Concours pour le hors-série de la Revue, Les petits papiers de Chloé dans le thème "Catastrophe !" : "vous vous réveillez dans la peau d'un autre"... texte 7
« Et guili guili, et que je te caresse la tête, que je te gratouille derrière les oreilles ! Qu’est-ce qui lui prend à bobonne aujourd’hui. Voilà un siècle et demi qu’elle ne m’a plus touché ! Quant à moi, toutes mes tentatives d’approche se sont soldées par des échecs cuisants. Mes mains en brûlent encore ! J’ai vite abandonné pour me donner vers d’autres plaisirs solitaires. Quoi ? Non ! N’allez pas imaginer des choses ! Des plaisirs solitaires, j’en connais des masses comme la lecture, par exemple. Ma vie est un roman que je n’écrirai jamais, donc, je lis la vie des autres, même si ce ne sont que des personnages fictifs, parfois sortis d’un cerveau malade. Et voilà que ça recommence : les gratouilles, les chatouilles, les papouilles,… Ah ! J’avais oublié ces sensations ! Je m’étire, je bâille, je miaule.
Quoi ? Je miaule ? Qu’est-ce qui m’a pris ? J’ouvre les yeux. Où suis-je ? Dans les bras de bobonne carrément ! Comment peut-elle me tenir ainsi sur sa poitrine, une poitrine qui m’a fait tant fantasmer pendant des années et que je n’ai plus vue depuis des lustres ?
Mais c’est pas possible ! En une nuit, je suis devenu aussi poilu que… que… mais oui que ce satané matou qui dort, chaque nuit, au pied de notre lit, quand ce n’est pas sous les draps, côté bobonne évidemment ! Dites-moi que je rêve ? Et qui est cet homme qui dort dans le lit conjugal ? Il ronfle comme un cochon, la bouche ouverte. Mais qu’il est laid ! Mais c’est moi ! Ce n’est pas possible ! Je ne peux pas me voir couché dans le lit ! Où est le miroir ? Je rêve. C’est ça, je dors et je rêve que…que je suis un chat ! Il faut que j’en aie le cœur net ! Je dors ou je suis réveillé. Je vais me pincer. Mais je n’ai plus de doigts. Mes membres (je n’ose pas dire mes pattes) sont terminés par des coussinets tout doux et des griffes rétractiles. Je m’amuse à les faire sortir de leurs cavités et de les rentrer. Ce sera un peu ma gym du matin. Tiens, si j’essayais ça ? Allez, il y a longtemps que j’en rêve ! J’y vais ? Vous le feriez, vous ? Peut-être pas, mais vous ne dormez pas avec une mégère à vos côtés depuis un deux siècles, si ? Allez, je sors mes griffes et je les enfonce bien profondément dans le cou bien gras de Louise-Marie.
Ah ! Quelle jouissance, ce cri d’horreur ! J’avais oublié qu’on pouvait jouir de cette façon ! Bon, ce qui suit ne me fait pas jouir, car me voilà projeté en l’air comme une crêpe le jour de la chandeleur. Un chat retombe toujours sur ses pattes, vous le savez, donc non, je ne subis aucun dommage. Je m’examine. Tout est intact, je suis entier. Louise-Marie m’insulte, mais ça j’en ai l’habitude, pas sous ce costume, mais avec elle, les noms d’oiseaux volent. Tiens, parlant d’oiseaux, j’m’en ferais bien un pour mon déjeuner. Coco, dans sa cage dorée recouverte d’un drap qui le tient au chaud dans une douce obscurité n’a qu’à bien se tenir. Faire disparaître cet idiot de perroquet que bobonne adule autant que ce félin débile, j’en rêve depuis un siècle ! Oui, ça vit longtemps, les psittaciformes (répétez-moi ce terme cent fois de plus en plus vite) ! Qu’est-ce que j’ai souhaité lui tordre le cou à cet imitateur de mes deux !
Louise-Marie se lève tout en continuant à m’invectiver ! C’est la première fois que son chat lui fait un coup pareil ! Alors que moi, la griffer, la faire saigner, sucer son sang, j’en rêve depuis - oui, vous le savez- un siècle et demi ! C’est chose faite par l’intermédiaire de l’idiot de matou.
Mais j’y pense, si j’ai, par je ne sais quel miracle, intégré le corps du félin, lui doit être dans le mien. Justement voilà l’homme, moi, enfin le corps humain couché dans le lit, qui se réveille. Tu parles ! Comment aurait-il pu continuer à dormir avec les cris de goret qu’on égorge de ma chère épouse ? Le voilà qui se lève d’un bond et se dirige vers la salle de bains. Il se précipite sur le miroir. Il a compris ! Je le vois dans son regard effaré. Eh eh ! C’est à lui à partir au boulot, à subir les remontrances d’un chef de service de mauvais poil, les moqueries de collègues tous plus cons les uns que les autres et à retrouver une femme frigide en rentrant exténué par un travail bêtifiant ! Eh oui, sale bête, c’est à toi à faire bouillir la marmite maintenant. Quant à moi, je vais ronronner, dormir au coin du feu, manger mes croquettes au poulet et … regarder comment ouvrir cette fameuse cage qui encombre le living. J’en salive déjà…