Texte n°5 Concours les petits papiers
L’étranger derrière la porte…
Après de si longues années d’un silence coupable, j’ai décidé, au crépuscule de ma vie, qu’il était grand temps de libérer ma conscience. De tenter d’alléger enfin ce fardeau qui pèse si lourd sur mes épaules. De révéler au monde l’origine de ce remords qui me ronge sans répit. De confesser l’énormité de ma faute. Devant Dieu et devant les hommes, comme dit la chanson.
Alors, voilà… Tout était calme ce soir-là. À la réflexion, même un petit peu trop calme, me dis-je en réalisant que je n’entendais plus le chant habituel des grillons par la fenêtre ouverte sur le jardin. Légèrement intrigué, je m’en approchai tranquillement quand une vive lueur verte jaillit de l’obscurité, m’obligeant à fermer vivement les yeux.
Le décor familier avait dramatiquement changé lorsque je les rouvris, les protégeant d’une main qui se voulait ferme de la lumière glauque dans laquelle tout baignait, donnant au quartier un aspect absolument fantasmagorique. Stupéfié, puis paniqué, je perçus un bourdonnement continu provenant de l’autre côté de la maison, là où se trouvait la porte d’entrée.
Ne sachant trop si je devais tout de suite tenter d’en apprendre plus ou s’il était plus avisé de s’enfermer à double tour et d’attendre des nouvelles devant la télé, je me penchai pour risquer un coup d’œil prudent à l’extérieur. Ce qui me permit d’apercevoir une partie d’un drôle d’engin posé sur la pelouse, un objet massif et légèrement phosphorescent touchant apparemment à peine le sol.
Mon cœur se mit à battre la chamade. Ainsi, « ils » étaient là. Et c’était de toute évidence à moi qu’ « ils » en voulaient. Affolé, je fis en quatrième vitesse le tour des pièces de la maison pour fermer vivement les volets, et courus ventre à terre vers la porte que je verrouillai soigneusement, la bloquant même avec le dossier d’une chaise coincé sous la poignée. Puis, la gorge sèche, collai mon oreille contre la mince cloison de bois.
Un bruit de friction, nettement perceptible, acheva de me nouer les tripes. Bordel de bordel, qu’y avait-il donc derrière cette porte qui se mettait maintenant à trembler sur ses gonds ? Après bien des hésitations, redoutant vaguement de voir quelque chose que je n’aurais pas voulu voir, je fis glisser d’un doigt tremblant l’opercule fermant le judas optique.
Rien, le noir total. Compris… gros malins ! C’est à ce moment précis que je me résolus à aller récupérer le pistolet automatique qu’un oncle avait ramené en douce d’Algérie, un Mac 50 alors en usage dans l’armée française, planqué depuis des décennies sur la plus haute étagère de la cave. Merde, « ils » l’auraient bien cherché…
Je fis l’aller-retour en pédalant comme un fou. Haletant, je vérifiai rapidement la présence d’un nombre suffisant de cartouches dans le chargeur que j’engageai d’un coup sec dans la crosse de l’arme avant d’introduire une balle dans la chambre. Puis, appuyant avec détermination le bout du canon contre l’ouverture du judas, je pressai la détente.
Pan ! Une détonation assourdissante, un recul violent qui me fit mal au poignet et un trou fumant dans la porte. Et une odeur de cordite qui envahit aussitôt la pièce. Histoire d’assurer le coup, je recommençai. Une fois, deux fois, trois fois. Puis attendis, l’oreille aux aguets.
Au début, il ne se passa rien. Plus aucun bruit, à nouveau cet inquiétant silence qui m’avait fort pertinemment alerté. J’entendis alors comme un vrombissement allant d’abord crescendo pour décroître ensuite lentement. Comme quelque chose qui viendrait de redémarrer avant de s’éloigner. C’était ça… Victoire ! « Ils » foutaient le camp !
Après quelques minutes qui me parurent fort longues, une torche électrique dans une main et le pistolet dans l’autre, j’ouvris la porte avec moult précautions. Et, effectivement, leur engin n’était plus là. Pfft, envolé ! Sur le gravier de l’allée, par contre, « quelque chose » remuait faiblement. Maîtrisant avec peine ma répulsion, je m’avançai.
Bon… ça ressemblait vaguement à un bipède : deux bras, deux jambes et une horrible tête, le tout couvert d’écailles et baignant dans une mare violette et visqueuse que je présumai être du sang. Vu de plus près, un tube dépassant de ce qui lui servait de bouche et que je supposai être une espèce de filtre. Et, de façon parfaitement saugrenue, entre ses doigts griffus, une feuille souple couverte de signes !
J’approchai ma torche. Stupeur… Des mots sans suite, visiblement piochés dans différentes langues humaines ! Je reconnus d’abord du cyrillique que je ne sus déchiffrer. Quelques idéogrammes qui n’eurent pas davantage de chance. Et puis, « Frieden », « peace », « paix ». Paix !
Debout devant ce corps étranger maintenant parfaitement inerte, je commençai à réaliser ma tragique erreur. Moi, banal et insignifiant habitant de la planète Terre, obscur individu que rien ne distinguait parmi des milliards d’êtres humains, j’avais eu l’insigne honneur d’être choisi pour leur ambassade. Que je venais de faire aussi lamentablement échouer…
J’ai creusé discrètement, tout au fond du jardin, entre les rosiers et le massif de lauriers roses, un trou profond pour y enfouir ma victime. Oui, j’osais à présent la toucher. La honte avait remplacé la répulsion et si j’éprouvai du dégoût, c’était bien désormais envers moi-même…
Toutes les nuits, depuis cette soirée fatale, je scrute avidement le ciel étoilé. Reviendront-ils ? Peut-être même cette fois, au pire, avec tout autre chose qu’un message de paix ? Ou préféreront-ils nous ignorer à jamais ?
« Peuples des milliers d'étoiles
Qui palpitent loin d'ici,
Par delà les sombres voiles
Frères, vous chantez aussi ! »