Texte 4 : concours "Les petits papiers de Chloé" ; "Lâcheté(s)"
CÔME VERSUS GRÉGORY
Côme est un jeune collégien de douze ans. Il est petit, mince, intelligent, poli, cultivé, excellent élève, plutôt timide. Il manifeste un bégaiement dont s'amusent avec discrétion la plupart de ses condisciples. Cet après-midi-là, à l'heure de la sortie des classes, dans le large et long passage qui relie la rue principale à la rue où se situe le collège, des éclats de voix et des rires se font entendre. Quatre adolescents s'en prennent à Côme. Ils le bousculent, ils l'imitent, ils l'appellent "le bègue" laissant indifférents d'autres collégiens et collégiennes qui empruntent eux aussi le passage. Tous continuent leur chemin comme si rien de spécial ne se passait, comme s'ils étaient soudain devenus sourds et aveugles aux sévices et à la détresse.
Grégory est un adolescent élancé de quinze ans, il avance seul d'un pas rapide, il voit la scène et se précipite aussitôt vers le petit groupe. Il enjoint : "Laissez-le. C'est mon cousin, mes parents sont des amis du préfet de discipline et je pourrais vous dénoncer, car je vous connais de vue, je vous repère jour après jour dans la cour de récréation." Ces affirmations plus ou moins élaborées à partir de la vérité impressionnent les collégiens qui disparaissent sur-le-champ. Côme balbutie plusieurs "merci" et Grégory poursuit un bout de chemin à ses côtés. Il lui dit : "Ne me remercie pas tant. C'est normal que je sois intervenu. Plus tard, fais la même chose si tu te trouves dans le même genre de situation…"
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Côme a vingt ans. Il est étudiant à l'université et rejoint à pied son logement. C'est un début de soirée d'automne comme les autres. L'obscurité l'emporte déjà sur la lumière, mais des lampadaires éclairent un peu les lieux. En passant dans le square situé en face de l'immeuble où il loue un studio, Côme entend des cris. Il presse le pas, rentre au plus vite sans jeter un regard derrière lui. Il emprunte l'ascenseur, puis, sitôt franchie la porte d'entrée de sa chambre, il s'élance vers la fenêtre. Il aperçoit ainsi deux hommes qui portent des coups à un autre.
Il est tétanisé. Il n'ose appeler les secours, il n'ose prévenir d'autres habitants, il n'ose même pas ouvrir la fenêtre et se mettre à hurler pour alerter des passants. Il a peur. Les mots drogue, trafic, violence, racket lui font peur, si peur ! Son pouls s'accélère.
Le lendemain, il apprend par Lucas, un autre locataire, que la veille en rentrant du travail, celui-ci avait découvert couché sur un banc du square un individu blessé qu'on avait tabassé pour lui voler son portefeuille. Il avait dû emmener l'homme aux urgences. L'homme était, semble-t-il, fort traumatisé.
Côme repense alors à Grégory. N'a-t-il pas trahi Grégory en n'intervenant pas ? Alors, il se met à pleurer. Tous les lâches pleurent-ils quand ils prennent conscience de leur lâcheté, se demande-t-il ?