Concours pour le hors-série de la Revue, Les petits papiers de Chloé dans le sous-thème "" : "Je me suis perdu(e)/désorientation" Texte 1...
Où suis-je ? J’ai dû m’assoupir sans m’en rendre compte. Le soleil brillait de mille feux quand je suis partie ; il fait noir maintenant !
Non seulement je suis plongée dans un noir d’encre, mais en plus il fait très froid ici, glacial même ! Je n’ai jamais ressenti un froid aussi engourdissant. J’ai même du mal à raisonner convenablement. J’essaye de me souvenir des dernières heures que j’ai passées avant d’être entrée dans cet état végétatif.
Je suis plutôt du genre frileuse. Si on remonte à mes origines, on se retrouve sous les tropiques. Mes ancêtres sont originaires d’Asie du Sud-Est. Au fil des migrations, ma famille s’est éparpillée non seulement en Asie, mais aussi en Afrique, en Amérique latine ou encore dans les Caraïbes.
Moi, je suis née dans les Antilles : en Guadeloupe plus exactement. Cet archipel des Caraïbes doit son nom à Christophe Colomb qui voulait ainsi rendre hommage à la Vierge, protectrice des navigateurs, Notre-Dame de Gaudalupe. Ses îles sont très prisées des touristes. « Marie-Galante, les Saintes, la Désirade », rien que prononcer ces noms vous fait rêver, j’en suis sûre. J’ai toujours vécu sous un climat tropical tempéré. J’ai rarement connu des journées dont la température était inférieure à 20°. Vous comprendrez pourquoi je tremble aujourd’hui. Je n’ai jamais eu aussi froid. J’aurais dû rester dans mon île ! Quelle idée de vouloir voyager, découvrir le monde pour finir morte de froid dans… Dans quoi au juste ?
Voilà, mon cerveau dégèle enfin ! Je sais où je suis : dans un avion ! Je sens des vibrations et des turbulences qui ne trompent pas. C’est la première fois que je prends l’avion et c’est sans doute la dernière. Je ne savais pas qu’il faisait aussi froid dans ces engins volants ni aussi noir d’ailleurs ! Normal, il ne doit pas y avoir d’électricité dans le ciel ! Comment pourrait-on équiper les astres de pylônes électriques pour alimenter ces véhicules volants ? Je n’y n’avais jamais réfléchi, mais maintenant, ça me semble logique ; toutefois, personne ne m’avait jamais dit qu’on voyageait dans le noir…et dans le froid ! Si j’avais su…
Oups ! J’ai dû me rendormir ! A moins que j’aie perdu connaissance ! C’est ce froid qui m’engourdit ! Me voilà incapable de bouger ! J’essaye en vain de mieux m’envelopper dans ma robe verte. Je la croyais plus chaude que ça ! Dès que je pourrai, je la troquerai pour une autre plus chaude et plus à la mode peut-être. Jaune, je crois que cette couleur me siéra à merveille. Je verrai s’ils en ont dans les boutiques de l’aéroport. Suivent-ils la mode dans ces magasins de passage ?
Je me demande ce que font les autres passagers de cet avion. Je n’entends rien, pas un bruit, pas un murmure, pas le bruissement d’un papier d’emballage qu’on froisse, même pas la voix de l’hôtesse de l’air. C’est bizarre quand même ! Elle ne devrait pas donner des conseils au micro ? Peut-être s’est-elle endormie aussi ??? Je vais vérifier ça…
« Mademoiselle ? Oh oh ? Y a quelqu’un ? »
Ça devient franchement angoissant ! Mon cœur se met à palpiter très fort ! Il se passe quelque chose, c’est sûr !
Est-ce que j’ai des voisins au moins ou suis-je seule sur une banquette ? Je ne peux quand même pas être la seule passagère de l’avion ! On n’aurait pas affrété un de ces engins spatiaux rien que pour moi !
Je tente ? Allez, tout doucement, je tâte à droite et à gauche. Ouf ! Je ne suis pas seule ! Il y a du monde autour de moi. Pourtant, personne ne réagit à mon contact, pas un soupir, pas un mot, pas un frisson, rien, le calme absolu.
Je me demande si tous ces passagers n’avaient pas une telle crainte de l’avion qu’ils se sont tous assommés avec des somnifères…
Eh bien voilà ! Ça me revient maintenant. Je sais pourquoi j’ai dormi autant depuis le départ. J’ai pris des tranquillisants afin d’avoir l’esprit calme et paisible pour le voyage, mais là, l’effet s’estompe car l’angoisse me prend tout à coup. Et si l’avion s’écrasait au sol ? Que resterait-il de moi ? Une purée pas bien ragoûtante ! «Notre-Dame de Guadalupe, veillez sur moi. »
Oui, bon, je sais, la Vierge est la protectrice des navigateurs ! Mais pourquoi je n’ai pas pris le bateau plutôt, moi ? C’est sûr que j’aurais eu moins peur !
Allez, tout va bien se passer. J’entends les roues qui sortent du train d’atterrissage. L’avion descend, je m’en rends bien compte. Tout doucement, on approche du plancher des vaches. Plus que quelques minutes et je pourrai respirer à l’air libre et enfin me réchauffer en espérant qu’il ne gèle pas à Bruxelles. Oui, je sais, nous sommes en été, mais sait-on jamais avec ces pays éloignés des tropiques…
« Eh ! Mes voisins ! Réveillez-vous ! On arrive ! La délivrance est proche ! On doit survoler l’Atomium à l’heure qu’il est… ».
Je crois vraiment qu’ils se sont trop shootés, car rien ne bouge et personne ne me répond ! Ah j’y suis, ce doit être des étrangers et personne ne connait mon langage.
« Eh oh ! Personne ne parle créole ici ? »
Toujours pas de réponse et l’avion s’est immobilisé. Une porte s’ouvre. Un rayon de soleil entre et éclaire l’habitacle. Je ne vois pas grand-chose. Il faut le temps que ma vue s’adapte à la luminosité soudaine.
Tout à coup, me voici dehors.
« Allez, on débarque ! » crie une voix dans une langue qui m’est inconnue. Qu’est-ce qu’il me veut celui-là ? Et pourquoi me regarde-t-il comme ça ? Ma robe verte est plissée ou quoi ?
« Mais que fait cette banane, seule, au milieu d’une caisse d’ananas ? fait la voix. Tu t’es perdue, ma belle ? Allez, viens, dès que tu auras revêtu ta nouvelle robe jaune, je ferai de toi mon quatre heures ! »
C’est ici que se termine mon voyage. Je ne verrai même pas le Manneken Pis !