Texte 2 du concours "Les petits papiers de Chloé" : Rencontre du troisième type

Publié le par christine brunet /aloys

Jeune femme cherche prince vaillant

 

 

Du plus loin que je m'en souvienne, j'ai toujours rêvé du prince charmant. Enfant, j'aimais l'imaginer beau, grand, drôle et intelligent, bravant les plus improbables périls, tantôt chevalier tranchant d'un coup d'épée la gorge d'un redoutable dragon, tantôt traversant les déserts mortifères pour me délivrer d'un cruel sultan.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'abus de contes de fées avait fait de moi une écervelée.

Heureusement les années ont passé.

Mon adolescence connut son lot de désillusions et de déboires, tant et si bien que la vérité s'imposa : la gent masculine grouillait de médiocrité. Je revis donc mes ambitions à la baisse et me concentrai sur un seul critère, impérieux : la vaillance. Mettre de côté les charmes physiques et intellectuels m’était acceptable, mais je ne pouvais supporter la compagnie d’un être pusillanime.

Evidemment, ce ne fut pas si simple.

J’avais la détermination et l’humeur versatiles, et les hommes, inlassablement, me décevaient dès le premier émoi.

C’est un cerisier qui changea le cours de mon existence.

Alors que trente-cinq ans me séparaient de ma naissance, que je vivais toujours sous le toit maternel, et que, comme tous les matins, je buvais mon café dans la tasse en porcelaine de mon enfance, debout, nue, face à la baie vitrée donnant sur notre beau jardin verdoyant, pour la première fois, je ne vis que lui. Lui, et lui seul. Le cerisier en fleurs.

Je fondis en larmes.

Des trombes de désespérance dégoulinèrent sur mes joues et mon cou. D’une fatalité accablante. Des heures à pleurer sur mon sort, ma solitude, sur cette épaule masculine que je ne parvenais pas à trouver, et sur toutes ces années passées et futures déposant partout, sur moi et en moi, la sale poussière du temps.

Satané cerisier en fleurs.

Satané symbole de fécondité.

 

Il fallait que je prenne mon destin en main, sans quoi continuer à vivre me serait insoutenable. Contre l’avis maternel, le bon sens, la prudence, la quiétude et autres pensées réfractaires, ma décision s’imposa.

Au petit matin, je quittai mon toit de toujours. Et ma campagne.

 

Je choisis de m’installer au cœur d’une grande ville. Une petite annonce de colocation avec “une jeune femme, les pieds parfois sur terre, et aimant la fête” me sembla opportune pour exaucer mes vœux de rencontres.

Emma était étonnante de bonne humeur et d’esprit d’aventure. Et quel sens de la persuasion ! Une semaine, pas une de plus, lui suffit pour me convaincre de l’accompagner à un rendez-vous singulier. Je mis ma crainte de la déconvenue de côté et me laissai gagner par l’insouciance.

 

C’était un soir d’été.

Je me souviens encore du ciel paré de ses plus belles étoiles.

Nous entrâmes dans une salle de restaurant tamisée, tout en velours. Du sol au plafond, partout, la douceur des tissus invitait au toucher. Un écrin sensoriel parfumé subtilement de vanille et coloré de flammes en bougeoirs.

Le jeu pouvait commencer.

Je pris place à une petite table ronde face à un homme charmant. Arnaud. Trop charmant, pensai-je. D’emblée, il me trouva ravissante et me conta fleurette. Sans hésitation, je l’éliminai de la liste des prétendants. Je cherchais un homme différent de mes précédentes rencontres, et certainement pas la parfaite réplique de l’archétype romantique. Paul, le deuxième, était maigre comme un clou. Isidore, le troisième, avait des mains de danseuse. N’allez pas imaginer que je m’attardais sur le physique, non, simplement sur ce qu’il laissait suggérer. Le contraire de la vaillance.

Le cinquième fut celui que je retins.

Certes, Palamède portait une chemise saillante qui mettait en évidence son corps sculpté, mais surtout, il avait dans le regard ce je-ne-sais-quoi d’étrange. Un vert électrisant. Hypnotisant. Il approcha sa chaise de la mienne, s’y assit, et vint chuchoter à mon oreille des mots d’une saisissante virilité : ”Je te ferai l’amour toute la nuit, parce que, moi, je ne suis pas un homme comme les autres.”

 

Je fis un petit signe de la main à Emma, pour lui signifier mon départ, et nous quittâmes les lieux, main dans la main. Palamède avait la paume puissante, la peau épaisse, l’ongle court, et une curieuse démarche, mélange de longues enjambées et de petits pas de course.

Je laissai le choix de l’hôtel à mon partenaire.

Dès que nous fûmes dans la chambre, Palamède m’embrassa avec fougue, promenant sa langue sur la mienne, ses mains sur mes seins, et sans que je comprenne pourquoi, il me demanda de patienter nue sur les draps, le temps qu’il se dévêtit dans la salle de bain. Qu’eussé-je pu refuser à pareil regard électrisant ?

C’est alors que Palamède surgit tel un gorille en pleine jungle, l’instrument en éveil, et moi, frétillante, impatiente de virevolter dans le tourbillon des plaisirs assouvis.

A la seconde où nous ne fîmes plus qu’un, je fermai les yeux pour prier mon corps d’être doux, prier son corps d’être puissant, mais rien n’y fit. Palamède hurla de douleur dans un cri court et strident. Le même que tous les autres hommes avant lui.

Son corps lourd s’effondra sur le mien.

Pauvre homme.

Et pauvre de moi !

           Même ici, loin de ma campagne et de mon monde, une fois de plus, ma flore carnivore avait eu raison de mon prince vaillant.

 

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P
Oups !!!<br /> C'est cruel mais comique :-)
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M
Quelle chute !
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P
Une chute tout à fait surprenante comme doivent l'être les chutes ! Bravo !
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S
Outch, que ça doit faire mal...
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E
Oh ciel, quelle atroce fin, mais que je ris de bon coeur... Certes les petites mains de danseuse d'Isidore n'auraient pas résisté à ses dansantes explorations!<br /> <br /> Bravo!
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J
Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii, mais c'est atroce, je vais faire des cauchemars cette nuit ! - Rires - !..... En t out cas, bravo pour le parfait emploi du passé simple …
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