Concours : "Catastrophe, les envahisseurs approchent !" Texte 5

Publié le par christine brunet /aloys

LES ALGUES VERTES



 

C'était un lundi d'été, de la fenêtre de sa chambre, Véronique observait la piscine de la maison voisine lorsqu'elle remarqua sur une grande partie de sa surface des sortes de longs rubans verts et des formes ovales d'un vert un peu plus soutenu. "Ils ont encore fait la fête, pensa-t-elle. Et voilà que l'on retrouve ici et là des serpentins et des gros confettis verts. Jusqu'où iront-ils dans leur négligence ? Pourquoi n'avaient-ils pas recouvert leur piscine comme ils le font quand ils reçoivent des gens accompagnés de bambins ?"  

"C'est quand même bizarre que je n'aie rien entendu", constata-t-elle après un bon moment de réflexion. "Après tout ce n'est sans doute pas aussi grave que je l'estime. Je n'évalue sans doute pas correctement le problème. Ils ont encore voulu faire dans l'originalité. Il suffira peut-être qu'ils tirent sur des fils que ma vue trop imprécise ne me permet pas de distinguer pour enlever tout ça. Mon début de cataracte me joue probablement encore un vilain tour", finit-elle par conclure, choisissant de ne pas s'enliser dans des réflexions stériles et de passer à autre chose. 

Véronique avait près de quatre-vingts ans et elle était veuve. Elle n'appréciait guère ses voisins. Ils n'avaient pas du tout le même mode de vie que le sien. Ils étaient jeunes, désinvoltes, bruyants. Ils garaient leur voiture devant sa propriété, même devant son garage. Ils déposaient leurs poubelles sur le trottoir d'en face. Ils laissaient leur chat s'installer où bon lui semblait dans son jardin ou sur sa terrasse sans jamais tenter de le rappeler. Leur chat avait ainsi déjà cassé des verres restés sur la table de la terrasse.      

Véronique ferma la fenêtre et partit se balader le long de la rivière située à quelques kilomètres de chez elle avec l'intention de prendre des photos. Arrivée sur le chemin de halage, elle s'étonna de voir les mêmes rubans verts que ceux qu'elle avait observés chez ses voisins. Certains se trouvaient sur l'eau, d'autres sur les berges. À cet endroit, il ne pouvait être question de serpentins et de confettis lancés par les voisins et encore moins de motifs décoratifs. Quant à son problème de vue, comment aurait-il pu occasionner une déformation de sa perception de cet environnement sans avoir eu d'incidence sur celle des jardins et des péniches ? 

Les hypothèses affluèrent des plus loufoques aux plus probables ! Avait-on affaire aux retombées d'incivilités en rapport avec le cortège folklorique du week-end, à une pollution liée à l'utilisation d'engrais, à un sabotage orchestré par un groupuscule quelconque ou à une façon d'interpeller d'écologistes originaux ?  

Malgré la chaleur, Véronique se mit à frissonner lorsqu'elle constata qu'il y avait des traces vertes sur le cuir blanc de ses baskets… Ces baskets, il était certain qu'elle ne les enlèverait qu'avoir avoir passé des gants, qu'elle les emballerait ensuite dans du papier journal avant de les placer dans un sac poubelle ou mieux qu'elle les brûlerait…  

Véronique prit peur et resta perplexe. Elle ferma les yeux. Elle imagina qu'une pellicule verte recouvrait les trottoirs, les pièces d'eau, les fontaines, les boulevards de la ville toute proche. Elle se représenta les toits parés d'un tapis végétal vert. C'était une catastrophe !  

Quand elle rouvrit les yeux, il lui sembla que les rubans verts avançaient tels des serpents et que les formes ovales gonflaient. Elle voulut prendre des photos, mais elle n'y parvint pas tant elle tremblait. 

Elle aurait souhaité crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Surtout ne pas rester là, exposée à ces choses qu'elle n'arrivait pas à nommer. Surtout s'abstenir de toucher une seule de ces choses !  

Prenant le risque de tomber, Véronique pressa le pas pour rentrer au plus vite chez elle. 

Sitôt franchi le seuil de sa villa, elle se brancha sur la radio régionale. On y alertait les auditeurs à propos de la prolifération d'algues vertes. Ce phénomène était supposé consécutif au retour dans la région d'une troupe de scouts partie en vacances dans une cité balnéaire d'un pays limitrophe. Selon le journaliste, la cité balnéaire dont il était question avait été aux prises avec le phénomène dès la fin du printemps. Les autorités communales y avaient adopté des mesures strictes pour évacuer des tonnes d'algues et obligeaient le personnel à revêtir une combinaison et un masque protecteurs pour s'en approcher. On évoquait la conséquence d'imprudences répétées d'adolescents ayant franchi une zone pourtant devenue interdite d'accès au public. Par ailleurs, on pouvait aisément localiser les territoires où habitaient les scouts incriminés, car ceux-ci étaient à première analyse tous plus ou moins contaminés. 

En s'informant un peu, Véronique apprit que ses jeunes voisins avaient des parents parmi ces scouts. 

Le jour même, tous les journaux télévisés, tous les bulletins d'information des radios nationales, toutes les gazettes en ligne évoquaient le phénomène. Les réseaux sociaux s'emballaient. Les suppositions étaient aussi nombreuses que variées. 

Le lendemain, toute une équipe d'hommes harnachés comme des cosmonautes nettoya la piscine des voisins.  

Bientôt, on évoqua la présence de ces algues à d'autres endroits dans le pays et dans d'autres pays voisins. Cette apparition n'avait plus guère de limites. 

Pour Véronique, il s’agissait bel et bien d’une invasion. Entendre ou lire sur la toile les propos de journalistes et de scientifiques à ce sujet la rendait comme folle. Elle aurait voulu échapper à tout cela en s'abandonnant à un long, très long au sommeil même si ses sommeils  n'étaient désormais plus peuplés que de cauchemars. Dans ses rêves, elle se voyait habillée d'algues, se nourrissant d'algues, vomissant des algues, marchant sur des algues, tombant sur des algues. Un jour, d'un geste, en absorbant juste une pilule, Véronique mit fin non pas à l'invasion d'espaces par les algues, mais à l'invasion de sa tête et de son cœur. 

 

Publié dans concours

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E
MInce, ça inquiète, une histoire pareille... mine de rien, déguisés en algues....
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S
Saletés d'algues !
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C
Eh bien oui au fait, toutes ces algues viennent d'ailleurs. Des envahisseuses, ces algues.
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P
Voilà une façon inattendue d'envahir la terre et la tête...
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