Concours "Les petits papiers de Chloé" "Le bonheur est ailleurs" : texte 6

Publié le par christine brunet /aloys

Octave en a plus qu’assez. Léonie – quel nom, Léonie, hein ? Certes, on serre un peu les lèvres quand on l’entend appeler Octave. Mais ça a du cachet, Octave… - Léonie donc le rationne, lui interdit certains endroits de la maison (pas sur la table, pas sur le beau fauteuil, pas sur le comptoir de la cuisine, pas sur la pile de linge repassée… les coins « non-non-pas-là » sont innombrables, maintenant qu’il y pense !), et ne veut pas qu’il sorte. À croire que dehors, ce lieu splendide où s’abattent les pluies, le soleil, des volutes de brume, des feuilles se querellant avec le vent, c’est dangereux.

Alors un jour il décide de se faufiler au dehors comme un courant d’air et d’aller être heureux ailleurs. Ailleurs c’est partout sauf chez Léonie. La joie, la griserie, les palpitations devant cet extraordinaire ailleurs. Il n’est pas arrivé bien loin encore qu’il entend la voix fêlée d’inquiétude de Léonie qui le hèle en agitant sa boite de croquettes « Chat chichiteux ». Qu’elle les mange, ses croquettes et d’ailleurs j’ai fait pipi sur les roses qu’elle flatte de niaiseries tous les jours, le sécateur à la main. Et une crotte sur le seuil. 

Le soir, les coussinets des pattes à vif d’avoir grimpé les murs, longé les barrières, gratté dans les cailloux et la terre, une question surgit : où dormir, où me faire servir à manger, maintenant ? Le destin, bienveillant, le fait tomber nez à nez avec un jeune homme promenant son chien, une horrible chose baveuse qui se met à gronder pour ensuite pousser des cris de jouet en plastique mou. Couic ! Couic ! Jeune homme rieur, très certainement gentil et ébloui devant ce bel exemplaire de chat européen tout ce qu’il y a de bien fait. Le chien – Simba, oui c’est le nom de ce gnome pelé et gueulard – n’est pas content du tout mais qu’importe, Octave - qui se retrouve baptisé Minou – s’impose. La maison sent le patchouli, le jeune homme est certes gentil et le laisse monter sur le divan où lui-même s’étale après avoir enlevé ses chaussures, libérant une pestilence inquiétante. Gentil mais un peu dégueu. Simba, d’ailleurs, s’empresse de démontrer qu’il était là le premier et s’étend sur le dos, offrant au regard indigné d’Octave une boutique ma foi assez repoussante. Loin de la petite serrure de velours qu’il a, lui. Mais demain sera un autre jour, le bonheur n’est certainement pas loin, l’aventure de la liberté éperdue l’attend.

Jeune homme gentil mais dégueu ne le retient pas, au contraire. Sa vie est un lieu à portes ouvertes, il aime sa freedom et on y entre, sort, rentre et ressort comme dans un téléfilm américain. Et Octave reprend sa route de pèlerin intrépide le ventre creux, car jamais Léonie n’aurait osé lui servir des restes de très vieux spaghetti au pénicillium dans une assiette sale, et lui présenter une écuelle d’eau, piscine à mouches mortes. Jamais. 

Mais qu’importe un peu de faim, un de ces idiots oiseaux fera l’affaire. Sauf que ça ne s’attrape pas comme ça, ça bouge tout le temps ces saletés-là, et ça se croit malin de sautiller en hurlant… Coup de chance, un merle est tombé du nid. Tout le fun de la chasse est fichu, mais par contre il est déjà plumé. Moche comme tout, avec cet énorme bec et des yeux comme des grains de café, globuleux et fermés. Tout compte fait, c’est mauvais, en plus. Les croquettes chat chichiteux – lièvre aux rognons, ses préférées – sont relevées, ont un arôme invitant, une tendreté idéale. Ceci est infâme. 

Mais qu’importe, je m’habituerai peu à peu, deviendrai un chasseur redoutable…

C’est étrange comme le monde lui paraissait vaste, car sans y avoir pensé, il est certain de se trouver à proximité de chez Léonie. L’odeur familière des géraniums à la fenêtre, des croquettes, du Chanel numéro 5 – il le sait, car elle lui en met une goutte derrière les oreilles quand ils attendent de la visite… - lui arrive. Il n’y a plus qu’à suivre ce ruban de fumets divins. C’est étrange, aussi, cette joie chaude qui l’envahit, et ce poids d’une vie de mercenaire qui s’envole tout à coup. S’il le pouvait, Octave sourirait. 

Et c’est avec – autre étrangeté – un élan amoureux réel qu’il s’élance pour se frotter aux chevilles de Léonie, qui coupe les têtes mortes des rosiers en pleurant. Rrrrrrrrouh ? Octave, amour de ma vie !!!!

 

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M
Sympathique et bien écrit
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E
Quel aventurier, cet Octave... le bonheur était moins loin qu'ailleurs, si je comprends bien!
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P
Un narrateur original...
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