Texte 4 : concours "Les petits papiers de Chloé" ; "Lâcheté(s)"

Publié le par christine brunet /aloys

CÔME VERSUS GRÉGORY

 

 

Côme est un jeune collégien de douze ans. Il est petit, mince, intelligent, poli, cultivé, excellent élève, plutôt timide. Il manifeste un bégaiement dont s'amusent avec discrétion la plupart de ses condisciples.  Cet après-midi-là, à l'heure de la sortie des classes, dans le large et long  passage qui relie la rue principale à la rue où se situe le collège, des éclats de voix et des rires se font entendre. Quatre adolescents s'en prennent à Côme. Ils le bousculent, ils l'imitent, ils l'appellent "le bègue" laissant indifférents d'autres collégiens et collégiennes qui empruntent eux aussi le passage. Tous continuent leur chemin comme si rien de spécial ne se passait, comme s'ils étaient soudain devenus sourds et aveugles aux sévices et à la détresse.

Grégory est un adolescent élancé de quinze ans, il avance seul d'un pas rapide, il voit la scène et se précipite aussitôt vers le petit groupe. Il enjoint : "Laissez-le. C'est mon cousin, mes parents sont des amis du préfet de discipline et je pourrais vous dénoncer, car je vous connais de vue, je vous repère jour après jour dans la cour de récréation." Ces affirmations plus ou moins élaborées à partir de la vérité impressionnent les collégiens qui disparaissent sur-le-champ. Côme balbutie plusieurs "merci" et Grégory poursuit un bout de chemin à ses côtés. Il lui dit : "Ne me remercie pas tant. C'est normal que je sois intervenu. Plus tard, fais la même chose si tu te trouves dans le même genre de situation…"

*******

Côme a vingt ans. Il est étudiant à l'université et rejoint à pied son logement. C'est un début de soirée d'automne comme les autres. L'obscurité l'emporte déjà sur la lumière, mais des lampadaires éclairent  un peu les lieux. En passant dans le square situé en face de l'immeuble où il loue un studio, Côme entend des cris. Il presse le pas, rentre au plus vite sans jeter un regard derrière lui. Il emprunte l'ascenseur, puis, sitôt franchie la porte d'entrée de sa chambre, il s'élance vers la fenêtre. Il aperçoit ainsi deux hommes qui portent des coups à un autre.

Il est tétanisé. Il n'ose appeler les secours, il n'ose prévenir d'autres habitants, il n'ose même pas ouvrir la fenêtre et se mettre à hurler pour alerter des passants. Il a peur. Les mots drogue, trafic, violence, racket lui font peur, si peur ! Son pouls s'accélère.

Le lendemain, il apprend par Lucas, un autre locataire, que la veille en rentrant du travail, celui-ci avait découvert couché sur un banc du square un individu blessé qu'on avait tabassé pour lui voler son portefeuille. Il avait dû emmener l'homme aux urgences. L'homme était, semble-t-il, fort traumatisé.

Côme repense alors à Grégory. N'a-t-il pas trahi Grégory en n'intervenant pas ? Alors, il se met à pleurer. Tous les lâches pleurent-ils quand ils prennent conscience de leur lâcheté, se demande-t-il ?

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S
Pas toujours simple d'être un bon citoyen... mais le minimum me paraît être un coup de fil anonyme pour prévenir la Police. Heureusement, ici, l'homme agressé est en vie. Merci pour ce texte !
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E
Je pense aussi que la lâcheté ou le courage ne se révèlent qu'au moment de... Ca doit être dur de ne pas s'en vouloir, oui, mais quelque chose nous a paralysé. Je me suis aussi souvent demandé ce que j'aurais fait dans des situations épineuses, comme dissimuler des gens en danger chez moi, passer des messages, que sais-je? On peut être audacieux mais craindre pour les siens, ou foncer sans penser, ou même empirer les choses si en fin de compte on n'a pas ce qu'il faut pour aller jusqu'au bout... Merci pour ce texte qui fait penser!
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A
Voilà un texte qui amène bien son sujet et pose une difficile question.<br /> Que ferions-nous dans la même situation? On aime bien s'imaginer en sauveur (la cape et le chapeau ne sont pas obligatoires), mais le serait-on? L'instinct de conservation est un puissant moteur et reculer un réflexe compréhensible à défaut d'être acceptable. Finalement, les lâches ne sont-ils pas les agresseurs? Parce qu'ils sont plus forts, plus nombreux, ou simplement à l'abri derrière leur clavier d'ordinateur?
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J
Je rejoindrais l'avis de Philippe, je peux comprendre. D'autant plus vivant dans un quartier où l'on va te tomber dessus à 15 si tu as le malheur de dire quelque chose, où l'on brûle ton commerce si tu as le malheur de dire quelque chose. Mais c'est la société qu'on a voulu, et c'est un autre sujet...<br /> Texte qui fait réfléchir... Bravo à qui l'a écrit.
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P
La lâcheté a plusieurs formes. Ici il s'agit de craintes assez légitimes. Je peux comprendre...
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