... réelle ou imaginaire!
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M
Bien sinistre histoire.
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C
Un texte noir de noir. Le troisième texte. C'est vraiment amusant de lire toutes ces vengeances, on attend la prochaine comme si on attendait un épisode de feuilleton.
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J
Pas de meurtre direct cette fois ... Mais lugubre ...
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