Concours pour la Revue, Les petits papiers de Chloé : TERREURS NOCTURNES texte 2
Toute la musique que j’aime
Ce soir-là, c’était un soir comme les autres. Ou presque. La lune avait un drôle d’habit, un pantalon trop large, une casquette de rappeur, et elle grimaçait. Je suis rentré chez moi et j’ai claqué la porte, une façon de dire merde à la journée de turbin. Car au boulot, moi, j’en faisais le moins possible. Fallait pas rire non plus. J’aurais pas une médaille à la fin de ma carrière et de toute façon, j’en avais rien à foutre des honneurs. Très peu pour moi. Ça rendait furax Marie-Odile mais ce qu’elle pensait, du balai. Donc ce soir-là, c’était un soir pas trop comme un autre. J’étais aussi odieux que les autres soirs, ça oui. J’ai bouffé comme un dératé et j’ai tout laissé sur la table, ça oui. Marie-Odile était là pour ramasser mes merdes, chacun son rôle. Vers deux heures, j’ai entendu du bruit, des grincements de porte. J’ai repensé à la lune et à ses grimaces à la con. Elle s’était quand même pas glissée dans la baraque cette andouille et elle aurait pas osé ouvrir la porte à de futurs désastres, ses suppôts à la con ? J’sais pas, j’avais comme une envie de pisser dans mon lit pour me réchauffer. Mes sangs se glaçaient. J’étais mort de trouille. Et les grincements de la porte avaient fait la place à des espèce de claquements qui ressemblaient aux claquettes de Fred Astaire. Non mais ! J’entendais des musiques et je ne pouvais déterminer si elles venaient de ma tête, du dehors, ou de la cave. Du rap macéré dans une marmite huilée au folk, épicée au disco, des trucs comme ça, innommables, à vomir. J’ai voulu secouer Marie-Odile. En vain. Son pyjama était à mes côtés, vide. Le tintamarre du rez augmentait. À présent c’était du rock que j’entendais et sur les murs, des hologrammes de Chuck Berry. Effrayant. Je déambulais dans la baraque, je suivais les sons. J’ai commencé à danser tout en descendant les escaliers. Je n’étais plus maître ni de mes bras ni de mes jambes. Ma tête commençait à ne plus m’appartenir. Sur les murs, des flashs, des hologrammes multicolores de musiciens comme Soprano, Franck Sinatra, un méli-mélo de tout quoi. Tant bien que mal, j’ai descendu les escaliers de la cave. Mon corps tourbillonnait comme une toupie. Quelque chose ou quelqu’un avait pris possession de mes mouvements, de moi quoi. J’ai trébuché et quand j’ai relevé la tête, un spectacle de dingue. Des guitares s’agitaient dans les airs, des batteries se claquaient les unes contre les autres, des saxos violaient des trombones et c’était une trompette qui jouait du piano. Des croches et des crochets m’ont cloué au mur. Je n’étais plus qu’à demi-conscient. Marie-Odile twistait nue avec Dick Rivers. Salope. Miles Davis a ricané et Johnny Halliday a écarté les jambes, m’a pointé de sa main droite et m’a gueulé : « vois ta gueule, vieux. Là, tout ce brouhaha, cette effervescence hologrammée, tu comprends pas ? t’aurais dû devenir toi aussi une idole des jeunes, t’as préféré glander dans l’administration. Putain de merde. Toute cette musique que tu entends, c’était celle qui ne demandait qu’à naître de tes doigts, connard. Tu piges tout ce que t’a zappé ? »
Alors le piano s’est soulevé et est resté suspendu dans les airs, la trompette s’est plongée dans ma gueule et do ré mi fa sol la si do m’ont giflé jusqu’à.