Texte 5 concours "Je suis un monstre"

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

 

La transformation ou comment je suis devenu une sorte de monstre

 

 

Derrière le jardin de mes grands-parents se trouve un terrain couvert d'une végétation touffue et d'herbes où l'on découvre aussi une grande mare. L'accès en est interdit. Un chemin de terre longeant la propriété y conduit. Selon grand-père, seul le propriétaire emprunte parfois le sentier. Il semblerait que des chats et des chiens s'y étant aventurés n'en sont jamais revenus.  

C'était un dimanche après-midi de printemps. J'avais quatorze ans. Mes parents et mes grands-parents jouaient aux cartes lorsque j'avais annoncé que j'allais prendre l'air et avais alors succombé à la tentation de m'approcher de l'endroit. J'avais emprunté le petit chemin et arrivé près de l'étang, je m'étais aperçu que je n'étais pas le seul à avoir eu cette idée. Deux jeunes filles s'y trouvaient déjà.  Elles étaient vêtues de noir et fort laides. Elles m'avaient remarqué et s'étaient esclaffées. "On se croirait à Halloween.", avais-je pensé en les saluant d'un petit signe de la main. Elles avaient couru vers moi. On aurait pu imaginer que c'étaient des sœurs jumelles. Elles avaient le visage boutonneux, le teint grisâtre, le regard vitreux. "On cueillait des pissenlits pour nos lapins", avait dit l'une d'elles. L'autre avait poursuivi : "Tu nous aides ?" Mal à l'aise, j'avais pourtant répondu : "Je veux bien." Quelques secondes plus tard, je m'étais retrouvé ainsi à cueillir des plantes. Une des filles s'était avancée vers moi, m'avait dit :"C'est plus amusant à trois", puis avait voulu m'embrasser sur la joue, mais je l'avais repoussée. Elle avait vacillé et avait poussé un cri de surprise. J'avais aussitôt repris mon travail. Très vite, j'avais remarqué l'inimaginable : les plantes qu'elles cueillaient flétrissaient aussitôt… J'avais eu envie de partir. Sans doute l'avaient-elles deviné, car l'une d'elles avait dit : "Attends. On va te montrer quelque chose…" Elles avaient déposé les fruits de leur cueillette sur le sol, s'étaient rendues sur une plate-forme en bois à quelques pas de là où elles s'étaient mises à danser, tournoyant à la manière de derviches tourneurs. J'avais été pris de vertiges et avais vu défiler de drôles de personnages dans ma tête… Quand elles s'étaient arrêtées, elles avaient sorti d'un panier en osier, une bouteille thermos et des gobelets. Elles avaient fait le service et nous avions bu un thé. Ensuite, elles étaient retournées sur la plate-forme qui s'était mise à bouger. Un trou béant s'était ouvert, elles y avaient disparu avant que la plate-forme redevint ce qu'elle était. Je m'étais ensuite approché de l'endroit. Plus j'avais avancé, plus j'avais senti des odeurs nauséabondes. Après avoir dépassé la plate-forme, j'avais   encore marché un peu. C'est alors que j'avais vu un puits débordant de cadavres de chiens et de chats. Dégoûté j'avais fait demi-tour. Une voix très aiguë s'était immédiatement fait entendre, elle me disait : "À présent, tu dois dessiner ce que tu vois ici et tout ce que tu y as vu." 

J'étais comme groggy, mais j'étais parvenu à marcher jusqu'à la maison de mes grands-parents.  Avais-je eu des hallucinations ? La danse m'avait-elle envoûté ? Le breuvage m'avait-il drogué ?  Les filles m'avaient-elles jeté un sort ? Je gardai ces questions sans réponse enfouies en moi. 

Quand j'étais rentré chez moi, je m'étais mis à dessiner sur des feuilles blanches des jeunes filles bossues vêtues de noir tuant des animaux et dansant autour d'une grande mare pour célébrer leur méfait. Je commençai ainsi l'ébauche de ma première BD qui connut un beau succès… Un  scénario s'imposait à moi : des fées noires vivant dans un lac attiraient des bêtes et les tuaient. 

Ma mère me dit que tandis que je dessine mon regard  devient noir tel celui de Dracula. Elle a l'impression que je me transforme. Ma voix se fait grave, mes gestes sont assurés. "Tu as trouvé ta vocation, mais tu me fais peur quand tu dessines", me confie-t-elle régulièrement. Depuis ce temps-là, je bois du thé,  fais des cauchemars où les deux filles surgissent et dessine beaucoup. J'ai acheté des crayons graphites, des marqueurs et des blocs de papier en quantité.

 

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A
Un nouveau texte plein d'imagination. Cela va encore être galère pour choisir, mais quel plaisir !
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M
Sur un même thème, des histoires bien différentes. Je suis curieuse de découvrir ce qui va suivre.
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C
Ah c'est donc ça. Je connais un auteur qui se transforme en monstre lorsqu'il dessine. Il avait oublié ma présence et avait commencé à gribouiller et en effet, en quelques minutes, il était devenu un incroyable Hulk (ou presque).
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E
Là aussi, j'adore vraiment, quel beau début de "vocation" . C'est très vivant, en plus...
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P
Quelle imagination ! C'est super, la diversité des textes !
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