Concours pour la Revue, Les petits papiers de Chloé : TERREURS NOCTURNES texte 1
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MAUVAISES NUITS
Ce soir, la pluie bat la mesure contre le volet et s'égosille sur le carrelage de la terrasse. Je me tourne et me retourne dans mon lit. Mon esprit musarde au gré de chemins sombres. Comment trouver le sommeil quand on souhaite plus que tout voir s'ouvrir sa carrière professionnelle, mais qu'on appréhende de devoir rencontrer au préalable un personnage des plus antipathiques et qu'on a rendez-vous avec lui le lendemain ? Cherchant à me réconforter, je me recroqueville sous ma couette et la chaleur me rassurant, je finis par s'endormir.
Depuis deux semaines, en fait depuis que j'ai envoyé ma candidature, chaque soir avant de me coucher, j'éprouve une appréhension. Les yeux noirs moralistes, la bouche aux lèvres minces qui profère des propos acerbes à mon sujet, le visage anguleux vont-ils de nouveau apparaître dans mes rêves comme c'est le cas ces derniers temps ? Je le redoute plus que tout. À vrai dire, il me semble qu'ils n'appartiennent pas qu'à mes songes et qu'ils pourraient avoir une incidence réelle sur ma vie.
"Vous êtes lamentable ! Vous ne convaincrai jamais quelqu'un de vous engager si vous y mettez si peu du vôtre ! Je ne comprends pas comment vous avez pu décrocher votre diplôme ! Vous avez soudoyé une de vos relations…" Je bafouille "mais, mais Monsieur…" En retour, je reçois une gifle… et cela me tire de mon sommeil.
Un mauvais rêve de plus ! La pluie bat toujours la mesure et s'égosille toujours sur le carrelage. Je l'écoute et en l'écoutant je replonge dans mon rêve, je réentends les mots "lamentable" et "soudoyé", je ressens la brûlure d'une gifle. L'homme martèle "Incompétente, incapable. Fautes d'orthographe." Cela me tire de nouveau de son sommeil.
Je me lève, allume mon ordinateur, relis ma lettre de motivation et le curriculum vitae que j'ai adressés au centre de rééducation où je postule pour un poste d'orthophoniste. Tout me semble parfait.
Je me recouche. Je me mets en boule sous ma couette. Je me rendors. Je rêve d'un visage anguleux aux yeux noirs à la bouche fine à la une d'un journal, je lis "Drame atroce. L'entretien d'embauche tourne mal".
La nuit s'achève difficilement. Je replonge plusieurs fois dans des rêves affligeants. Au matin, je suis réveillée par "l'aigle noir" la chanson de Barbara chantée par Patrick Bruel et diffusée par la radio. C'est alors que je me souviens avec précision du visage de mon titulaire de première qui me reprochait ma mauvaise écriture, "des pattes de mouche" selon lui, et mon manque récurrent de soin. Pour la première fois depuis longtemps, cet homme aux yeux noirs et aux lèvres minces s'introduit dans mes rêves et gâche de nouveau ma vie.
Suffit-il d'être fragilisé par l'attente d'une réponse positive à une offre d'emploi pour voir ses rêves perturbés ? Les mauvais souvenirs attendent-ils en chacun le moment propice pour se manifester ? J'en suis convaincue même si j'ai été engagée par le centre de rééducation après avoir été reçue par son directeur, un homme au regard souriant, aux lèvres charnues, au visage rond et aux propos rassurants.