Concours pour le hors-série de la Revue, Les petits papiers de Chloé dans le sous-thème " : "Je me suis perdu(e)/désorientation" Texte 2...

Publié le par christine brunet /aloys

DÉSORIENTATIONS

 

Delphine, une participante à l'atelier récit de vie, avait déménagé. Elle m'avait annoncé que l'appartement qu'elle avait acheté se trouvait dans une résidence construite dans un parc, à une dizaine de kilomètres tout au plus de son ancien logement. Selon elle, à partir d'un certain carrefour il suffisait de tourner quatre fois à droite. Je n'avais donc pas pris la peine de programmer mon GPS, d'autant plus que le temps passant, il se montrait de plus en plus capricieux. Je comptais me fier aux quelques repères fournis par Delphine : un feu de signalisation, une publicité concernant un restaurant, une clinique privée, un autre feu tricolore, un petit bois,  des champs…  Grossière erreur ! 

J'étais seulement parvenue à repérer le premier feu et la publicité relative au restaurant. Les panneaux indicateurs se faisaient rares au fil de la route et aucun n'avait indiqué le fameux Villers où je devais me rendre. 

Je pensai alors téléphoner à Delphine qui m'avait invitée à sa pendaison de crémaillère. Après une brève tentative, je ne dénichai pas mon portable dans la poche de ma veste où j'ai l'habitude de le mettre. 

Je me garai donc sur le bas-côté de la route et commençai à chercher mon téléphone portable. Je le trouvai finalement dans mon sac, mais il n'afficha aucune barre de réseau. Comme j'avais écrit la nouvelle adresse de Delphine sur un papier glissé dans la pochette extérieure de mon sac à main, je me résignai à tenter d'utiliser mon GPS. Hélas, il résista une fois de plus à mes tentatives d'utilisation. Tout cela me porta à croire que mon horoscope devait être bien mauvais ce samedi-là et que je ferais même peut-être mieux de rebrousser chemin.  

Je ne connaissais pas vraiment Delphine. Elle m'avait invitée à sa pendaison de crémaillère comme elle avait invité les quatre autres participants à l'atelier. Je m'étais rendue chez elle près d'un an plus tôt, à son ancienne adresse, pour fêter ses soixante-cinq ans et je m'y étais beaucoup amusée autour d'un sympathique buffet.

En fait de récit de vie, Delphine ne nous avait lu que des épisodes de sa vie sentimentale. J'ignorais encore qu'elle était daltonienne, confondait à l'occasion droite et gauche et n'était soucieuse que de mettre en valeur des signes extérieurs de richesse. Je méconnaissais surtout ses problèmes de santé mentale. Les apparences ne s'avèrent-elles pas trompeuses pour des personnes plutôt naïves comme moi ? 

Il était près de 15 heures, je restai dans ma voiture, embarrassée, espérant simplement apercevoir un piéton auquel je pourrais m'adresser. 

Enfin, s'approcha un jeune cycliste roulant sur un vélo qui s'avéra être pliant. Je sortis rapidement de mon auto, l'apostrophai et lui indiquai l'adresse que je recherchais. Il proposa de s'installer à mes côtés pour me guider jusque-là. Il rangea son vélo dans le coffre de l'auto. "Ce n'est pas facile à trouver, me dit-il. Je vous ferai prendre un raccourci, ça ira plus vite…"   Il me fit rouler quelques kilomètres en ligne droite, puis me pilota à travers un dédale de chemins de campagne, avant de m'amener à déboucher devant une résidence- services pour personnes âgées. Je fus surprise d'apprendre que dans ce bout du bout de Villers se trouvait une sorte de mini village pour personnes désorientées. 

Je commençai alors à paniquer me demandant quel genre d'univers j'allais découvrir. Après une courte hésitation, je demandai au jeune homme de m'aider à regagner un axe principal ce qu'il fit avec gentillesse, m'assurant que cela ne l'ennuierait vraiment pas d'enfourcher ensuite sa bécane pour rentrer chez lui.

De retour chez moi, j'envoyai un message pour expliquer à Delphine que j'avais eu un empêchement de dernière minute !  

J'attendis impatiemment de revoir Delphine à notre atelier. Elle  vint à la séance suivante et lut un texte bizarre dans lequel elle confiait plusieurs étranges particularités de son parcours. Ce jour-là mes yeux s'ouvrirent : je compris qu'elle confondait gauche et droite quand elle parla de l'endroit où se trouvait la machine à café, qu'elle voyait mal les couleurs quand elle qualifia de gris  son carnet rouge. Je m'aperçus aussi que c'était un homme tout de blanc vêtu qui l'attendait à la porte du bâtiment pour la ramener chez elle.  

Un futur en robe de brume se profilait devant moi. Je pris conscience que j'avais soixante-neuf ans et que je pourrais glisser moi aussi vers la fragilité.  

 

Publié dans concours

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
W
Beau texte, belle réflexion sur ce qui peut nous arriver à tous.
Répondre
C
Le quotidien de pas mal de personnes, jeunes ou plus âgés. Hélas.
Répondre
B
Un texte bien émouvant car c'est la réalité vécue par des gens qui nous entourent.
Répondre
M
"Un futur en robe de brume"...Brume glaçante ! Voilà qui résume bien le dénouement de cette nouvelle.
Répondre
S
Quand la désorientation prend tristement un double sens, et personne n'est effectivement à l'abri...
Répondre