Concours pour le hors-série de la Revue, Les petits papiers de Chloé dans le sous-thème " : "Je me suis perdu(e)/désorientation" Texte 3...
Malencontreuse escapade
Allez, pour une fois, une aventure vécue ! Si, si…
« Au temps de ma jeunesse folle », comme aurait dit l’ami François Villon, je n’avais encore ni « maison » ni « couche molle » mais, loin de m’en soucier, faisais par monts et par vaux de la prospection sismique dans la région de Berne pour le compte d’une compagnie française de géophysique et de ses clients suisses.
Bon, très vite, juste pour planter le décor : j’étais alors chargé, en gros, de l’utilisation et de l’entretien d’un laboratoire d’enregistrement numérique monté à l’arrière d’un camion tout-terrain. Je dis bien : tout-terrain…
En quoi consistait plus exactement mon boulot ? Eh bien, le géologue de la société cliente, généralement fort désireuse de découvrir du pétrole dans son sous-sol, prenait une longue règle, la posait bien à plat sur la carte de la région et traçait au crayon gras un grand trait rectiligne. Et le long de ce « trait », mon équipe et moi avions pour mission d’aller planter des sismographes à intervalles réguliers, puis de faire péter à chaque fois une charge explosive préalablement descendue au fond d’un trou bien rebouché, le but étant d’ébranler le sol et de recueillir les ondes réfléchies par les diverses couches à différentes profondeurs.
Arrêtons là les explications techniques ! Vous avez déjà deviné que, « la carte n’étant pas le territoire », il y avait souvent entre les desiderata du client et l’accès à son tracé idéal comme un petit… hiatus. À quiconque pourrait nourrir un doute, je conseille une promenade dans le canton de Berne.
Alors voilà, nous avions ce jour-là, assez tôt le matin, réussi à installer le labo sur une pente pas trop raide, en lisière de forêt. Il faisait exceptionnellement beau, le travail avait bien avancé et nous profitions d’une pause casse-croûte bien méritée. Et à l’issue de ce déjeuner bucolique, histoire de mieux digérer et de me vider un peu la tête avant la reprise du boulot, l’envie me prit d’aller faire un petit tour en pleine nature. Ben oui, comme ça…
Si quelqu’un doute qu’il soit facile de se perdre en forêt, je l’invite tout de suite à aller, par exemple, cueillir des champignons dans un coin bien boisé qu’il ne connaît pas… En lui conseillant de bien mémoriser l’endroit où il laisse sa bagnole !
En tout cas, pour ce qui me concerne, au bout d’une bonne heure, je compris que j’étais bel et bien paumé ! Impossible de retrouver le petit sentier que j’avais emprunté avant de m’enfoncer plus profondément entre les arbres. Perdu dans mes pensées, j’avais négligé de prendre le moindre repère. Quel repère, d’ailleurs, rien ne ressemblant autant à un sapin qu’un autre sapin ?
Je m’arrêtais pour réfléchir et faire taire le début de panique qui me gagnait. Qu’allaient penser les gars de mon équipe en voyant les heures tourner sans me voir revenir ? M’attendraient-ils patiemment jusqu’à la fin de l’après-midi avant de prévenir de ma disparition mon responsable de mission ?
Je décidais que le mieux à faire était de continuer à grimper et d’escalader au besoin un sapin pour espérer apercevoir l’orée de la forêt, et donc la bonne direction à prendre pour me sortir de ce mauvais pas. Ce que je réussis à faire au bout d’un moment, avec le soulagement que l’on imagine, repérant même une petite route descendant vers un lointain village. Sauvé !
Bon… pas encore complètement. Parce que je ne reconnaissais pas du tout le paysage, et le village en question n’était pas celui près duquel nous nous étions provisoirement installés et dont, miraculeusement, je pouvais encore me rappeler le nom compliqué.
Après une bonne demi-heure de marche forcée, transpirant à grosses gouttes, j’arrivai dans le bled où je m’arrêtai pour essayer de demander mon chemin. Essoufflé, la gorge sèche, après avoir réussi tant bien que mal à me faire comprendre, je faillis tomber sur le cul en apprenant que j’aurais encore une dizaine de kilomètres à me taper à pieds pour revenir à mon point de départ ! Et le temps passait…
Je remerciai poliment et, un peu découragé quand même, me remis péniblement en route.
Au bout d’une dizaine de minutes, une voiture, arrivant derrière moi, s’arrête à ma hauteur. « Kann ich Sie irgendwohin bringen ? » me demande une gentille dame en baissant sa vitre.
Chouette, je crois piger qu’elle me propose de me prendre à bord. Je dis « je crois », parce que le dialecte qui se pratique dans le pays, ce n’est pas vraiment le Hochdeutsch, hein !
C’est le moment de déstocker mon allemand des grandes occasions…
« Sehr gern, vielen Dank, ich habe mich verloren ! » lui dis-je, prenant soin de préciser que je me suis perdu afin de l’encourager à persister dans ses bonnes intentions. En espérant m’être bien exprimé…
Mon schleu approximatif a dû l’amuser car elle me répond en français avec un large sourire. Ouf…c’est parti pour aller beaucoup mieux !
« Montez, montez, je vais vous ramener là-bas ! C’est à mon mari que vous avez demandé votre chemin, il ne parle pas français et n’était pas très sûr que vous aviez compris ses explications ! » Brave dame…
Fourbu et terriblement embarrassé, j’ai donc finalement retrouvé les copains vers cinq heures de l’après-midi. Pas trop « paniqués » pour la plupart, assis à l’ombre en sirotant une bière ou, allongés sur le dos, chapeau sur les yeux, en train de mâchonner un brin d’herbe. Savourant visiblement cette longue pause inattendue.
Mais mes deux meilleurs potes, se doutant de ce qui avait dû se passer, s’étaient décidés à partir à ma recherche, et je pouvais en entendre un m’appeler au loin. Alors, avec le risque de tourner en rond, il a fallu aller récupérer ceux-là avant de pouvoir plier bagage, ce qui prit encore un certain temps, comme on pourra s’en douter…
La journée n’avait certes pas été très productive, mais tout s’était bien terminé et j’avais appris à mes dépends à ne pas être trop « tête en l’air ». Ceci pour le côté positif.
Le soir même, tranquillement attablé dans un « Gasthaus », commentant en rigolant ma mésaventure (car après coup, il est évidemment beaucoup plus facile d’en rire), j’appris qu’il y avait dans ce coin-là un ravin très dangereux au fond duquel avait été retrouvé mort, bien après sa disparition, un jeune touriste victime d’une chute.
Heureusement que je n’étais pas là pour faire du tourisme !