"La réconciliation selon la tradition africaine", dernière notion abordée dans l'essai d'éthique politique signé Cyriaque Maixent Ebenga "Reconstruire le Congo-Brazzaville"

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

La réconciliation selon la tradition africaine

 

La « sagesse africaine » n’est pas qu’une expression conventionnelle, elle existe.

C’est un ensemble de procédés originaux qui ont permis aux hommes de l’Afrique traditionnelle d’aménager aussi harmonieusement que possible le terrain tendu d’embûches des relations humaines. Une telle philosophie est offerte par chaque société à ses membres, et elle fait partie de l’héritage social transmis de génération en génération. Dans les traditions africaines traditionnelles, cette philosophie se présente sous deux formes nettement différentes : Savoir exprimé mais ésotérique, et thèmes implicites sous-jacents. Dans le premier cas, la vision du monde est formulée dans des récits secrets que mémorisent et se transmettent quelques hommes, qui sont parvenus aux degrés les plus élevés d’une société initiatique. Ces traditions ésotériques l’expriment, comme tous les textes sacrés, en un langage imagé et clos qui nécessite une exégèse explicative.

Dans la deuxième forme que peut prendre une philosophie africaine traditionnelle, les thèmes ne sont pas exprimés dans des textes : ils sont inférés de comportements, d’usage, de croyances, de rites par l’observateur. C’est par cette démarche logique que « Placide Tempels » l’a appelé la « philosophie Bantoue », elle est faite de quelques principes d’ordre ontologique (puisqu’ils portent sur la nature même de la réalité, qui est au-delà des phénomènes et les soutient).

Avant l’arrivée des colons, l’Afrique, en particulier le Congo, était régie par le droit traditionnel. Il avait sa source dans les croyances religieuses africaines.

Ce droit conçu par les Congolais pour répondre à leurs propres besoins réglementait le comportement des individus vivant en société. Le droit traditionnel administré par des chefs coutumiers était scrupuleusement respecté. Avec la colonisation, l’introduction des européens confina de facto, le droit traditionnel dans un rôle de second plan. Mais le droit traditionnel continua de s’appliquer exclusivement aux seuls africains pendant la période coloniale. Il était appliqué par des tribunaux d’exception appelés «Tribunaux coutumiers ».

En cas de conflit de lois entre une norme de droit traditionnel et une norme de droit européen, la dernière l’emportait. Les colons, quant à eux, restaient soumis au droit européen et relevaient des tribunaux de droit commun.

Pour certaines matières, les Africains relevaient des tribunaux de droit commun qui appliquaient en pareille circonstance le droit colonial.

Les droits européens s’illustrèrent en Afrique par leur souveraine inadaptation et leur incapacité congénitale à appréhender les faits et des situations propres à la culture africaine.

Ceci fait penser et surtout réfléchir a ce qu’avait dit Monseigneur Ernest Kombo dans une interview à propos de la réconciliation après les guerres qui ont terriblement ensanglanté le Congo.

 

« Nous nous sommes trompés parce que nous n’avons pas associé les sorciers. Nous le regrettons. Si nous avions associé les sorciers, de par la fonction sociale de chefs coutumiers qu’ils occupent au sein de notre société, tous les moqueurs, tous ceux qui ont enfreint la réconciliation, seraient déjà sous la terre.

Malheureusement le curé que je suis n’a pas pensé aux sorciers ou psychologues. La réconciliation doit partir des cœurs, des villages, des quartiers pour enfin devenir publique. Et cela aurait dû être encadré par tous nos sorciers encore vivants. »

 

Malheureusement, l’introduction du Christianisme en Afrique favorisa l’effondrement de la culture africaine. En effet, avant l’arrivée des missionnaires, les chefs coutumiers dépositaires du pouvoir traditionnel protégeaient et veillaient sur la société. En cas de trouble ou de conflit opposant deux tribus ou deux ethnies, la communauté faisait appel à leur sagesse. Grâce à leurs pouvoirs, les chefs coutumiers arrivaient à résoudre le différend sous l’arbre à palabres  « Mbongui ». Ils étaient très respectés.

Les premiers missionnaires s’attachèrent particulièrement à détruire les religions africaines ainsi que les objets de culte, et avec elles, toute la tradition.

En réalité, ces missionnaires, qui venaient évangéliser les peuples primitifs, comme ils le disent, jouaient le rôle d’éclaireurs et préparaient le terrain de la colonisation. Ces premiers missionnaires avaient à la main gauche la Bible, et à la main droite une arme. La Bible servait à civiliser, et l’arme à décourager les récalcitrants. De ce fait, la résistance s’est organisée, elle était politique et religieuse. De cela, on en y déduit également une organisation religieuse bien avant le Christianisme.

Il serait important de souligner que les Africains croyaient à une religion, « l’Animisme », contrairement à ce qui se dit. La civilisation africaine était structurée et organisée au niveau politique, juridique, économique, social et religieux, organisationnel et culturel. Que ce soit dans un royaume, un empire ou même en dehors de ces entités. Nous nous intéressons uniquement à deux types d’organisations bien hiérarchisées qui entrent dans le cadre de notre réflexion. Hiérarchisées dans chaque organisation, certaines classes avaient le droit et le devoir de régler les conflits, ce qui n’était pas le cas pour les autres classes.

La juridiction était réservée aux sages (personnes âgées ayant beaucoup d’expérience en dehors de ceux qui occupaient une fonction au sein de la société) qui règlent les conflits sous l’arbre à palabres « Mbongui » ou corps de garde au centre du village. A cette époque, il n’y avait pas de convocation écrite, le tam-tam jouait le rôle de porte-voix pour annoncer un événement ou encore, le chef du village se mettait à un endroit où il lançait un appel, repris par des relayeurs, pour convoquer tous les villages environnants.

Lorsqu’il s’agissait d’un conflit, la disposition de la cour se présentait comme suit :

Le chef du village était au milieu, les sages autour, et les accusés au centre ; les femmes quant à elles étaient en arrière plan. La parole est prise en premier par le chef du village qui préside la séance, il accueille et remercie les personnes présentes d’avoir répondu nombreuses à son appel.

Après cela, il communique l’ordre du jour en utilisant divers proverbes et en citant des cas similaires qui se sont déjà produits. Ensuite, la parole est prise par d’autres sages ; la parole se demande par un claquement des mains en signe de croix, le chef du village, en répondant de la même manière, vous accorde la parole. Les sages, en intervenant à tour de rôle, entérinaient ce qu’avait dit le chef. Et ce n’est qu’après que les accusés, à tour de rôle, pouvaient parler sous le contrôle des sages.

Il s’agira pour chacun des accusés de convaincre l’assistance par la pertinence de ses propos. Après l’audition des deux parties, les sages leur prodiguent des conseils. La réconciliation se faisait après les conseils des sages. Mais auparavant, le chef du village s’entretenait, à tour de rôle, avec chacune des parties, et à son retour, le collège des sages pouvait savoir si les deux parties acceptaient cette réconciliation, soit par des signes qu’ils étaient seuls capables de déchiffrer ou après concertation derrière les cases. Et ce n’est qu’après cela que pouvait se faire la réconciliation de façon définitive.

En Afrique de l’Ouest par contre, il y a certaines familles patronymiques, prises deux à deux. Ici sont instituées des relations intra ethniques et interethniques d’obligation et de plaisanterie. Par exemple, chez les Peuls constitués en quatre grandes familles patronymiques : Bâ, Barry, Diallo, Sow, les relations à plaisanterie s’exercent dans un sens bien déterminé et précis : d’une part entre les Bâ et Diallo et, d’autre part entre les Barry et Sow, très strictement, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de relations de plaisanterie et/ou d’obligation entre : Bâ-Sow, Bâ-Barry, Diallo-Barry, Diallo-Sow qui demeurent des relations d’obéissance aux règles générales de différenciation socioculturelle liée à l’âge, au sexe, au rang.

Ce qui se trouve ainsi posé, c’est le problème des relations affectives privilégiées, institutionnalisées selon plusieurs modalités : honte-pudeur, par exemple entre le gendre et la belle-mère, entre leur belle-fille et son beau-père ; agressivité rituelle à sens unique du père au fils aîné chez les Peuls, à réciprocité entre camarades de même promotion et de même classe d’âge ; institutionnalisation de l’affection proprement dite, essentiellement entre enfants et parents maternels, et en particulier, entre neveux et oncles maternels, grands-parents maternels et petits-fils.

Les modalités rationnelles, tout en étant nombreuses et variées, existent en nombre fini et précis dans un même ensemble communautaire. Mais il n’est pas nécessaire de les énumérer toutes ici : ce que nous voulons simplement, c’est souligner l’institutionnalisation des sentiments et relations interpersonnelles, ainsi que faire remarquer l’existence de certaines modalités de résorption de l’agressivité.

C’est ainsi qu’à l’intérieur du même groupe d’âge, où la compétition synchronique est à peine cachée, il y a de nombreuses techniques instituées d’écoulement de l’agressivité. Nous en citerons une du pays Peul : le Wettoorè. En voici le canevas général : deux adolescents, appartenant à la même classe d’âge, se trouvent être en conflit, ce qui finit par créer une tension qui va en croissant au sein de la communauté. Des personnes appartenant à un groupe plus âgé décident d’organiser une séance publique de dramatisation-dédramatisation, séance à laquelle sont invités tous les jeunes.

Un cercle humain est formé, à l’intérieur duquel les deux protagonistes-acteurs sont invités à prendre place en « face à face ». Le déroulement de l’action consiste dans l’invective verbale mutuelle, à tour de rôle et de parole, sous le contrôle des aînés présents. Il s’agira, pour chacun des deux protagonistes, d’inventer des métaphores à l’adresse de l’autre, métaphores piquantes, caustiques, très ironiques, investissant, au fil d’incantations poétiques, tous les détails de la personnalité de l’autre – le corps, le maintien, les attitudes, le caractère, etc. –, bref, c’est à celui qui convaincra le plus l’assistance par la pertinence de ses propos ou par son lyrisme… On en rit et, à la fin de la séance, les deux protagonistes s’étant suffisamment « exprimés », il y a chute de la tension conflictuelle qui appelle la réconciliation, consacrée d’ailleurs par les aînés.

Il existe un rapport formel entre toutes ces pratiques et celles de certains griots- mi-chansonniers, mi-fous du roi qui, par l’ironie qu’ils expriment au travers de leurs « chansons », visent à aplanir des conflits latents de communication, ou à réduire l’écart psychosocial vécu entre les personnalités politiques puissantes d’une communauté et le citoyen moyen. 

Publié dans présentations, Textes

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J
J'ai déjà eu l'occasion de saluer favorablement des extraits de cet ouvrage, et je réitère.
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M
Une analyse fine et fort intéressante.
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