Texte 2 : Concours sur l'imaginaire
La lettre
Nul tampon sur cette enveloppe au ventre gonflé et à l’écriture inconnue. Dorine la palpe, l’observe puis ne résiste pas au désir de l’ouvrir sur le champ, là devant tous. Elle cache son émotion en découvrant sur les quelques feuillets une écriture si différente de celle de l’enveloppe. Une écriture qui, une bonne quinzaine d’années plus tôt, lui fut très familière et qui est toujours en sa mémoire, incrustée à jamais. Le « Ma chérie » aperçu subrepticement en replaçant les messages dans leur enveloppe attise sa curiosité. Elle attendra pourtant d’être seule pour en savourer la suite. « Mais d’où proviennent ces écrits puisqu’il a quitté le monde depuis plusieurs « années ? Ils sont datés de quelques jours avant sa disparition ... « Sans doute a-t-il été transporté d’urgence dans un hôpital. Il n’aura pas eu la « possibilité de me les envoyer... « Peut-être les a-t-il confiés à un ami, à celui qu’il avait chargé de me prévenir de son « décès : « Il tenait absolument à ce que je vous prévienne immédiatement, vous « étiez la femme de sa vie » ... « Nul doute que c’était là sa façon de me faire participer au dernier adieu que ni la « distance ni les conventions ne permettaient ... « Fut-il, lui, le dépositaire de ce précieux trésor ? ... « Un autre de ses amis, peut-être ? ... « Et si c’était sa femme qui les avait trouvés, ou ses fils, dans une quelconque « cachette ? ... « Emus par un si grand amour soudain révélé, dans un élan de respect ou de « tolérance, auraient-ils pu décider de remettre ces feuillets à leur destinataire ? ... De pourquoi en comment et de peut-être en sans doute, la journée de Dorine n’est que questionnements et suppositions. Son esprit virevolte entre souvenirs, désirs et espoirs. Les années ne se sont pas écoulées. Elle revit chaque instant de sa vie d’alors mais elle craint de les avoir enjolivés et peut-être un peu magnifiés avec le temps. Elle se connaît. Elle sait la force de son esprit. Voilà, enfin, le moment venu de mettre fin à son attente, à son besoin de ressusciter, de retrouver les mots du bon vieux temps, les mots qui l’ont construite, qui l’on consolée, qui l’ont fait naitre à elle-même et à la vie. Que ce retour impromptu dans la chaleur de sa vie lui fait de bien ! Ses mains tremblent. Que cette attente fut délicieuse ! «Ma chérie, je ne te mérite pas ... « Tu m’as tant apporté ... « Tu as été si patiente, ma femme adorée, ma si chère Elsa. L