Concours : "catastrophes climatiques" Texte 2
Au bord de la mer…
Quand j’étais petit, je passais toutes mes vacances chez mes grands-parents et j’adorais ça. Mes aïeuls habitaient à moins de mille mètres de la mer et j’allais la voir tous les jours qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige. Enfin, il ne neigeait quasiment jamais chez eux !
Je ne pouvais pas me passer de cette immense étendue d’eau tantôt bleue, tantôt grise, selon la couleur du ciel. C’était comme une drogue. J’avais besoin de me perdre au loin, à l’horizon, là où le ciel rejoint la mer. Je m’asseyais sur un rocher et mes yeux se perdaient dans le lointain. J’inventais un peuple qui habitait là-bas sur la ligne où le soleil se couchait, chaque soir, à des heures différentes, s’amusant à faire diminuer la longueur du jour au fur et à mesure qu’on s’enfonçait dans l’été pour rejoindre l’automne.
Le matin, très tôt, j’arpentais la plage avec mon grand-père à la recherche de coquillages, d’étoiles de mer ou autres cadeaux laissés pour moi, sur le sable, par la mer qui s’était retirée. Des mouettes et des goélands se disputaient les restes de repas laissés par des touristes peu scrupuleux. Des joggeurs matinaux laissaient leurs pas dans le sable mouillé. De temps en temps, un tracteur venait ramasser les algues que la mer avait vomies sur la plage. Des bateaux voguaient sur les vagues et je rêvais de paysages lointains. Un jour, je serais marin, c’était décidé.
Parfois, mon grand-père m’emmenait sur les îles lointaines, celles colonisées par des oiseaux. Mon pépé était un ornithologue averti et gare à moi si je mettais un pied de travers, si par inadvertance j’avais marché sur un nid de fous de Bassan ou de guillemots. Mon grand-père me tirait alors en arrière et je ne pouvais plus lâcher sa main.
Combien de fois ai-je assisté à des naissances de pétrels ou de puffins fuligineux ? C’était, à chaque fois, un merveilleux spectacle que Dame Nature m’offrait là : le miracle de la vie !
Je rentrais chaque fois chez mes parents des souvenirs plein la tête et déjà je pensais aux prochaines vacances au bord de la mer.
Puis, j’ai grandi. Je n’ai plus passé toutes mes vacances dans la station balnéaire où habitaient mes grands-parents. Je passais quand même, de temps en temps, leur dire bonjour, et, ça ne manquait pas, à chaque fois, mon grand-père m’emmenait sur la plage de mon enfance et je m’y trouvais bien.
Mais un jour, il n’y a plus eu de plage ! La mer avait avancé jusqu’à la route située un peu en hauteur de ce qui n’était plus mon terrain de jeu ! Et mes iles, ces refuges merveilleux pour les oiseaux marins, où étaient-elles passées ? Plus une seule ne dépassait le niveau de l’eau ! D’ailleurs, des oiseaux, on n’en voyait plus du tout ! Ils avaient migré ailleurs, dans un monde meilleur pour eux, là où la mer gourmande n’avait pas tout englouti !
J’avais, comme tout le monde, entendu parler de réchauffement climatique, de fonte des icebergs, de l’élévation du niveau de la mer, mais je n’y avais pas fait plus attention que vous. L’avenir apocalyptique que certains nous prédisaient me laissait froid et je n’ai rien fait pour le changer, pour éviter le pire.
Je m’en suis rendu compte quand, quelques années plus tard, la mer ne se trouvait plus à 1000 mètres de la maison de mes aïeuls, mais à moins de 500 mètres ! L’eau avait monté, avait escaladé le mur de pierre qui l’avait toujours retenue prisonnière pour se répandre dans les rues. Les beaux hôtels, les maisons de riches, les immeubles de charme, avaient tous été engloutis par la force de la mer, par sa furie, par sa vengeance envers les êtres humains !
Aujourd’hui que mes grands-parents ne sont plus de ce monde, je me rends parfois en pèlerinage dans ce petit village côtier que j’affectionnais tant. J’y emmène mes enfants et je leur montre, de loin, l’endroit où se trouvait la maison de leurs arrière-grands-parents.
En contemplant les flots déchainés, il est difficile de se rendre compte que quelques dizaines d’années auparavant seulement, à l’endroit que je montre du doigt, poussaient les roses qui faisaient la fierté de ma grand-mère ou les légumes que mon grand-père cultivait et que mémé préparait de mille et une façons pour le plus grand plaisir de mes papilles.
Heureusement, le cimetière est situé sur une hauteur du village, et même si les vagues commencent à lui lécher les pieds, il conserve les corps de tous les habitants qui ont connu une mer inoffensive et si belle. J’y emmène mes enfants et je leur raconte l’histoire de ce village de pêcheurs qui n’existe plus, de cette station balnéaire qui a perdu tous ses touristes, de cette plage qui m’accueillait chaque jour des vacances, qui m’a offert mes plus belles joies d’enfant et m’a laissé mes plus beaux souvenirs.
Souvent, des larmes coulent le long de mes joues. Elles suivent les rigoles qui traversent mon visage pour s’infiltrer entre mes lèvres. Elles sont salées comme l’eau de la mer…