Concours pour le hors-série de la Revue, Les petits papiers de Chloé dans le thème "Catastrophe !" : "vous vous réveillez dans la peau d'un autre"... Texte 8

Publié le par christine brunet /aloys

Morne plaine

 

Tiens, j’ai dû m’assoupir... Pas étonnant. Combien d’heures de sommeil depuis trois jours ? Éreinté, je suis éreinté…

Et merde, ce que j’ai mal au cul ! Trop de temps à cheval… Ces saloperies d’hémorroïdes m’empêcheront pratiquement de monter en selle ! Qui va bien pouvoir observer à ma place les manœuvres de ces foutus anglais ? Si seulement je n’avais pas à être partout… 

Ce sang dans le vase de nuit… En plus, ça recommence, je peux à peine pisser… Quelle poisse !

« Marchand ! 

- Oui Sire…

- Apporte-moi mon  laudanum !

- Je… oui, Sire ! Mais vous savez que les médecins vous le déconseillent à cause de votre problème de… heu… 

- Je sais, je sais, mais aujourd’hui, je me fous de leur avis ! Je vais devoir tenir toute la journée, la journée peut-être la plus décisive pour l’Empire ! Alors les médecins, je les consulterai demain à Bruxelles, quand j’aurai battu Wellington ! »

Ne cessera-t-il jamais de pleuvoir ? Foutu pays… On se croirait en Pologne  ! 

« Oui, messieurs ?

- Sire, il pleut beaucoup trop pour que nous puissions engager une bataille ce matin. L’artillerie s’embourbera.

-  Bon, on verra… Pluie ou pas, l’armée devra être prête à attaquer à neuf heures. Allez me cherchez Soult, que je lui dicte mes ordres ! »

Pourvu que le temps s’améliore ! 

« Bertrand !

- Sire ?

- Je vais vous dicter une dépêche à faire parvenir à Grouchy. Il devra cesser de talonner les  prussiens pour se rapprocher de nous, son avant-garde devrait suffire à tenir Blücher à distance. Sa cavalerie pourrait ne pas être de trop pour coincer Wellington quand j’aurai percé ses lignes…

- Bien, Sire ! 

- Je vais demander à Jérôme de diriger une attaque de diversion sur le flanc droit des anglais et lancerai ensuite toutes nos forces contre leur centre que j’espère avoir enfoncé en fin de matinée. Messieurs, si la pluie cesse enfin et que mes ordres sont respectés à la lettre, nous coucherons ce soir à Bruxelles ! 

- Vous pouvez compter sur nous, Sire ! »

Espérons…

L’attaque contre le centre du dispositif ennemi… À qui d’autre qu’à Ney puis-je confier la première charge ? Ney… Ce con n’a pas vraiment été à la hauteur ces deux derniers jours, et je suis gentil ! Pourquoi ce retard à exécuter mes ordres et s’emparer du carrefour des Quatre-Bras alors à peine défendu ? Je ne reconnais plus le bonhomme. Il n’est assurément plus le même. J’aurais mieux fait de refuser ses services, comme j’ai refusé ceux de Murat ! Après tout, il a bien trahi les Bourbons, pourquoi pas moi ? Puis-je encore lui faire confiance ? 

 Pfff… ai-je le choix, de toute façon ? Soult non plus n’a pas été avare de conneries… Ah, si j’avais encore Berthier ! Et les autres, Suchet, Brune, Jourdan, Davout,  sont-ils encore ce qu’ils étaient ? 

Bon Dieu, mon estomac, maintenant ! Appuyer le poing dessus. Ça va passer, ça va passer… Et ces hémorroïdes qui brûlent ! Bon, moi non plus ne suis-je sans doute plus ce que j’étais… Il faut que ceci soit mon ultime bataille et que ma victoire soit éclatante afin que les Alliés comprennent une fois pour toutes qui est le maître ! La bataille qui affermira durablement l’Empire.

J’ai mal au ventre. Je vais essayer à nouveau d’uriner, j’espère que ça va aller mieux… 

Tiens, mes douleurs deviendraient-elles plus supportables ? Le laudanum, bien sûr… Et voilà que  j’ai sommeil. Dormir un peu ? Non, non, pas maintenant ! 

«  Bertrand, quelle heure est-il ? On dirait que la pluie cesse et que le soleil s’annonce…

- Tout à fait, Sire. Une bénédiction ! Il est huit heures, Sire !

- Nous déménageons ! La ferme du Caillou n’est pas idéale pour observer le champ de bataille. Je vais m’installer sur le petit mamelon que nous avons repéré hier soir, pas très loin d’ici.   

- À vos ordres, Sire !

- Je prendrai un peu de repos là-bas en attendant que tout soit prêt pour attaquer. Quel dommage de n’avoir pas pu le faire à l’aube… Vous m’y faites dresser ma tente et porter mon lit de camp ! Et mes cartes, bien évidemment…

- Je n’y aurais pas manqué, Sire ! »

Merde, que m’arrive-t-il encore ? On dirait que mes jambes ne me portent plus. Je crois que je suis en train de perdre connaissance... Marchand ! Marchand !

« Vous avez un problème, Majesté ? Majesté ! »

 « Monsieur… Monsieur ! » 

On me secoue. La salle est brillamment éclairée et je peine à ouvrir les yeux. Deux assistants en blouse blanche s’affairent à me retirer mon casque, une espèce d’enveloppe très souple hérissée d’un nombre impressionnant d’électrodes, toutes reliées à un appareillage compliqué. 

« Alors, monsieur, vos impressions ? Nous attendons impatiemment que vous nous disiez ce que vous avez ressenti ! »

Le directeur de l’agence me met sous le nez le catalogue que j’avais longtemps feuilleté avant de me décider. Désorienté, je relis le titre accrocheur. « Partagez un instant de la vie d’un de vos héros favoris ! »

J’avoue que je n’y avais pas vraiment cru, à leurs histoires d’Archives Akashiques, et à la découverte toute récente permettant de me retrouver brièvement, à une date choisie par moi, dans la peau d’un personnage depuis bien longtemps disparu. 

Et c’est un peu par défit que j’avais choisi l’incarnation de Napoléon à Waterloo, le matin du 18 juin 1815…

Je me lève précipitamment.

« Attendez, monsieur ! Que vous arrive-t-il ?

- J’ai envie de pisser ! »

 

Publié dans concours

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Bien documenté, et subtilement écrit ! Très amusant, finalement !
Répondre
P
Hum...intéressant. Une nouvelle fantastique et historique à la fois. J'ai apprécié l'idée et les détails ! Bravo !
Répondre
S
J'ai grimacé au début, au milieu, mais l'ensemble est franchement amusant... Bien trouvé !
Répondre