Concours pour la Revue, Les petits papiers de Chloé : UN DE TROP texte 3

Publié le par christine brunet /aloys

Un de trop…

 

Rrr…Zzz ! Rrr…Zzz !

Un roucoulement bizarre m’oblige à entrouvrir des paupières à demi paralysées par un doux ensommeillement. Sans doute, le ronronnement asthmatique de mon vieux matou … Mes doigts engourdis tâtent mes cuisses à la recherche du contact soyeux de son pelage fauve et ils se raidissent aussitôt au toucher du tissu de crétonne.

Je sursaute en posant les yeux sur les murs qui m’entourent et leur couleur d’écaille d’œuf  impose la triste réalité de ma vie actuelle.

Ma chambre !

Mon cadre de vie, subi comme une catastrophe quotidienne depuis qu’on m’a placée dans cette maison de repos. 

Un nouveau sifflement sourd m’agace.

Certainement ma voisine qui perturbe ma sieste de ses ronflements sonores.

Cette vieille garce ferait tout pour m’importuner : j’ai envahi son territoire depuis quelques semaines à peine et elle me le fait payer jour après jour.

Est-ce ma faute si le médecin a décidé que je ne pouvais plus vivre seule dans ma maison ?

Si j’insupporte ma compagne, elle me dérange tout autant. Dans cette unique pièce dépourvue d’intimité, il y en une personne de trop : elle… ou moi !!

Réduire l’espace des gens active leur sentiment de propriété exclusive. 

 

Je me lève pour l’invectiver de vive voix :

─ Arrêtez votre mécanique : vos ronflements sont pires qu’une scie à métaux !

 

Le silence me répond et son regard vitreux se colle au mien comme une matière gluante qui glisse lentement. Un sourire narquois sur ses lèvres sèches dévoile un dentier mal soigné et ses cheveux épars affichent une teinte terne dont le blanc sale réclame l’urgence d’un shampoing. 

Comment cohabiter avec une sorcière perfide dont la conversation se limite à des propos d’une banalité déprimante ?

Elle me dévisage encore et encore… 

La haine accentue le plissement de ses traits ridés. 

Ma colère gronde et mon poing se dresse, menaçant.

Paaf ! Craac !

 

Je regarde ébahie ma main ensanglantée et les débris du miroir qui gisent sur le sol.

J’ai frappé mon propre reflet !

Un râle caverneux s’échappe de mes bronches enflammées et réactive ma mémoire l’espace d’un instant : je suis une dame âgée et ma seule compagnie est la maladie d’Alzheimer.

 

Publié dans concours

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
B
Et dire que parfois,certains pensent qu'on est finalement bien qu'avec soi-même...
Répondre
E
Oh mais c'est terrible, ça! Quel final glaçant... Bien trouvé, en tout cas...
Répondre
S
Quelle chute ! Je ne m'y attendais absolument pas. Glaçant et drôlement bien mené.
Répondre
M
Triste !
Répondre
P
Tellement proche de la réalité ! Malheureusement !
Répondre