Texte 3 du concours "Les petits papiers de Chloé" : Rencontre du troisième type
La Luciole
La Luciole était une de ces petites extra-normes aux origines bousculées, dont le présent aussi la secouait comme une centrifugeuse. Certainement, sa vie ne comportait pas d’il était une merveilleus fois, par un beau matin d’été, elle s’éveilla souriante, sa mère la prit dans ses bras pour la couvrir de baisers, son père était une présence grande et forte, ses frères et elle passaient d’interminables après-midi à jouer dans les prés avoisinants…
Elle voulait bien faire, voulait bien croire. Était forcée de faire confiance, et puis forcée de constater qu’elle s’était plantée cette fois aussi. Mais bon, de cette manière, elle avait avancé, en âge en tout cas.
Quand je l’ai connue (le temps d’un repas sidérant), elle venait de se faire prendre en main par un sinistre voyou de la haute (très haute) société française, un comte (oui) hurluberlu et amoral qui se vantait d’un ancêtre auteur d’un livre sur la démonologie, d’une ancêtre devenue Sainte en Italie, de fantômes et esprits malfaisants dans le château, et plus tard de sbires à sa solde qui s’en allaient casser les jambes de ceux que monsieur le comte n’aimait pas ou plus. À l’époque, je ne connaissais pas encore tout son pedigree, je savais juste qu’il était drôle, infidèle (à une épouse qui, actricette de télévision, l’était tout autant), et toujours prêt à une sortie qui ne ressemblerait à aucune autre. Il avait aussi l’avantage d’être plus âgé que notre petit groupe, et surtout celui que nous soyons encore, nous aussi, assez crédules.
Bref, un jour il se présente chez moi avec la Luciole. Une fille au look de titi des rues, toute jeunette, et toute soumise à son destin. Ce type si gentil qui lui avait sans doute dit être fou amoureux d’elle, et qui cherchait à la loger chez ses amis, quelle aubaine, quel seuil menant à la porte du château et la respectabilité. Sa femme comprendrait bien vite, il le lui avait affirmé, et elle habiterait avec lui dans les quartiers Est du château, ceux avec la tour et l’escalier en colimaçon. Il ne voulait plus qu’elle mène cette vie sans amour, lui en était plein, d’amour, elle était sauve ! Oui, sauve, car il l’amène chez moi en me demandant si elle peut loger chez moi le temps qu’il trouve une solution, car tu sais, ma femme, il faut d’abord que je lui en parle. Gloups ! Jamais vu la fille, la fille toute jeune mais délurée à sa façon, et je refuse, offrant toutefois qu’ils restent pour le repas, avec un couple d’amis et mon mari.
La pauvre Luciole se croit dans son futur environnement, avec ses nouvelles relations, et s’efforce d’avoir les manières les plus stylées possible. Elle tient son verre avec le petit doigt tendu comme une pince de crabe, elle se tamponne les lèvres en bouton de rose avec un millimètre carré de serviette, elle écoute poliment nos conversations peu édifiantes sans doute… Le comte la présente, résume à sa façon son existence tirée de Sans famille et Je suis née dans les favellas, et finalement en confiance, la Luciole prend un air très sophistiqué, appuie ses coudes sur la table pour y poser gracieusement son menton, et dans un clignement de paupières détendu me demande : « Et vous, madame, vous avez déjà été en maison de correction ? »